Encore une séance de rattrapage pour moi en regardant hier Lenny and the kids des frères Safdie. Je ne sais pas après quoi je cours en ce moment mais ce qui est certain c’est que je pêche tous les films que j’avais loupés comme mon ami Jean pêche ses truites dans le grand nord. On ne m’arrête plus. Hier donc, j’ai atterri à New York à courir avec Lenny et ses kids et me suis vue embarquée dans le chaos d’un père joliment à la dérive. Un film cassavetien marginal et surprenant.

Lenny ne voit ses enfants Sage et Frey que quinze jours par an. Le reste du temps ils sont élevés par la mère Paige dont on se demande d’ailleurs comment ils ont pu se croiser à un moment de leur vie tant ils semblent à l’opposé. Lenny vivote en tant que projectionniste, fréquente une jeune femme qui porte le même prénom que lui et puis une autre qu’il rencontre dans un bar un soir. Il la suit le lendemain avec ses deux enfants pour une virée Upstate. Lenny vit comme il respire, ce qui en fait dans le monde des adultes un père irresponsable, sans cesse sur le fil du rasoir. Car Lenny court tout le temps, dans son appartement, dans la rue avec ses enfants, pour être à l’heure à l’école, à son travail, les bras encombrés de sacs de courses, de glaces, ou d’un frigo sur son dos.
Il n’est pas pour autant désemparé, c’est sa façon d’être, c’est tout. Même lorsqu’il se fait dépouiller devant le marchand de glaces, il ne parait pas plus surpris que ça et passe à l’étape suivante. Lenny vit le moment présent, comme les enfants. Son attitude loufoque le rend aussi attachant qu’irresponsable, un père aimant et maladroit, un être un peu fou aussi comme l’était Mabel dansUne femme sous influence. Et si on sourit de sa spontanéité maladive, on ressent aussi une sorte de gêne lorsque le film bascule dans une noirceur plus diffuse, interrogeant sur les limites de l’acceptable. Un soir, alors qu’il est appelé d’urgence à venir travailler en renfort sous peine de perdre son emploi, il administre des somnifères à ses garçons pour éviter qu’ils ne réveillent seuls. Ils dormiront profondément deux jours durant, dans un demi coma qui aurait pu leur être fatal. Cela ne l’empêche pas d’aller rendre visite à Leni, de passer un séjour en garde à vue pour un malheureux tag « Dad » et de continuer à les appeler pour vérifier s’ils sont enfin réveillés. Insouciant ? Ou simplement inconsciemment confiant ? En tout cas très certainement un père qui aime ses fils et qui souffre de leur absence jusqu’à les venir les chercher quand ce n’est pas son tour de garde.
Comme bon nombre de films indé new yorkais, les frères Safdie filment tout à l’épaule dans une immédiateté brute et en cela le film rappelle aussi le formidable I am Josh Polonski’s brother de Raphael Nadjari. Les plans larges et rapprochés alternent découvrant des instants fugaces au rythme effréné de son protagoniste. Les Safdie travaillent la matière comme s’ils ne connaissaient pas eux-mêmes le plan d’après, laissant place aux imprévus et aux émotions pures.
Lorqu’il les emmène au Musée d’Histoire naturelle, Lenny incite ses fils à trouver un qualificatif devant chaque tableau de nature comme pour prendre une photo de leurs impressions avant de passer au tableau suivant. Lenny and the kids laisse une jolie trace, qui ressemble un peu à cette scène, celle d’un père qui part à la dérive et ne se retourne jamais.