Pour ses retrouvailles avec Fabrice Lucchini, Christian Vincent a choisi comme décor une cour d’assise avec un Lucchini en juge redoutable et pourtant troublé par la présence d’une femme parmi les jurés. L’Hermine parle de justice, d’amour, de quête de vérité mais avant tout d’humanité. Christian Vincent raconte les hommes et les femmes dans un moment particulier qu’est celui d’un procès d’assise et la jolie surprise de ce film est d’aller bien au-delà de cette histoire d’amour platonique en suivant un procès parmi d’autres révélant les failles des êtres et ce qui nous fait Homme : le doute. Un film juste, beau, fort avec un Lucchini tout en sobriété dans un de ses plus beaux rôles.
Michel Racine est un juge mal aimé. De sa femme qui l’a congédié de la maison familiale, de ses collègues qui lui inventent des aventures glauques, de ses accusés qui craignent une peine à deux chiffres (c’est d’ailleurs son surnom, « le juge à deux chiffres »). Seule son assistante semble plus clémente à son égard. Il faut dire qu’il n’est pas très aimable, n’aime pas perdre du temps à écouter les doléances de chacun et en plus ce matin-là, il est grippé et vient de passer la nuit à chercher une pharmacie de garde pour soulager sa douleur. Alors quand il arrive à la cour de Saint Omer en ce début de semaine alors que démarre le procès d’un type accusé d’infanticide, il ne faut pas l’emmerder.
Le protocole s’installe, le juge Racine enveloppé dans son costume d’hermine inspire un bon coup, sonne avant de faire son entrée, le greffier annonce son arrivée telle celle d’un roi dans sa cour, chacun prend place, et le procès démarre. Le juge appelle les jurés à le rejoindre plongeant sa main au hasard pour tirer des noms. Ditte Lorensen-Cotteret. Ce nom-là va ébranler le juge déjà fébrile. Ditte est médecin à Lille et l’avait soigné pendant des semaines suite à une grave opération. Il en était tombé éperdument amoureux et de la revoir à ses côtés le remue. Mais si cet amour resté sans réponse est touchant (émouvante Sidse Babett Knudsen), ce qui l’est davantage c’est la capacité des êtres à continuer à avancer, jouer leur rôle, exercer leur métier, tout en acceptant le changement qui s’opère en eux, en l’intégrant, et même en le transformant. Le juge tant redouté peut ainsi devenir plus humain, plus faillible et c’est tant mieux. Car l’amour comme la justice n’a pas de vérité. On peut la chercher, la sonder, parfois même la trouver, mais il faut accepter que certains éléments nous échappent et ne pas juger trop vite. En ce sens le parallèle avec le procès est très malin car rien de plus facilement condamnable et inacceptable qu’un infanticide. Et pourtant tout ce que Christian Vincent filme ce sont bien nos propres doutes ce qu’il se passe au moment où nous devenons spectateurs témoins d’un procès et mis à la place de ces jurés qui doivent trancher. On s’interroge sur la culpabilité de ce père qui nie avoir tué sa fille, on se demande si les silences ou les regards perdus de la mère ne feraient pas d’elle la coupable, on se demande aussi qui est cet étrange juré silencieux qui porte des rangers comme le meurtrier présumé.
Christian Vincent sait tout de suite peindre les contours de ses personnages, planter le décor et donner à chacun sa place d’homme au milieu de ce spectacle. Car oui il s’agit presque d’un spectacle à en croire la remarque de la fille de Ditte. Un spectacle authentique en temps réel avec des gueules cassées, des histoires sordides, des souffrances, des échecs, des espoirs aussi. Une sorte de performance où chacun jouerait son propre rôle.
Il ne laisse rien de côté et nous plonge dans le vrai tout en dressant le portrait d’une vérité qui n’existe pas. Il met ainsi en abyme l’idée même de l’absence de vérité objective. Seule existe la vérité (ou l’histoire) qu’on se raconte, qu’on interroge, sur laquelle on débat ou on s’oppose. Tout comme celle d’un film finalement. Le spectateur est libre ou non d’y adhérer, d’être embarqué, révolté, touché. Le film suit les étapes du procès de façon quasi documentaire (les pros de la justice ne seront surement pas d’accord avec cette vérité-là mais on n’est loin du cliché de la justice peint dans certains films où grâce aux ellipses on ne vit que les moments forts, les plaidoiries, les verdicts, les sentences) tout en décidant de n’en garder que certains bouts et même d’éliminer les moments clés les plaçant dans un hors champs qui prolonge l’instant de ce film. Dans L’hermine, on vit aussi les temps morts, les pauses, les explications protocolaires, l’attente, les rencontres des jurés au café, les blagues de mauvais goûts pour décompresser d’un procès lourd, les coups de fil-pause clope des avocats de la défense, les prises d’aspirine pour calmer la fièvre, les discussions des jurés qui cherchent à mieux se connaitre, à mieux comprendre les ressorts d’un procès. Comme autant de morceaux choisis.
C’est dans cet équilibre fragile que Christian Vincent nous rattache, dans cet entremêlement entre la vie et la cour, où les frontières sont minces. Il nous rappelle ainsi une belle évidence : derrière ce grand principe de Justice, se cachent des hommes et des femmes. Juste ça. En ce moment, c’est déjà beaucoup.