LA VIE TRES PRIVEE DE MONSIEUR SIM, un road movie mélancolique et joyeux

Après Le nom des gens, comédie déjantée sur une femme qui s’efforce de convertir des hommes de droite à voter à gauche, Michel Leclerc revient avec une comédie douce amère, presque désespérée, sur un quinquagénaire en pleine dépression qui retrouve un nouvel emploi de commercial pour une marque de brosse à dent bio. A bord de sa voiture hybride, il part direction la Provence-Alpes-Côte d’azur et commence pour lui un road movie initiatique, entre solitude, passé retrouvé et futur à dessiner.

François Sim (très touchant Jean-Pierre Bacri) revient d’un voyage dans un club Lookea. C’est sa femme Caroline qui l’avait organisé il y a quelques mois, avant de le quitter. Il y est donc allé tout seul mais comme il l’avoue à son voisin dans l’avion « ce n’est pas fait pour les gens seuls ». On se demande d’ailleurs ce qui est fait pour les gens seuls dans notre société où le bonheur familial est érigé en mode de vie sans que grand monde n’y parvienne. « On passe notre vie à éviter les contacts avec les autres, à se frôler ». C’est dans ce territoire du frôlement que Michel Leclerc place son film et parvient à dessiner les contours sensibles d’une souffrance quasi universelle, celle de la solitude du coureur de fond.

Rien de moins naturel que la solitude. Rien de moins naturel que la promiscuité forcée non plus. Les paysages que parcourt François Sim sont le reflet même de cette vacuité contemporaine. Il traverse des lieux défigurés par des enseignes criardes réunies dans des zones à rond-point comme autant de promesses d’un bonheur préconçu et formaté auxquelles nous nous devons d’adhérer avec le même sourire figé qu’arborent les quatre commerciaux élus et « happy » par Bio Buccal pour aller semer leurs brosses à dents dans la France entière. Sim est envoyé en région PACA et lui qui vient de connaitre une période de chômage, feint un enthousiasme pour ce produit « révolutionnaire » : la brosse à dent en poil de sanglier.

Sans rien préméditer, François Sim est déjà parti sur une autre route. En chemin, il s’arrête rendre visite à sa fille qu’il ne connait même plus, bien qu’il soit parvenu à glaner quelques informations auprès de son ex femme en se faisant passer pour une copine virtuelle d’au féminin.com (quand je vous dis que c’est un film sur la solitude !). Il parle à tout le monde qu’il croise, semble encore croire en l’humain. Il parle à son voisin dans l’avion, au type dans la queue du self service d’un Autogrill, à  Popi (Vimala Pons), la fille qui pêche des sons à l’aéroport pour servir de couverture aux maris adultères. Il parle même à son GPS qu’il va rebaptiser Emmanuelle. Difficile de connecter avec ses pairs. Parfois ça fonctionne comme avec Popi qui, loin d’être indifférente, l’invite à diner et lui présente son oncle Samuel (Mathieu Amalric qu’on ne se lasse jamais de retrouver). Samuel lui raconte l’histoire de ce navigateur parti en course en solitaire qui, coincé par son propre mensonge et son échec, se laissa dériver jusqu’à sa mort. Ce récit, comme un écho à sa propre solitude, va accompagner François dans sa quête sans nom, et peut être lui éviter de courir à sa perte. Car François ne renonce pas, c’est ce qui fait de lui un dépressif joyeux. Il poursuit sa tournée hors des sentiers battus, renoue avec le passé et des amours anciennes, retrouve son père distant et découvre une histoire engloutie qui réapparait à la surface telle l’épave du navigateur sur la plage en Sicile.

Le film de Leclerc, bien au-delà des quelques sourires qu’il nous décroche, est un road movie poético-mélancolique. Bacri est en dépression, « comme tous les gens sains » ajoute Popi (c’est vrai qu’il faut être drôlement malsain pour trouver notre monde normal et pas sujet à déprimer), mais c’est en s’égarant davantage, en tournant sans fin autour de rond points pour entendre la voix de son GPS recalculer à l’infini l’itinéraire à prendre, c’est en se perdant sur les petites routes, en traversant la mer, en s’enfonçant dans la neige ou dans un champ de patates qu’il trouvera la paix.

La vie très privée de Monsieur Sim prouve que pour mieux se retrouver il faut aussi savoir mieux se perdre. Voilà de quoi nous rassurer.

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