Fenyang, 1999. Tao est une jeune fille joyeuse et insouciante courtisée par deux de ses amis. L’un travaille dans une mine de charbon, l’autre est gérant fortuné d’une station service. Entre les deux son coeur balance. Au-delà des montagnes raconte sur trois décennies, la vie de Tao, Liangzi et Zang, leurs choix, leurs rêves, le temps qui passe, l’amour qui les traverse, les illusions et désillusions. Une fresque d’une force inoubliable par le génial Jia Zhang-ke.
Le film démarre par une scène de danse énergique, vivante, légère, (Le Go west des Pet shop boys) qui ressemble à l’insouciante virée des trois personnages à bord de l’américaine rouge de Zang. Tao, Lingzi et Zang chantent, se titillent, vacillent. Pourtant rien à voir avec Jules et Jim, Zang et Liangzi ne sont pas amis et Tao (magnifique Zhao Tao) doit choisir entre deux hommes que tout oppose. L’un est ambitieux et n’hésite pas à éliminer tout ce qui le gêne sur sa route quand l’autre n’est que douceur et résignation. Tao finit par choisir Zang et se marie avec lui. Liangzi meurtri, quitte la province avant leur mariage. Peu après, Tao donne naissance à un petit garçon que Zang prénomme Dollar comme tous ceux qu’il promet de gagner pour lui.
2014. Tao vit seule. Elle a divorcé de son milliardaire de mari qui a même réussi à avoir la garde de leur fils. Liangzi, très malade, rentre à Fenyang avec sa femme et son fils pour tenter de rassembler de l’argent pour ses soins. Il retrouve Tao après toutes ses années pour un tête à tête entre bienveillance et amertume. Rien ne peut rattraper le temps perdu.
2025. Dollar vit avec son père en Australie. Il se cherche dans cette vie loin de tout sens et trouve un refuge dans une relation avec sa professeur qui l’incite à retrouver sa mère. Jia Zhang-ke le peintre de la contemporanéité excelle dans cette partie au temps futur, aux couleurs transparentes, comme un calque d’un temps passé où tout se rejoue sans fin.
Au-delà des montagnes raconte le désenchantement, la résignation, l’inéluctable et cruel temps qui passe, le chaos de la vie. Ce mélodrame puissant a d’universel son questionnement sur nos choix. L’insouciance de nos vingt ans est vite balayée par nos erreurs de jeunesse et nous rattrape à chaque instant. Tao a perdu sa candeur, son mari et son fils à qui elle ne peut offrir le même niveau de vie que son père. Tout ce qu’elle peut lui offrir ce sont ses clés de maison comme la seule preuve de son amour. Le film de Jia Zhang-ke est parcouru de signaux poétiques qui semblent annoncer la suite logique : le crash d’un avion sous le regard impuissant de Tao ou un tigre en cage. Le cinéaste ponctue son film d’images vidéo floues de foule, comme une tentative vaine de mise au point.
Tao aurait-elle été plus heureuse avec Liangzi, telle n’est pas la question. Jia Zhang-ke s’intéresse à nouveau davantage à la question humaine et au déterminisme dans une Chine en plein bouleversement, en plein libéralisme destructeur. Ses films sont le pendant de l’essor chinois, nécessaires et dérangeants, noirs et pourtant terriblement vivants.
Au-delà des montagnes est assurément le plus grand film de cette fin d’année 2015.