Rien de tel pour démarrer une semaine hivernale et morose qu’un bon canular digne d’un premier avril. Mission accomplie avec le film de François Ruffin, Merci Patron !
Partant du drame vécu par les salariés licenciés d’une usine dans le nord appartenant au richissime Bernard Arnault, François Ruffin est bien décidé à faire d’une pierre deux coups : réhabiliter l’image de Bernard Arnault et réunir l’argent nécessaire pour sauver un couple d’anciens employés acculés par les dettes. L’homme qui valait des milliards a certainement un petit coeur qui bat et saura trouver une solution pour leur éviter de finir à la rue. Pour cela, Ruffin se fait passer pour le fils du couple et se transforme en négociateur habile. On se souvient des interviews frontales de Ruffin, initiateur du journal Fakir et ancien journaliste de Mermet pour Là-bas si j’y suis, de son talent à rallier « l’ennemi » pour mieux le faire parler. Avec Merci Patron ! Ruffin, le Michael Moore picard, pousse encore plus loin son procédé et s’en amuse pour mieux arroser l’arroseur. Malin et réjouissant !
En 2007, l’usine de Poix du Nord qui fabrique les costumes Kenzo pour le groupe LVMH est délocalisée en Pologne mettant sur le carreau plus de 150 salariés. Certes ce n’est pas un début d’histoire très drôle mais en 2012, François Ruffin qui est déjà assez déprimé comme ca, décide de prendre le contre pied et de sillonner la France à bord de son camion « I Love Bernard » pour véhiculer une image positive de l’homme le plus riche de France.
« Je veux réconcilier la France d’en haut avec la France d’en bas »
Son plan est le suivant : confronter capital et travail en devenant actionnaire de LVMH. Il pourra ainsi assister aux AG, approcher Bernard Arnault, le mettre face à la détresse des vies qu’il a brisées et le montrer comme quelqu’un d’humain capable d’agir en conséquence. Tout le monde y gagne. Si ce plan-là ne va pas tellement fonctionner (approcher Bernard Arnault quand on est un tout petit actionnaire était bien illusoire), le suivant sera plus triomphant.
Les Klur font partie du plan social de l’usine de Poix du nord. Depuis ils vivent criblés de dettes avec leurs 400€ par mois et sont menacés d’expulsion de leur propre maison. A la question de comment font-ils pour vivre avec si peu, les Klur répondent à peine en plaisantant « On ne mange pas ». La réalité n’est pas rose et ce canular, aussi drôle soit-il, a pour but d’éviter que Serge Klur ne commette l’irréparable car derrière les sourires complices, on comprend le désespoir des Klur qui n’ont absolument plus rien à perdre.
« Quand on remet sa vie dans les mains d’un mec qui porte un t-shirt « I Love Bernard », c’est que ça va très mal » – François Ruffin
Loin d’un documentaire coup de poing qui dresserait un constat « sérieux » avec analystes à l’appui, Merci Patron ! est avant tout une croisade pour récupérer les 40 000 euros dont les Klur ont besoin pour repartir à zéro. Le plan semble fonctionner avec l’apparition d’un « commissaire » LVMH qui, pour éviter le scandale et la mauvaise presse accepte l’arrangement, avec la condition bien sûr de le garder sous silence. Les scènes avec le commissaire sont d’ailleurs aussi saugrenues qu’hilarantes.
La promesse de silence n’est évidemment pas tenue avec ce film mais montre une chose rare : les petits, les opprimés ont plus de pouvoir qu’ils ne le croient. Ruffin cherche d’ailleurs non pas à convaincre sa chapelle de « gauchos » déjà convaincus de l’injustice flagrante des puissants comme Arnault, mais au contraire à toucher le plus de monde possible, de droite ou de gauche, pour rappeler que la minorité est encore décidante.
Bien sûr on peut regretter que le film n’aille finalement pas bien loin dans la dénonciation d’un système corrompu et profondément inégal. On s’interroge aussi sur les autres laissés pour compte. Mais au final, Robin-des-bois-Ruffin réussit son coup, nous convainc qu’il n’y a pas de « petite » action et que tous ensemble nous sommes plus forts. C’est déjà pas si mal.