Alors qu’il est victime d’une agression, Eddie Moreau désigne un faux coupable idéal lors d’un interrogatoire. Il reprend peu à peu une vie normale, retrouve un travail, sa femme Karine et leur fils Noam. Mais habité par les remords, Eddie cherche à rétablir la vérité coûte que coûte. Le dernier film d’Emmanuel Finkiel, Je ne suis pas un salaud, dresse le portrait d’un homme à la dérive dans une société formatée. Ni un salaud, ni un brave type. Un des meilleurs films de ce début d’année avec un Nicolas Duvauchelle magistral.
Le film démarre sur un gros plan de Duvauchelle de dos, il se retourne, lance un regard caméra et d’emblée nous interpelle. Finkiel ne lâche pas d’une semelle son protagoniste comme pour mieux le cerner.
Eddie est beau et banal à la fois. Il va chercher son fils à l’école et refuse de l’emmener au cinéma comme il avait promis. Le plan d’après ils mangent des popcorns devant le film. On le connait ce père pas fiable qui ne sait pas dire non et qui a l’air d’avoir l’âge de son gamin. Eddie boit pas mal, sûrement pour oublier qu’il a décroché. Il n’a ni boulot, ni appart, ni nana alors il essaye d’en draguer une dans un bar. En la raccompagnant, il se fait agressé par une bande de voyous et se réveille à l’hôpital avec une blessure profonde. Son ex-femme Karine (Mélanie Thierry) l’accueille chez elle, lui donnant ainsi une seconde chance. Elle insiste même auprès de son patron pour qu’il lui trouve un boulot chez Homea (un Ikea plus vrai que nature). Eddie devient donc cariste au smic et sa réintégration du monde normal semble satisfaire tout le monde. Tout le monde sauf Ahmed qui se retrouve injustement accusé par Eddie comme étant l’un de ses agresseurs. Ahmed a beau nier, il se retrouve derrière les barreaux. A l’inverse du Faux coupable d’Hitchcock, on reste du point de vue de celui qui accuse et non de l’accusé. Eddie est une victime qui devient le bourreau de celui qu’il désigne à tort. Mais bientôt Eddie se lasse de ses mensonges et est prêt à aller jusqu’au bout pour les réparer.
Duvauchelle joue en finesse ce personnage d’Eddie, écorché vif entre révolte et insoumission, capable du meilleur comme du pire. Et c’est bien là où Finkiel nous embarque, sur le terrain glissant du hors normes. Eddie ne supporte pas d’être l’esclave d’un type qui en plus de draguer sa femme, se comporte comme un sale con tout en revendiquant d’être un type bien capable de « filer des coups de pouce ». Mais de quel coup de pouce parle-t-on ? Rester sur la route est parfois plus compliqué que prendre la tangente et la frontière se brouille comme toutes les vitres derrière lesquelles Finkiel filme Eddie. Il garde un écran, un filtre comme pour tenir à distance Eddie l’indomptable, comme pour mieux le maitriser et le décrire. Rien n’est blanc ou noir. Eddie n’est pas vraiment un salaud (d’ailleurs au départ ne s’était-il pas juste trompé en désignant Ahmed qu’il avait déjà croisé chez Pole emploi ?). Pas un mec bien non plus quand il déborde de violence envers sa femme ou son fils. Il est à cran et c’est justement quand il souhaite être dans le vrai qu’il bascule dans l’horreur, vers un point de non retour. Finkiel bouscule toute forme de manichéisme et traduit avec subtilité les nuances du mécanisme irréversible que génère la violence sociale. Un film puissant et haletant.