Pedro Almodovar, l’homme qui aimait les femmes, revient avec Julieta à un magnifique portrait de mère et fille. Entre secret de famille, non dits, culpabilité et séparation, on attendait ce film depuis longtemps, trop longtemps. Car si l’on met entre parenthèses ses derniers films, Almodovar ne nous avait pas autant emballés depuis Parle avec elle en 2002.
Julieta la belle cinquantaine (Emma Suarez) s’apprête à quitter Madrid pour s’installer au Portugal avec son compagnon Lorenzo. Elle hésite sur les livres à emporter, n’a pas envie de racheter des livres qu’elle a déjà au risque de se sentir vieille. Pourtant comme lui dit Lorenzo elle ressemble au contraire à une gamine dans ses hésitations presque futiles.
Dans la rue elle tombe sur Bea une amie d’enfance de sa fille Antia. Bea lui donne des nouvelles d’Antia qu’elle vient de croiser par hasard. Julieta semble bouleversée et décide de ne plus partir. Elle déménage dans la rue qu’elle habitait avant et dans une longue lettre à sa fille, raconte la rencontre dans un train avec Xoan son père puis leur vie à trois dans un village de pêcheur avant le retour à Madrid suite à la disparition du père.
L’étoffe rouge de Julieta dès le générique annonce la promesse tenue d’Almodovar, sa patte unique, ses décors singuliers et baroques, ses personnages border line et ses respirations entre la vie et la mort.
La jeune Julieta (Adriana Ugarte) est professeur de littérature antique. Dans un train elle croise un homme qui insiste pour lui parler, pour ne pas rester seul. Mais devant son regard inquisiteur, elle préfère s’exiler au wagon bar où elle rencontre Xoan. Cette nuit-là elle croise un cerf peu farouche, est témoin du suicide de l’homme qu’elle a délaissé dans son compartiment et rencontre l’homme de sa vie. Les ralentis appuyés et oniriques des scènes du train témoignent d’une réalité aussi belle que tragique, et qui présagent d’un futur drame.
Almodovar rentre à son tour dans le palmarès des plus belles scènes d’amour dans un train avec cette très belle séquence reflétée sur la vitre de Julieta chevauchant Xoan bercée par la cadence du train.
Mais Xoan est marié à une femme dans le coma tout comme la Lydia de Parle avec elle. Almodovar aime bien tisser des liens entre ses personnages, les faire resurgir tels des fantômes. Cette dernière finit par disparaitre et laisser la place à Julieta déjà enceinte. Leur vie est heureuse et simple. Xoan pêche, Julieta s’occupe de leur fille Antia, rend visite à son père dont la femme est mourante (la souffrance des femmes chez Almodovar….). Antia grandit et Julieta aimerait reprendre son métier d’enseignante. La vieille Marian lui déconseille, comme si le seul fait de s’éloigner de son giron allait lui porter malheur. Prophétie ou sortilège ? Marian n’a pas tort et cette nuit là Xoan disparait en mer, ne laissant derrière lui que les souvenirs d’un mari et d’un père aimant et beaucoup de remords aux trois femmes de sa vie (Julieta, leur fille et Ava l’amie de toujours).
Madrid devient dès lors un refuge pour la mère et la fille. Alors que la première tente de survivre à cette disparition, la seconde porte ce deuil avec force et se rapproche de son amie Bea. Un jour pourtant elle quitte le nid, sans mot dire en quête de spiritualité et d’un ailleurs.
Le film pose ici la question de notre incapacité de parent à connaitre véritablement nos enfants. On a beau les aimer, les choyer, les aider à grandir, on ignore les doutes qui les assaillent, leurs peurs et leur besoin de partir loin de nous comme si l’idée même de filiation était le noeud du problème. A force de se protéger mutuellement, on tait nos blessures pour éviter de propager une souffrance déjà contagieuse. Le seul “esprit“ salvateur de Julieta est Lorenzo (Dario Grandinetti) qui l’aime sans condition, sans question.
Julieta est un film sombre, fataliste qui condamne ses personnages à être expié de leurs fautes à l’instar d’une tragédie grecque. Almodovar nous embarque comme Julieta dans un train en marche et semble nous dire que peu importe la destination, celle de départ annonce le chemin.