Léo erre dans les Causses à la recherche d’un loup. Il rencontre Marie une bergère et ensemble ils font un enfant. Quand Marie les quitte, Léo se retrouve seul avec son bébé et continue sa route errant au gré de ses rencontres. Après son magnétique L’inconnu du lac, Alain Guiraudie dresse avec Rester vertical le portrait d’un vieux rêve qui bouge, celui de la conquête de soi.
Le premier plan du film trace déjà la route de Léo (formidable Damien Bonnard), incertaine, tâtonnante, avec de longs virages. Léo cherche des figurants pour son film et arrête son regard sur Yoan, un jeune homme croisé au détour d’un chemin. Ce dernier n’est pas intéressé. Il arrive ensuite sur le plateau des Causses et rencontre Marie, une bergère. Marie déteste les loups qui s’attaquent à son troupeau alors que Léo est fasciné par ces bêtes. Cette divergence ne les empêche pas de s’apprivoiser très vite et quelques mois plus tard, Marie accouche d’un bébé. Ils vivent tous ensemble avec Jean-Louis, le père de Marie, et ses deux garçons mais à l’arrivée de l’enfant Marie traverse un véritable baby blues qui l’éloigne et de son enfant et du père. Elle finit par quitter le navire en laissant Léo seul avec son bébé. Il repart sur la route, bébé à bord, et continue ses allers-retours en Bretagne (on se saura jamais trop pourquoi il se rend là-bas à part pour faire semblant d’écrire son scénario qui n’avance pas, sa « longue ligne droite » de début de scénario), rencontre une guérisseuse (excellente Laure Calamy) dans un lieu onirique tout droit sorti de Peau d’âne, et retourne à plusieurs reprises dans le village de Yoan le jeune éphèbe pasolinien, qui se refuse toujours autant à lui.
Guiraudie aime filmer les paysages dans leur horizontalité, leur ouverture, leur champ des possibles. On se croirait dans un western contemplatif et inquiétant. Comme toujours chez le cinéaste, l’espace est le décor où se déploient ses personnages entre perdition, surplace et errance. Et comme toujours chez Guiraudie les personnages sont plutôt à l’horizontale qu’à la verticale. Ils cèdent à leur humanité, leur désir, leurs faiblesses. L’amour physique flirte du côté de la mort – sauf quand c’est le sexe d’une femme qui donne la vie (la scène d’accouchement est en cela percutante) – et atteint ici son apogée dans une scène où Léo donne la mort à un vieillard en le sodomisant. Léo avance dans le temps du récit qui s’offre à lui comme s’il avançait dans un rêve (ou devrait-on dire un cauchemar ?) : il ne semble avoir aucune emprise sur le cours des évènements. Il vit sa traversée avec une forme de résignation et d’acceptation. Lui-même ne sait pas très bien ni ce qu’il cherche ni ce qu’il veut. Il n’habite nulle part et en se laissant porter, il trouve refuge chez Marie puis chez le vieillard délaissé et enfin chez Jean-Louis. Rester vertical raconte en filigrane le no man’s land de l’écrivain, l’inexorable fil de la vie, le parcours du combattant, le lieu du désir et des doutes et les chemins de traverse.
Léo a beau se mettre en péril, s’écrouler, se mettre à l’épreuve de sa paternité ou sa vie conjugale, tomber dans la précarité ou se retrouver à poil (littéralement dans une scène où des clochards le dépouillent de ses vêtements), il continue d’avancer inéluctablement sur sa route aussi tortueuse et casse gueule qu’elle soit. Il va même jusqu’à se jeter dans la gueule du loup (là aussi c’est littéral) et le braver en restant droit, vertical (« Tant qu’on reste debout on n’a rien à craindre »). Parabole d’un monde en désuétude, d’un immobilisme inévitable où l’on veut nous faire croire qu’on peut changer les choses quand finalement Guiraudie semble être beaucoup plus fataliste, plus sombre. Tout ce qui nous reste derrière nos rêves, nos désirs incompris, nos failles, nos hésitations, c’est notre instinct inaltérable à rester debout pour ne pas se faire dévorer. C’est peut être là l’un des messages du film : savoir renoncer, piétiner et tracer notre chemin “no matter what“.
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