Avec Paris pieds nus Abel et Gordon signent un véritable hymne à la liberté et offrent à Emmanuelle Riva, récemment disparue, son ultime rôle. Une comédie burlesque qui fait du bien à l’âme.
Fiona quitte son Canada glacial et son emploi de bibliothécaire pour se rendre à Paris à la rencontre de sa tante Martha (Emmanuelle Riva). Celle-ci lui a adressé une lettre d’appel à l’aide l’implorant de venir pour lui éviter l’enfermement dans une maison de retraite. Sitôt débarquée à Paris, son sac à dos arborant un drapeau canadien, Fiona se retrouve au coeur d’un Paris touristique, sur l’ile du Cygne, au pied de la Statue de la Liberté. Ses mésaventures la mènent sur la route de Dom, un SDF un peu lunaire qui se met à la suivre partout.
Commence alors un chassé croisé dans ce quartier : Martha se cache de son aide à domicile qui veut l’interner, Fiona court de l’Ambassade au quartier de Martha en ne cessant de croiser un garde forestier canadien de passage à Paris, quant à Dom, il devient malgré lui l’équilibriste qui relie tous les personnages. Quand Fiona tombe à la renverse dans la Seine et perd son sac avec ses papiers, son argent et son téléphone, elle se retrouve plus démunie que Dom qui, découvrant au pied dans sa tente le sac échoué de Fiona, gagne le droit d’aller au restaurant dépenser tout son argent.
Paris pieds nus est une suite de hasards, de quiproquos heureux et malheureux, où chacun aspire à être libre comme la statue au pied de laquelle ils se rencontrent.
Le cinéma d’Abel et Gordon est fait de petits riens et c’est bien ce qui constitue tout son charme. En dignes héritiers de Pierre Etaix et Jacques Tati, Abel et Gordon affichent d’emblée un univers poétique tout droit emprunté à leurs spectacles, entre danse et burlesque. Paris pieds nus semble pourtant s’ancrer davantage dans le réel que leurs précédents films (Rumba, Iceberg ou La fée). Ils se sont en effet inspirés de leur propre découverte de Paris dans les années 80 pour raconter cette histoire insolite et inventer le personnage réjouissant de Martha qui n’a plus toute sa tête. Le Paris qu’ils racontent est donc à la fois un Paris imaginaire et vrai à l’inverse des premiers plans au Canada qui relèvent plus d’une caricature prêtant à sourire.
Malgré sa légèreté le film questionne sur la place laissée à la folie douce qu’on voudrait taire à tout prix, de peur de troubler l’équilibre fragile qui nous aliène. Martha en est l’incarnation la plus évidente. Aux yeux des autres, elle n’est plus apte à décider pour elle-même, elle perd la mémoire et met sa lettres dans la poubelle plutôt que dans une boite aux lettres. Et pourtant sa lettre parvient à Fiona malgré tout. N’est ce pas le signe qu’il faut continuer de croire aux hasards et à l’improvisation ? Notons que c’est le dernier rôle d’Emmanuelle Riva qui nous a quittés en janvier dernier et qu’on ne peut que s’émouvoir de la voir déambuler en pantoufles, danser avec un ancien amant (Pierre Richard) ou s’offrir une partie de jambes en l’air au pied de la statue de la Liberté.
Paris pieds nus pourrait sembler anecdotique et pourtant s’avère être un formidable hymne à la liberté, à l’amour, à la marginalité et à l’infinité des possibles. Que demander de plus ?
Date de sortie : 8 mars 2017
Durée : 1h23
Distribution : Potemkine Films