BERGMAN ISLAND ou la possibilité d’une ile

Il y a des lieux mythiques pour tout cinéphile. L’ile de Fårö où vivait et tournait Ingmar Bergman en fait évidemment partie. C’est justement là où nous emmène après l’Inde du sud du lumineux Maya, le dernier film de la talentueuse Mia Hansen Løve. Une histoire d’ombre et de lumière, de fantômes et de revenants, de territoire entre le cinéma et la vie.

Un couple de cinéastes part en résidence sur l’ile emblématique de Fårö écrire leur prochain film respectif : Anthony (Tim Roth) est un cinéaste adulé, plus âgé et plus confirmé que sa jeune compagne Chris (Vicky Krieps) dont on ressent immédiatement les questionnements (comment être femme et artiste ?), les doutes (vivre ou écrire ?), les tiraillements (Bergman, artiste génial ou écrasant ?) et qui nous apparait assez vite comme le double de la cinéaste. Ils logent dans la maison où a été tournée Scène de la vie conjugale ce que ne manque pas de souligner Chris (pour conjurer le sort ou annoncer l’inéluctable fin ?) et il leur faut trouver leur place dans ce décor chargé. Pour écrire, Chris s’installe dans un moulin mais la plupart du temps, sa place est dehors. Elle se promène, découvre l’ile sous toutes ses coutures, rencontre d’autres résidents et visite les lieux chers à Bergman. Il faut dire que l’ile est à la gloire du cinéaste suédois. Lieu de pèlerinage ou de safari bergmanien, les cinéphiles et cinéastes du monde entier aiment s’y retrouver. Cela pourrait être écrasant, tétanisant même, mais Chris va au contraire se libérer d’un poids et trouver sa voie, sa musique, son histoire. Impossible de ne pas y voir tous les accents autobiographiques distillés dans ce film comme dans le reste de l’oeuvre de Mia Hansen Løve.

Le scénario que Chris écrit porte sur l’ultime chapitre d’une histoire d’amour de jeunesse. Amy (Mia Wasikowska) et Joseph (Anders Danielsen Lie) s’aiment passionnément depuis leur adolescence. Ils se quittent, se retrouvent et se quittent à nouveau. Les années passent et le mariage d’une amie commune les réunit à Fårö le temps d’un week end. L’attirance est inévitable, l’amour encore présent. Mais leur vie a changé, et la distance de Joseph vient sonner le glas d’une relation vouée à l’échec. A la question du « pourquoi pas moi », Joseph répond « parce que c’est la vie ». Réponse fataliste, arbitraire mais aussi tellement juste et résiliente. Bergman Island raconte la solitude dans le couple, le déséquilibre amoureux, la difficulté d’écrire, et surtout le cinéma comme échappatoire. Mia Hansen Løve ose une mise en abyme habile et touchante où elle met en scène ses doutes et nous dit aussi tout ce que l’acte filmique a de salvateur. En traduisant notre imaginaire, le cinéma a le pouvoir de nous réparer et de nous émanciper.

« Parce que c’est la vie »

On assiste à la métamorphose de Chris, qui, sans le chercher vraiment, s’affranchit des hommes ou plutôt des fantômes qui l’entourent, à commencer par celui qui partage sa vie mais aussi, le fantôme de Bergman et celui de son amour de jeunesse. Ces fantômes planent mais jamais ne hantent. C’est là tout le talent de Mia Hansen Løve à s’approprier cette ile sans jamais essayer de calquer le maitre ni l’évincer. Plus qu’une âme errante, Bergman devient un compagnon discret qu’on ne cherche ni à égaler ni à écarter. Les films de Mia Hansen Løve sont solaires, plein de douceur, de mélancolie, de bienveillance et contiennent une part de vérité sur nos existences extraordinairement universelle. En cela, on a du mal à en sortir, on n’a pas envie qu’ils se terminent. Cela tombe bien, ses films n’ont jamais vraiment de fin.

SERIES MANIA, une première journée sous le signe de la parole décomplexée

Les rues de Lille sont aux couleurs de Séries Mania. Un bus d’accueil sur la place de l’Opéra, des affiches violettes partout et beaucoup de monde. Retour sur cette première journée où l’on a pu découvrir deux séries de format court et les deux premiers épisodes de la série britannique Flack en présence de son interprète et co-productrice, Anna Paquin. Trois séries qui ont en commun de mettre en scène des personnages qui n’ont pas la langue dans leur poche !

PEOPLE TALKING (Gente hablando) d’Álvaro Carmona

Ce premier programme de formats courts a démarré avec une série espagnole avec comme fil conducteur un dialogue entre deux personnages. Le créateur Álvaro Carmona explique d’ailleurs en introduction à la séance, que ce qu’il aime le plus dans les séries sont les scènes de confrontation entre deux personnages. Dans un décor minimaliste, chaque épisode de huit minutes met en scène des saynètes à deux voix : un rendez-vous Tinder, une requête à un prêtre pour le moins inattendue, une discussion parentale sur l’avenir d’un enfant ou une visite d’un voisin pas tout à fait courtoise.

Ce qui touche autant qu’amuse dans People talking, c’est la sincérité avec laquelle les personnages prennent la parole. Partant d’une situation plutôt banale, la série tourne vite au dialogue idéal, à la répartie parfaite, et fantasme avec humour ce que la bienséance nous empêche de dire réellement. Ainsi dans le tout premier épisode également interprété par son créateur et scénariste, un homme se retrouve accoudé au bar avec une femme qu’il a rencontrée sur Tinder. Sauf qu’il ne la reconnait pas physiquement. Discrètement il lui dit qu’il doit vérifier un message sur son téléphone mais la femme le coupe : « si tu veux vérifier ma photo, ce n’est pas la peine, ce n’est effectivement pas moi ! ». Au lieu de continuer à mentir, la femme lui avoue directement qu’elle a utilisé une autre photo pour attirer des hommes. « En même temps, tout le monde ment un peu sur Tinder ». Alors qu’est ce qui, est plus important ? De tricher sur son avatar ou de se  rencontrer pour de vrai en oubliant ces échanges virtuels mensongers qui servent de préliminaire ? Les dialogues sont enlevés et ont de réjouissant le fait de ressembler de très près à ce qu’on aimerait dire dans pareille situation mais qu’on ne dit jamais.

STATE OF THE UNION de Nick Hornby

Le deuxième programme est écrit par Nick Hornby et réalisé par Stephen Frears qui a déjà adapté Hornby avec High Fidelity en 2000.  Ici aussi, on est dans un format très court (10 minutes) impliquant deux personnages et un décor minimaliste. State of the union est l’histoire d’un couple qui, pour se relever de la crise qu’ils traversent, suivent une thérapie. Chaque semaine ils se retrouvent dans un pub avant leur séance pour débriefer ensemble de ce qu’ils vont pouvoir et vouloir aborder. Les dialogues sont vifs, piquants et tragiquement drôles. D’après Tom, s’ils en sont arrivés là c’est bien à cause de Louise et de son infidélité. Mais pour Louise, son aventure n’est que le résultat de l’échec de leur couple et de leur absence de sexualité. Chacun voit midi à sa porte et les échanges soulignent parfaitement les désaccords et les dysfonctionnements finalement très universels de leur mariage. Au fil des épisodes, on comprend davantage quel couple ils formaient et ce qui a pu les éloigner. On ressent aussi ce qui les relie et les pousse à se battre même si parfois Tom semble baisser les bras, ce que ne manque pas de relever Louise quitte à lui casser (le bras). Les petites lâchetés, les faiblesses, les coups bas comme les preuves d’amour flagrantes se ressentent à travers des dialogues particulièrement affûtés qui abordent aussi des questions très actuelles comme le Brexit, le désir dans le couple (comparé à un stylo ou des clés qu’on aurait égarées) ou la responsabilité de chacun dans le désamour qui nous pend au nez. Quatre premiers épisodes à la hauteur qui donnent envie de découvrir les six autres de cette mini série.

FLACK d’Oliver Lansley avec Anna Paquin

Voilà une série qu’on attendait de pied ferme dans la sélection Panorama international ! Flack dresse le portrait de Robyn, femme aussi déjantée que paumée. Robyn travaille pour une agence de relations publiques et gère des situations de crises pour des célébrités. Elle intervient pour soigner l’image de ses clients et les sortir d’impasses ou éviter les rumeurs désastreuses liées à l’overdose d’un amant de passage ou aux infidélités multiples d’un chef cuisinier. Robyn gère tous ces « challenges » comme elle préfère les appeler avec une facilité déconcertante. Mais quand il s’agit de sa propre vie, elle ne gère plus grand chose, ment sans merci, sniffe de la poudre dès que possible, s’enferme dans les toilettes pour prendre la pilule en cachette de son petit ami avec qui elle est censée faire un enfant et fait passer son beau frère pour un porn addict juste pour se couvrir.

Anna Paquin connue notamment pour X men et True Blood, était à Lille pour présenter en avant-première cette série créée et écrite par Oliver Lansley (présent également). Si la tonalité trash s’avère souvent drôle, on reprochera néanmoins à la série d’être un peu trop caricaturale notamment au travers de ses personnages secondaires comme celui d’Eve, la collègue de Robyn, narcissique, pédante et cynique qui, certes donne lieu à des bonnes punchlines, mais ne permet pas de s’identifier aux personnages et donc de s’y attacher. Flack est “too much“, et on aurait aimé se reconnaitre davantage dans le déploiement des aventures de son héroïne. On pense parfois à une autre série anglaise, Fleabag, et on regrette son ton plus authentique. Flack grossit trop le trait et ce portrait entre immoralité et irrévérence finit par ne plus être si drôle. Pourtant Anna Paquin est formidable tout comme le reste du casting, l’écriture est enlevée mais le tout manque de naturel sans pour autant relever du registre de la comédie pure. Après avoir découvert les deux premiers épisodes, pas si sûre d’avoir envie de continuer à suivre les aventures de Robyn et ses acolytes.

C’EST CA L’AMOUR, un portrait de famille intime et touchant

Un père seul avec ses deux filles essaye tant bien que mal de garder la tête haute suite au départ de sa femme. C’est ça l’amour dresse le portrait sensible d’un homme pris dans le tourment d’une séparation et de ses deux filles en pleine quête de liberté et d’identité. Un film autobiographique et cathartique d’une profonde justesse par Claire Burger, la co-réalisatrice de Party girl.

Mario est fonctionnaire de l’état. C’est bien tout ce qu’il arrive à dire de lui dans l’atelier théâtre auquel il participe et qui demande à chacun de se définir en une phrase. Peu à peu, il parvient pourtant à se livrer davantage car ce n’est pas les bouleversements qui manquent dans sa nouvelle vie de père célibataire en charge de ses deux adolescentes de filles. « Tu n’es pas là pour faire une thérapie“, ironise un type du théatre. Sa femme Armelle a besoin de temps pour elle et a quitté le foyer conjugal, laissant derrière elle un mari démuni et deux filles en proie aux questionnements.

S’appuyant sur sa propre histoire familiale, Claire Burger déploie un récit ciselé d’une justesse confondante, tant dans les dialogues que dans le traitement quasi documentaire aux accents cassavetiens. Elle avoue d’ailleurs lors de la conférence de presse avoir fait quelques clins d’oeil au cinéaste dans certaines scènes notamment à Love streams et à Une femme sous influence. Il est vrai que le personnage de père fragile formidablement incarné par le touchant Bouli Lanners ressemble par moment à Mabel dans cette volonté de toujours bien faire et de déborder d’amour de façon maladroite. Mario ressemble aussi à Nick (Peter Falk) contraint à se dépatouiller seul avec ses enfants et à continuer d’avancer coûte que coûte. Il est en cela secondé par sa fille ainée Niki, très mûre pour son âge et plus sage que sa petite soeur qui elle, découvre les affres d’un premier amour et s’y perd un peu. Dans ce chaos familial, chacun tente de trouver sa place, d’évoluer, de survivre à une absence inopinée et d’exister malgré tout.

A l’instar de ses précédents films et hormis Bouli Lanners, les comédiens sont tous non professionnels et absolument formidables. Les trois acteurs (Lanners, Justine Lacroix et Sarah Henochsberg) ont passé du temps ensemble pour incarner de façon réaliste cette famille dans une forme d’intimité jamais feinte. « C’est toujours un miracle quand cela fonctionne aussi bien », avoue modestement Claire Burger. Miracle certes mais il ne faut pour autant pas sous-estimer le travail de direction d’acteurs et le dispositif mis en place pour les laisser jouer. Avec son chef opérateur Julien Poupard, Claire Burger a choisi de laisser les corps évoluer dans l’espace librement. C’est donc la caméra qui vient les capturer dans leurs mouvements et non l’inverse. « Nous travaillons en lumière naturelle pour limiter les temps d’attente, conserver l’énergie de jeu et la spontanéité sur le plateau. Nous faisons des prises très longues, sans marques au sol – les corps sont libres, les places sont libres – et la caméra peut réinventer le découpage à mesure que les acteurs évoluent sur le plateau. «  A cela, elle ajoute certaines contraintes comme toujours filmer en oblique et éliminer les couleurs chaudes. Le résultat est d’un réalisme stupéfiant et nous emporte littéralement.

C’est ça l’amour a été tourné à nouveau à Forbach, ville d’enfance de la réalisatrice et titre de son premier court métrage. Claire Burger a même poussé le réalisme jusqu’à tourner dans la maison de son enfance, histoire peut être de s’imprégner davantage de ses souvenirs et d’inscrire son récit dans une temporalité retrouvée. Le résultat est saisissant, les dialogues magnifiquement écrits et percutants et le trio père-filles fonctionne à merveille (le fameux “miracle“ évoqué par la cinéaste). Et si l’on perçoit toute la dimension cathartique du film pour sa créatrice, on ne se sent néanmoins pas exclu de ce récit personnel, au contraire, tant il évoque des liens familiaux universels et tant il est question d’amour. D’amour inconditionnel mais aussi d’amour bancal ou d’amour perdu. Un simple baiser va permettre à Mario de tourner la page mais va aussi complètement secouer Frida. Les nuances de l’amour se retrouvent ici incarnées par ces baisers non volés ou chorégraphiés et par les feux qu’on apprend à dompter. Toute une symbolique où là encore l’amour apparait comme salvateur. C’est ça l’amour est un film tour à tour drôle, léger, bouleversant comme la chanson phare du film,  Sparring Partner de Paolo Conte, et un véritable hymne à l’amour et à la vie.

Date de sortie : 27 mars 2019
Durée : 1h38
Distribution: Mars Films

 

 

 

SERIES MANIA, le festival 100% séries est de retour !

Pour la deuxième année consécutive le Festival Séries Mania entièrement dédié aux séries se tiendra à Lille du 22 au 30 mars prochain et je n’allais pas manquer ça !

Créé à Paris en 2010 par Laurence Herszberg l’ex directrice du Forum des images, le Festival présente en avant-premières les plus grandes séries du monde entier et accueille trois compétitions : officielle, française et formats courts. Un panorama international vient compléter la programmation ainsi que des nouvelles saisons inédites. Alors partants pour découvrir la programmation riche de 70 séries ?

La Compétition officielle

Parmi les dix films sélectionnés cette année, trois nous viennent du Royaume Uni : Baghdad Central de Stephen Butchard sur les évenements en Irak suite à la chute de Saddam Hussein, Chimerica de Lucy Kirkwood un polar géopolitique et le prometteur The Virtues de Shane Meadows (à qui l’on doit l’excellent This is England) qui dresse le portrait d’un homme dont les sombres souvenirs d’enfance ressurgissent. La bo est signée PJ Harvey et le personnage principal est interprété par le formidable Stephen Graham (Al Capone dans Boardwalk empire). Les Etats Unis sont quant à eux représentés par la série Netflix Chambers de Leah Rachel avec Uma Thurman qui nous fait l’honneur de sa présence à Lille où elle donnera également une masterclass. Chambers raconte l’histoire d’une femme ayant subi une transplantation cardiaque et qui se met à la recherche du passé de sa donneuse. Intrigant !

The virtues de Shane Meadows

La France n’est pas en reste avec deux séries, Eden de Dominik Moll, le réalisateur de Harry un ami qui vous veut du bien qui aborde le thème des migrants et Mytho de Fabrice Gobert, l’auteur des plebiscités Revenants, avec la talentueuse et trop rare Marina Hands et Mathieu Demy. Le titre parle de lui même.

Sont également représentés la Russie avec Identification de Valery Fedorovich et Evgeny Nikishov, Israël avec Just for Today de Nir Bergman et Ram Nehari, La Norvège avec Twin de Kristoffer Metcalfe et l’Australie avec Lambs of God de Marele Day.

Le jury de cette compétition est présidé par Marty Noxon la scénariste-productrice  de Sharps objects (HBO) et Dietland (AMC). Elle sera accompagnée par “The Good wife“ Julianna Margulies, l’actrice Audrey Fleurot, l’écrivaine Delphine de Vigan et le réalisateur Thomas Litli (Première année).

La compétition française

Au programme de cette compétition française, des séries explorant plusieurs genres : futuriste (Osmosis avec Agathe Bonitzer), fantastique (Une ile avec Laetitia Casta), apocalyptique (La dernière vague de Raphaëlle Roudaut et Alexis Le Sec), policière (Soupçons avec Julie Gayet et Double je) et enfin une comédie qui a l’air tout à fait réjouissante, Le grand bazar de Baya Kasmi co-écrit avec son binôme Michel Leclerc. On y retrouvera Grégory Montel (alias Gabriel de Dix pour cent) dans une histoire de famille mixte et recomposée.

Le grand bazar de Baya Kasmi

Les nouvelles saisons inédites

Vous êtes fans de The OA ou The Good doctor ? Séries Mania propose de découvrir en exclusivité les premiers épisodes des saisons à venir de ces deux séries cultes mais aussi ceux des séries françaises Irresponsable, Clem (la série de TF1) et Mission. Mais la vraie bonne nouvelle (en tout cas pour moi !), c’est la perspective de découvrir la saison 2 de la série britannique désopilante Fleabag qui sera bientôt adaptée en France et campée par Camille Cottin (qui décidément est partout !).

Panorama international

Pas moins de quinze séries du monde entier ont été retenues dans cette sélection qui dessine un beau paysage mondial des séries. Ainsi pourra t-on découvrir MotherFatherSon écrit par Tom Rob Smith, le scénariste de American story II (Gianni Versace), Success la série du croate Danis Tanović (No man’s land), le film israélien Asylum city, Les misérables revisités pour la BBC, une série coréenne d’horreur The guest et Monzon, série argentine tirée d’une histoire vraie sur un boxer célèbre dont la femme est retrouvée morte.

Une autre série anglaise a également attiré notre attention : Flack d’Anna Paquin (X-Men, True Blood). Flack met en scène une femme successful le jour, en vrac la nuit. Si elle excelle dans son job de chargée de relations publiques, Robyn a une vie personnelle proche du naufrage. Interprété par sa créatrice Anna Paquin, Flack rejoint la liste des séries drôles et sensibles autour d’un portrait de femme sans fard.

Flack d’Anna Pakin

Rencontres et autres réjouissances

Et ce n’est pas tout ! Le Festival Séries Mania propose aussi une nuit Game of Thrones avec la diffusion d’un épisode phare de chaque saison, un “Best of USA“ où l’on pourra voir des épisodes de Sharp objects de Jean-Marc Vallée, The twilight zone, Black Monday, Warrior, I am the Night de Sam Sheridan ou la série d’Amazon Homecoming avec Julia Roberts. Les fans de Twilight zone auront même la surprise de pouvoir rencontrer Adam Scott, présent pour l’occasion.

Côté rencontres, Séries Mania nous gâte. Les invités d’honneur de cette édition ne sont autres que Uma Thurman (la classe !), Freddie Highmore (Bates hotel et The good doctor), Eric Rochant et Hugo Blick pour un dialogue croisé sur les séries d’espionnage et Yves renier (célèbre Commissaire Moulin) qui présentera Pour tout l’or du Transvaal.

Une édition très prometteuse donc qui n’oublie pas les professionnels avec  SERIES MANIA FORUM. Rappelons que ce festival est ouvert au public et entièrement gratuit. Vivement le printemps qui cette année sonnera le début des festivités !

Tous les détails à retrouver sur le site de SERIES MANIA

UN BERGER ET DEUX PERCHES A L’ELYSEE ? ou L’extravagant Mister Lassalle

En 2017 Jean Lassalle, ancien berger, obtient contre toute attente les 500 signatures qui lui permettent d’accéder au premier tour de la présidentielle. Les réalisateurs Pierre Carles et Philippe Lespinasse décident de suivre sa campagne et de devenir ses conseillers en communication, persuadés que derrière le centriste égaré se cache un révolutionnaire de gauche qui s’ignore. Au final le film ne sortira pas avant le premier tour comme initialement prévu et deviendra ni un documentaire sur Jean Lassalle, ni un film de campagne mais plutôt un portrait en triptyque de deux journalistes engagés et d’un homme qui a du pif. Un berger et deux perchés à l’Elysée?, un film hybride revigorant et humaniste.

Le temps est venu. Ces quatre mots étaient le slogan de campagne de Jean Lassalle, berger béarnais et candidat improbable à l’élection présidentielle. Semblant convoquer un chant communard, ce slogan annonce le début d’une nouvelle ère post-capitaliste, qui mettrait l’humain au coeur de nos vies. Renouer avec l’essentiel. C’est bien ce qu’incarne ce candidat rural, souvent moqué, égaré politiquement mais capable de montrer de réelles convictions dans ses combats. Pour rappel, Lassalle a fait un tour de la France rurale, celle des oubliés, à pied pendant neuf mois. Il a également fait une grève de la faim pour se soulever contre une fermeture d’usine dans la vallée d’Aspe. Grève de la faim bénéfique puisque l’usine fut maintenue.

Quand le fils de Jean Lassalle contacte Pierre Carles après avoir vu son film sur le leader équatorien Rafael Correa, Pierre Carles comprend tout de suite que non seulement Lassalle peut gagner mais qu’il peut l’accompagner vers cette victoire en devenant son conseiller en communication. Bientôt rejoint par Philippe Lespinasse, Pierre Carles joue les guides, persuadé que le centriste Lassalle est le seul capable de rassembler aussi bien la droite que la gauche. Il décèle en lui un esprit révolutionnaire et tous les trois s’avancent vers la possible victoire.

Oui mais voilà, Lassalle a des idées parfois arrêtées et ne se laisse pas convaincre aussi facilement. Il ne suit que son intuition et finalement très peu les conseils de ses deux apprentis consultants. La suite on la connait, le film  « propagandiste » initialement prévu pour l’entre deux tours avorte suite au passage très controversé de Lassalle chez Ruquier où il est attaqué sur sa visite à Bachar El Assad, et ses propos trop modérés sur le président syrien.  Tollé général. « Ce n’est pas parce que je passe deux jours dans la Vallée d’Aspe (la vallée où vit la famille Lassalle) que je vais la comprendre. C’est pareil pour toi en Syrie », tente en vain de lui expliquer Carles. Lassalle ne veut rien entendre. Libre, indépendant, il pêche par son manque de conseils en communication qui lui auraient évité quelques maladresses. Il travaille quasi seul, sans aucun budget, à la force de son énergie débordante et de son enthousiasme inépuisable. Mais cela ne suffit pas dans ce monde de brutes. La preuve avec une anecdote qu’il raconta lors d’une projection : Bolloré propose de lui offrir comme à chaque candidat une somme d’argent pour sa campagne, Lassalle la refuse pour des raisons évidentes (ce n’est pas un vendu) et Bolloré lui rétorque que de toute façon il l’écrasera. Bienvenue dans le monde réel !

Qu’allaient donc faire Carles et Lespinasse de ce projet maintenant que le film de campagne avait refroidi tout le monde, exploitants et distributeurs ? Et si l’histoire était finalement aussi celle de deux réalisateurs un peu égarés, dépassés par les évènements et le côté totalement imprévisible de Lassalle ? Un berger et deux perchés à l’Elysée ? raconte en effet les coulisses de ce tournage, les doutes qui assaillent les protagonistes-réalisateurs tout en dressant un portrait du candidat berger. Entre le making of, le work-in-progress et l’histoire qui se raconte en temps réel, ce documentaire est inclassable. Pas grave, cette forme hybride fonctionne formidablement bien. Car Lassalle a une vraie gueule, une verve incomparable, « un coeur qui déborde » comme dit de lui son ami et député communiste André Chassaigne, et l’énergie contagieuse de ceux qui aiment les gens. Son charisme mêlé à une certaine dose de naïveté le rend sympathique et le rapproche d’un extravagant Mr Deeds ou d’un Mister Chance. Pierre Carles nous dit d’ailleurs qu’en le filmant il pensait à Peter Sellers dans le film de Hal Ashby.

Dans ce portrait en triptyque, Pierre Carles et Philippe Lespinasse deviennent incontestablement des personnages de leur propre film. Une voix off vient parfois prendre le relai, contextualiser et témoigner de leur désarroi par rapport au projet de départ. Mais de ce désarroi nait une chose bien plus belle, un portrait d’un homme simple et vrai et de deux réalisateurs engagés qui veulent croire coûte que coûte qu’un candidat du peuple, de la France rurale peut accéder à la présidence. Un autre monde devient possible. Jusqu’à la désillusion, les querelles de chapelles, les discordances, celles qui font que tout évolue si lentement mais que rien n’est perdu tant que perdure la foi en l’humain. Et si ce film a une vertu, c’est bien celle-ci : nous redonner confiance, vigueur et humanisme.

MAYA, un film lumineux sur la résilience

Partir pour mieux renaitre au monde, tel est le point de départ de Maya de Mia Hansen Løve. Sur fond de rencontre lumineuse, Maya est un grand film vibratoire sur la résilience et le recommencement.

Gabriel (Roman Kolilnka) est grand reporter et vient d’être libéré après avoir été détenu en Syrie pendant plusieurs mois. Il revient à Paris, retrouve sa famille, son ex petite amie (Judith Chemla), ses amis. La vie reprend tant bien que mal mais bientôt Gabriel projette un voyage en Inde où il a grandi et possède encore une maison pour se reconnecter au monde et se retrouver. A Goa il retrouve son parrain Monty et fait la rencontre de sa fille, Maya (Aarshi Banerjee).

L’Inde semble avoir toujours fasciné les réalisateurs, et pas les moindres. On pense au Fleuve de Jean Renoir bien sûr ou au film de Louis Malle mais surtout  à Inde, terre mère de Rosselini, documentaire poétique dont le titre aurait pu être celui de Maya. Pour Gabriel, l’Inde n’est pas une terre inconnue mais un retour aux sources, à ses origines et l’occasion de revoir sa mère (Johanna Ter Steege) qui y vit toujours depuis qu’elle s’est choisi une autre famille. Mia Hansen Løve filme l’Inde avec un regard neuf, loin de tous les clichés du genre. « J’entends toujours dire que Goa n’est pas vraiment l’Inde. C’est un des aspects que je voulais utiliser pour sortir d’une vision schématique de l’Inde, partagée entre splendeurs et misères, et tenter de filmer une Inde plus complexe, peut être impure, mais contemporaine. » Les voyages ont cette vertu d’arrêter le temps, de le réinventer comme un présent simple, loin d’une réalité passée ou de projets futurs. C’est aussi ce présent-là que filme la cinéaste en nous immergeant aux côtés de ce héros secret et meurtri.

Et puis il y a Maya, la fille de son parrain Monty. Malgré son jeune âge, Maya dégage une sagesse, une sérénité et une intelligence humaine déconcertante. Gabriel se sent détaché de tout mais va trouver en elle une complice salvatrice pour le remettre sur le chemin de la vie et de l’amour. Maya est prête à le suivre partout mais cet amour semble impossible tant Gabriel, malgré sa récente captivité, ne souhaite pas remettre en question son métier de reporter de guerre. Sa vie est sur les terrains minés et cette parenthèse indienne, un refuge temporaire pour renaitre de ses cendres.

Mia Hansen Løve est une cinéaste de la parole et ses films sont souvent bavards et profonds. Ici, si l’on retrouve les thèmes chers à la cinéaste (le renouveau, la résilience), la profondeur émane des corps et c’est l’intériorité de chacun qui nous est révélée à travers leur déambulation, leurs déplacements, leurs regards. Maya est un film éminemment sensuel et lumineux et Gabriel en chevalier solitaire et impénétrable rappelle les héros de western au coeur endurci qui finissent par se raccrocher au monde par la main tendue d’une femme. Maya est aussi son film le plus romanesque, et peut être le plus vibrant, le plus gracieux. Notre regard se confond tour à tour avec celui de Maya et de Gabriel, et nous transporte au cœur de leur voyage, et finalement, au coeur de nous-mêmes.

Qu’elle filme Paris ou Goa, Mia Hansen Løve sait capturer l’essence des lieux, la grâce du mouvement, l’instantanée magie et la force humaine qui nous rassemble. Il suffit de voir la scène où Judith Chemla chante le Lied de Schubert dans un bar parisien où tous les amis de Gabriel sont réunis et fêtent son retour pour s’en convaincre.

Filmé en 35 mm par la directrice de la photographie Hélène Louvart (Heureux comme Lazzaro), Maya offre des plans sublimes, oniriques et solaires, et la caméra, fluide, capture les présences des personnages (en arrière plan comme au premier plan) dans ce qu’ils ont de plus vivant, de plus incarné.  Roman Kolinka est parfait dans ce premier grand rôle et confirme son talent après les deux précédents films de Mia Hansen Løve (L’avenir et Eden). Quant à la jeune Aarshi Banerjee, elle rappelle combien Mia Hansen Løve a raison de dénicher des inconnues même si cela rend plus difficile le montage financier de ses films. C’est ainsi que naissent les miracles et sa présence en est un à l’écran. 

Date de sortie : 19 décembre 2018
Durée : 1h47
Distributeur : Les Films du Losange 

 

 

REVER SOUS LE CAPITALISME : quand la souffrance au travail envahit nos nuits

Après Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés co-réalisé avec Marc-Antoine Roudil, Sophie Bruneau aborde à nouveau la souffrance au travail mais sous le biais de l’intime. Découvert au Cinéma du Réel, Rêver sous le capitalisme introduit Douze rêves d’hommes et de femmes racontés en douze tableaux dans un Bruxelles nocturne et hivernal.

Partant du livre de Charlotte Beradt Rêver sous le III ème Reich,  qui en collectant des rêves des années 30 à Berlin montre combien les régimes politiques influent sur nos rêves, Rêver sous la capitalisme rend compte des rêves de travailleurs traduisant tous un traumatisme ou un dysfonctionnement lié à leur emploi. L’un rêve qu’il doit débarrasser le sol de ses collègues réduits à l’état de morts-vivants à coup de pelle, l’autre entend le bruit incessant du scan de sa caisse à la cadence infernale de la “bonne“ caissière, une autre encore rêve qu’on mure sa fenêtre. Chacun raconte ce qui vient les hanter la nuit et analyse à sa façon la symbolique, souvent très criante, de leurs rêves. Leurs récits sont accompagnés d’une succession de plans fixes de la ville, dans la nuit bruxelloise. On y voit des bureaux désertés, des gares, des open spaces, des parking de supermarchés. Ces décors très réalistes deviennent le théâtre de récits oniriques et traduisent la déshumanisation dont semblent souffrir la plupart, contraints à plus de rendement, et la perte de sens d’un système libéral qui a oublié de se réinventer. La caméra suspend le temps au dessus de ces paysages urbains, montrant ainsi comment le travail s’insinue dans la ville et dans notre moi profond, jusqu’à nous anéantir et nous dévorer à en croire l’un des rêves d’une psychologue.

 

Ce qui frappe le plus dans le film de Sophie Bruneau, au delà de la souffrance flagrante qui s’en dégage, c’est l’impasse dans laquelle notre système nous a plongés, nous abandonnant à un point de non retour où, à force de cloisonnement des taches, nous avons perdu le contrôle. La cinéaste dépasse son sujet d’ordre psychanalytique et dresse un portrait plus large d’une société qui finalement repose sur le désordre et le chaos. Le film finit par ressembler à un cauchemar apocalyptique, une fin d’une ère où les humains occupent l’espace en étant réduits à une mission qu’ils ne comprennent plus. « On est dans une société où on ne voit plus le sens global de ce pour quoi on est là », analyse l’un d’eux.

Au fil du film, la nuit laisse place au jour (on pense au vers de Paul Valéry « le jour se lève, il faut tenter de vivre »). On y découvre des façades de bureaux aux couleurs claires, aux grandes baies vitrées. Ces open spaces laissent passer la lumière mais derrière cette transparence, c’est avant tout l’intimité de chacun qui est annihilée. Seuls trois des personnes interviewées apparaissent à l’écran pour raconter leurs rêves et leurs présences nous rappellent soudain que derrière chaque récit, il y a bel et bien la réalité d’un être, d’une vie, d’un travailleur.

Peurs, fatigues, humiliations, perte d’empathie, suicides, les souffrances sont multiples et le résultat d’un management à l’image de cette architecture désincarnée. Reste notre perspicacité comme seule arme de résistance face à l’absurdité du monde. Rêver sous la capitalisme rejoint la longue liste de documentaires et fictions sur cette thématique de la souffrance au travail mais en prenant une direction plus poétique, plus contemplative, parvient à questionner notre propre inconscient. Et nos rêves, que disent-ils de notre rapport au monde ?

GAME GIRLS ou les “fallen angels“ de Skid Row

En suivant une histoire d’amour chaotique entre deux femmes dans le quartier de Skid Row à Los Angeles, Game girls dresse un portrait intimiste d’une Amérique déchue.

Le film démarre sur une longue logorrhée nocturne de Teri, jeans baggy blanc sous les fesses, qui jure comme une folle et insulte tout le monde. Le décor est planté. Une rue avec des tentes de fortune, des murs taggés, des déchets éparpillés, des âmes perdues dans l’enfer de Skid Row, quartier insalubre et “capitale“ des sans-abri de Los Angeles, renommé “cité des anges déchus“.  Nous sommes très loin de l’image carte postale des villas avec piscine qui caractérise d’habitude L.A. au cinéma.

Teri attend devant la prison où son amoureuse Tiahna est incarcérée depuis plusieurs mois pour trafic de drogue. Pas le choix pour survivre dans ce ghetto. « Faut bien gagner un peu d’argent ». Entre minima sociaux et débrouille solidaire, ces « anges déchus » tentent tant bien que mal d’accepter un destin qui ne laisse que peu d’horizon. Reste l’amour, parfois violent, parfois très tendre qui s’exprime comme une fleur sort du béton.

La réalisatrice Alina Skrzeszewska a vécu plusieurs années à Skid Row où elle a tourné son premier documentaire Song from the Nickel en 2010. Elle connait donc bien ce quartier, ces hommes et ces femmes  brisés. C’est en montant des ateliers d’art thérapie avec ces femmes, que la cinéaste a rencontré Teri. De son histoire d’amour avec Tiahna a émergé l’idée d’un film, à la fois portrait collectif d’une population en marge et récit d’un amour aussi tumultueux que salvateur.  Lors de ces ateliers, les paroles des femmes de Skid Row se libèrent. Elles ont vécu des tragédies familiales inconcevables. Chacune tour à tour raconte ses blessures, ses traumas en mettant en scène des petites figurines. Au-delà de l’émotion qui traverse ces confessions,  les scènes d’atelier dévoile le terrible sort auxquelles leurs vies semblent les avoir condamnées d’avance.

Alina Skrzeszewska a su trouver la bonne distance, celle qui lui permet de filmer ce couple atypique et bancal comme elle l’aurait fait dans une fiction. Elle sait aussi éloigner sa caméra et éviter ce qui pourrait devenir de la condescendance. Si parfois leur accoutrement ou leur manière violente de se parler peut prêter à sourire ou nous embarrasser une demi seconde, on est très vite rattrapé par leur histoire, leurs présences, leur combat pour se débattre dans cette jungle entre espoir, amour et déchirement. En filmant les deux amantes écorchées, Game girls, loin de tout jugement, témoigne de leur calvaire tout en réhabilitant leur dignité d’êtres humains animés par le même moteur universel : l’amour.

Le film évoque également le mouvement né en 2013 Black Lives matter, les violences policières subies, les souffrances et difficultés incommensurables qui ponctuent leur quotidien et les détours presque inévitables vers la case prison. Comment survivre dans un lieu qui ne promet rien de meilleur ? Comment continuer à aimer et à croire en la vie ? L’une des réponses de Game Girls semble se trouver dans la solidarité et la bienveillance qui continue de les relier au monde.

Date de sortie : 21 novembre 2018
Distribution : Vendredi distribution
Durée : 1h25

ARRAS FILM FESTIVAL : Hommage à l’un des derniers grands critiques, Michel Ciment

Retour sur cette avant-dernière  journée de samedi marquée par la rencontre  avec l’un des invités, et pas le moindre, le critique et historien du cinéma Michel Ciment. Le Arras Film Festival a souhaité lui rendre un bel hommage en lui offrant une carte blanche et en organisant une rencontre animée par Jean Claude Raspiengeas, autre critique reconnu (La Croix), rencontre précédée par la projection du très beau portrait de Simone Lainé, Michel Ciment le cinéma en partage. L’occasion de s’interroger sur l’avenir de la critique et parler cinéma.

(c) Aurélie Lamachere

Michel Ciment est un habitué d’Arras où il a animé bon nombre de masterclass (John Boorman en 2008) ou de séances spéciales (2001 l’Odyssée de l’espace en 2012). Il faut dire que Michel Ciment est à la critique ce qu’Orson Welles est au cinéma : une référence incontournable. Formidable conteur, Michel Ciment est avant tout un explorateur infatigable avant d’être un passeur. Rappelons qu’il a découvert notamment Quentin Tarantino ou Steven Soderbergh à l’époque où personne ne les connaissait. Rappelons aussi qu’il a contribué à sortir de l’ombre grand nombre de grands cinéastes asiatiques comme Hou Hsiao-hsien. Ciment, c’est aussi une mémoire du cinéma à lui tout seul (il a rencontré les derniers grands d’Hollywood de leur vivant, de Kazan à Billy Wilder ou Mankiewicz), à l’instar de deux grands amis, Bertrand Tavernier et le regretté Pierre Rissient.  Et enfin un précurseur et non un suiveur. A l’époque de la sortie de 2001, Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, il fut le seul à défendre le film là où la critique l’avait assassiné. Cela parait inconcevable aujourd’hui tant le film est hissé au statut de chef d’oeuvre.

Michel Ciment a cinq ans quand il découvre ses premiers films. Adolescent, il s’amuse à écrire dans un cahier quelques lignes sur les films de plus en plus nombreux qu’il découvre. Une vocation est née même s’il reconnait que Truffaut n’a pas tort quand il dit que personne ne se rêve en critique de cinema. Pourtant Ciment avoue n’avoir jamais eu de velléité de faire des films. C’est donc sans l’amertume de l’artiste raté qu’il défend les films des autres. Après une Khâgne, Michel Ciment devient maître de conférences en civilisation américaine à Paris 7. Sa culture immense ne s’arrête donc pas au seul septième art et est le fruit de son insatiable curiosité. Mais ce que chérit Ciment avant tout, c’est l’idée de partager aux autres ses découvertes. D’où le très beau titre du documentaire de Simone Lainé : Le cinéma en partage (titre repris pour le très beau livre d’entretiens avec un autre grand cinéphile, N.T. Bihn).

Auteur de nombreux ouvrages de référence sur Stanley Kubrick, Joseph Losey, Elia Kazan, Fransesco Rosi, John Boorman ou Jane Campion, et d’entretiens fleuves avec les grands du cinéma, Michel Ciment s’est depuis 60 ans taillé une réputation internationale et tous les grands réalisateurs du cinéma hollywoodien, asiatique, européen sont unanimes pour l’élever au rang des critiques indispensables à cet art. Quentin Tarantino dit d’ailleurs de lui : « Tant que le cinéma a Michel Ciment, le cinéma va bien ». Les témoignages des réalisateurs interviewés dans le film de Simone Lainé abondent dans ce sens. Arnaud Desplechin souligne la faculté unique de Ciment à voir et décrypter ce que parfois les réalisateurs eux-mêmes ne voient pas dans leurs propres films. Michel Ciment au delà d’être un découvreur, est aussi un critique acerbe, au regard aiguisé, ce qui évidemment ouvre la question de la critique aujourd’hui. Selon lui, il devrait exister une certification pour devenir critique qui validerait un certain niveau de connaissances cinématographiques. « Certains ont tendance à oublier que le cinéma ne commence pas à Steven Spielberg ».

Depuis ses débuts il y a 40 ans à la Revue Positif (où, faut-il le rappeler, tous les contributeurs sont des bénévoles passionnés) à ses émissions radio (la très regrettée émission du samedi Projection privée sur France Culture et Lemasque et la plume qui lui vaut le titre de doyen de l’émission culte de France Inter), Michel Ciment s’évertue depuis 40 ans à défendre le cinéma avec beaucoup de virulence, et parfois d’intolérance.« Pour être critique, il faut faire preuve de conviction, dans nos coups de coeur comme dans nos déceptions ». Dans la préface à son essai sur le cinéma hollywoodien, Emmanuel Carrère dit de lui que peu importe qu’il vous ait vu hier ou il y a longtemps, Ciment ne vous demandera pas comment vous allez mais vous conseillera avant un film à aller voir. Jean Claude Raspiengeas qui le croise régulièrement le confirme.

Raspiengeas l’interroge sur la querelle fameuse entre Les Cahiers et Positif. « Les Cahiers étaient à droite quand nous étions à gauche. Je suis toujours resté à gauche même si aujourd’hui je juge davantage les gens à leurs actes qu’à leurs idées ». Querelle de pensées profondes donc, les deux revues ne défendaient pas le même cinéma. Raspiengeas continue en demandant à Ciment ce qui fait selon lui un bon film. « Le sens du rythme. Et l’image. Le cinéma est un art total et visuel avant tout. » En effet, qu’est ce que le cinéma à part cet art de traduire le temps et de de représenter le monde ? A la question pourquoi vous aimez autant le cinéma, Michel Ciment répond d’ailleurs que c’est pour sa faculté de contenir le monde dans un écran.

La rencontre est entrecoupée d’apparitions « surprises », nouvelle preuve s’il en faut de son incroyable influence et aura sur les réalisateurs/rices du monde entier. Ainsi a-t-on pu découvrir les visages de Wim Wenders, Jerry Schatzberg, Atom Egoyan, Jane Campion et Jeff Nichols témoigner de leur amitié et de leur admiration. Ciment plaisante sur le fait que cela commence à ressembler à un embaumement.  Rien de tout cela évidemment, juste un vibrant hommage rendu à un grand monsieur.

ARRAS FILM FESTIVAL : Amanda, Pupille, Sibel et Tel Aviv on fire

Septième jour très intense au Arras Film Festival autour de deux films particulièrement émouvants ce matin, Pupille de Jeanne Herry et Amanda de Mikhaël Hers, suivis d’une masterclass avec Pascale Ferran, d’une douceur palestinienne au bon goût de houmous (Tel Aviv on fire) et d’un portrait de femme puissant (Sibel). Retour sur cette deuxième journée.

PUPILLE de Jeanne Herry

Alice (très touchante Elodie Bouchez) ne peut pas avoir d’enfant. Ce n’est pas faute d’avoir essayé avec son compagnon duquel elle s’est depuis séparée. Théo vient de naitre mais sa mère préfère le confier à l’adoption. Karine (Sandrine Kiberlain) éducatrice spécialisée prend le relai et demande à Jean (Gilles Lellouche), assistant familial, d’accueillir Théo en attendant que Lydie (Olivia Côte) lui trouve une maman d’adoption.

En retraçant toutes les étapes et les mouvements mis en oeuvre pour le placement d’un enfant né sous X, Pupille raconte avec beaucoup de justesse et d’émotion le parcours du combattant des parents adoptants et l’énergie déployée par chacun pour trouver la solution la plus heureuse pour l’enfant. Car c’est bien de lui qu’il s’agit avant tout et en cela le film touche en plein coeur. Chacun s’efforce de poser les bons mots, de ne pas laisser dans l’ombre le drame initial de sa naissance. « Il ne va rien comprendre » dit la mère alors que l’assistante sociale l’incite à parler à son bébé.  Aujourd’hui on a compris qu’il fallait parler aux bébés, leur expliquer l’inexplicable pour ne pas les envoyer dans la vie avec cette plaie ouverte. C’est avec pudeur et réalisme documentaire que Jeanne Herry suit chacun de ses personnages dans leur mission mais aussi dans les coulisses de leur propre vie. Chacun s’efforce de faire son travail au mieux pour répondre à un seul objectif : trouver les meilleurs parents possibles. En les suivant ainsi dans leur quotidien, la réalisatrice les replace à leur position d’homme et de femme avec leurs propres failles, leurs doutes, leurs intuitions. Il n’y a pas de solution magique, mais une chaine humaine déterminée à accompagner un enfant dans les instants où il est le plus vulnérable et l’aider à se construire autrement.  Un hymne à l’amour et à la vie vibrant.

AMANDA de Mikhaël Hers

Après Ce sentiment de l’été où déjà  le cinéaste s’intéressait avec délicatesse à la question du deuil, Mikhaël Hers revient avec ce troisième film à un portrait sensible d’un jeune homme se retrouvant seule avec sa nièce suite à la disparition brutale de sa soeur.

David (Vincent Lacoste, de plus en plus épatant) a 24 ans et s’occupe de gérer les accueils locatifs pour un propriétaire quand il n’est pas élagueur pour la Mairie de Paris. Sa soeur Sandrine est prof d’anglais et élève seule sa fille Amanda. Elevés par leur père après le départ de leur mère, David et sa soeur sont très soudés.  David rencontre Léna et son coeur bat la chamade. Sandrine aussi a rencontré quelqu’un. Amanda démarre comme une histoire simple de fraternité et d’amour avant que tout ne vole en éclat.

Mikhaël Hers a l’air obsédé par les morts violentes, de celles qui vous tombent dessus sans crier gare. Dans Ce sentiment de l’été, le personnage succombait à un AVC, ici à un attentat. On retrouve d’ailleurs dans le film la même ambiance qu’après le Bataclan à la différence de saison près. Tout semble normal et pourtant quelque chose dans le paysage a changé. Paris est désormais une ville sous hyper protection, et chacun s’efforce de s’habituer à cette possible menace.

Ce cinéaste aime filmer les lumières d’été et les déambulations dans les parcs, celui du bord du lac d’Annecy dans Ce sentiment de l’été, ou ceux de Paris et New York. C’est peut être parce que ces déambulations estivales permettent de suspendre le temps au-dessus de nos vies,  nous offrant une trêve dans ce flot d’obligations qu’implique le fait d’être vivant. L’un part, les autres restent et doivent apprendre à continuer, à aimer, à aller à l’école, à élaguer les arbres et à prendre des décisions difficiles comme celle de garder ou non une fillette de sept ans (formidable Isaure Multrier).

On se sent bien dans les films de Mikhaël Hers, on se sent en famille de coeur. Ses personnages entre extrême bienveillance et intelligence traversent les épreuves du temps sans d’autre choix qu’avancer et le cinéaste traduit très bien ce qui fait le sel de la vie, des terribles drames aux petits gestes qui nous relient au monde. Tant qu’il y a de la grâce, rien n’est jamais “plié“ pour reprendre l’expression “Elvis has left the building“ que Sandrine explique à sa fille. Un film profond et lumineux.

SIBEL de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Tourné dans un village perché en haut des montagnes du nord est de la Turquie, SIBEL est le portrait d’une femme muette qui s’exprime dans la langue sifflée du village. Elle vit avec son père et sa soeur, et son handicap lui octroie une liberté singulière dans cette société patriarcale : son père la laisse passer ses journées dans la forêt, fusil à l’épaule. Sauvage et entêtée, Sibel espère chasser le loup et recouvrir le respect du village. Mais le loup sur lequel elle tombe s’appelle Ali. Fugitif recherché, Ali va trouver en Sibel un allié précieux.

Fable initiatique, Sibel est un portrait de femme rare au cinéma, d’une femme éprise de liberté et de reconnaissance, dans un lieu reculé du monde où les traditions aveuglent les gens. La caméra suit chacun de ses gestes de façon organique et devient le prolongement de son regard vert absolument renversant. Sibel voit le monde différemment et si elle accepte certains codes (rentrer à l’heure pour préparer le diner de son veuf de père, travailler aux champs, laver le linge familial), elle est tout autre quand elle rejoint son refuge, sa cabane au fond des bois. On vit au rythme de son souffle, on est suspendu à ses sifflets, à ses yeux expressifs, à son corps agile qui sautille dans les feuillages. Un film puissant et hypnotique.

TEL AVIV ON FIRE de Sameh Zouabi

Sur fond de soap opera, Tel Aviv on fire aborde le conflit israélo-palestinien sous le signe de l’humour. Pari risqué mais relevé.

 

Salem est palestinien et travaille en tant que stagiaire pour un soap opéra. Tous les jours il traverse le check point pour atteindre les studios jusqu’au jour où il est arrêté et contraint par le commandant Assi dont la femme est fan du feuilleton à modifier le cours de l’histoire.

Jouant des codes visuels clinquants du soap opéra, Tel Aviv on fire dépasse la simple comédie pour raconter en filigrane toutes les problématiques liées à ce conflit territorial qui dure depuis tant d’années. Les traits grossis par le biais du feuilleton dénoncent pourtant très bien sans parti pris toute la complexité de la situation entre Israël et Palestine. En fantasmant sur le mariage des deux personnages, l’un israélien, l’autre palestinienne, chacun rêve d’une trêve. Alors, chimère à l’eau de rose ou possible lendemain ? Grand prix au Festival international de Saint Jean de Luz.