SERIES MANIA, une première journée sous le signe de la parole décomplexée

Les rues de Lille sont aux couleurs de Séries Mania. Un bus d’accueil sur la place de l’Opéra, des affiches violettes partout et beaucoup de monde. Retour sur cette première journée où l’on a pu découvrir deux séries de format court et les deux premiers épisodes de la série britannique Flack en présence de son interprète et co-productrice, Anna Paquin. Trois séries qui ont en commun de mettre en scène des personnages qui n’ont pas la langue dans leur poche !

PEOPLE TALKING (Gente hablando) d’Álvaro Carmona

Ce premier programme de formats courts a démarré avec une série espagnole avec comme fil conducteur un dialogue entre deux personnages. Le créateur Álvaro Carmona explique d’ailleurs en introduction à la séance, que ce qu’il aime le plus dans les séries sont les scènes de confrontation entre deux personnages. Dans un décor minimaliste, chaque épisode de huit minutes met en scène des saynètes à deux voix : un rendez-vous Tinder, une requête à un prêtre pour le moins inattendue, une discussion parentale sur l’avenir d’un enfant ou une visite d’un voisin pas tout à fait courtoise.

Ce qui touche autant qu’amuse dans People talking, c’est la sincérité avec laquelle les personnages prennent la parole. Partant d’une situation plutôt banale, la série tourne vite au dialogue idéal, à la répartie parfaite, et fantasme avec humour ce que la bienséance nous empêche de dire réellement. Ainsi dans le tout premier épisode également interprété par son créateur et scénariste, un homme se retrouve accoudé au bar avec une femme qu’il a rencontrée sur Tinder. Sauf qu’il ne la reconnait pas physiquement. Discrètement il lui dit qu’il doit vérifier un message sur son téléphone mais la femme le coupe : « si tu veux vérifier ma photo, ce n’est pas la peine, ce n’est effectivement pas moi ! ». Au lieu de continuer à mentir, la femme lui avoue directement qu’elle a utilisé une autre photo pour attirer des hommes. « En même temps, tout le monde ment un peu sur Tinder ». Alors qu’est ce qui, est plus important ? De tricher sur son avatar ou de se  rencontrer pour de vrai en oubliant ces échanges virtuels mensongers qui servent de préliminaire ? Les dialogues sont enlevés et ont de réjouissant le fait de ressembler de très près à ce qu’on aimerait dire dans pareille situation mais qu’on ne dit jamais.

STATE OF THE UNION de Nick Hornby

Le deuxième programme est écrit par Nick Hornby et réalisé par Stephen Frears qui a déjà adapté Hornby avec High Fidelity en 2000.  Ici aussi, on est dans un format très court (10 minutes) impliquant deux personnages et un décor minimaliste. State of the union est l’histoire d’un couple qui, pour se relever de la crise qu’ils traversent, suivent une thérapie. Chaque semaine ils se retrouvent dans un pub avant leur séance pour débriefer ensemble de ce qu’ils vont pouvoir et vouloir aborder. Les dialogues sont vifs, piquants et tragiquement drôles. D’après Tom, s’ils en sont arrivés là c’est bien à cause de Louise et de son infidélité. Mais pour Louise, son aventure n’est que le résultat de l’échec de leur couple et de leur absence de sexualité. Chacun voit midi à sa porte et les échanges soulignent parfaitement les désaccords et les dysfonctionnements finalement très universels de leur mariage. Au fil des épisodes, on comprend davantage quel couple ils formaient et ce qui a pu les éloigner. On ressent aussi ce qui les relie et les pousse à se battre même si parfois Tom semble baisser les bras, ce que ne manque pas de relever Louise quitte à lui casser (le bras). Les petites lâchetés, les faiblesses, les coups bas comme les preuves d’amour flagrantes se ressentent à travers des dialogues particulièrement affûtés qui abordent aussi des questions très actuelles comme le Brexit, le désir dans le couple (comparé à un stylo ou des clés qu’on aurait égarées) ou la responsabilité de chacun dans le désamour qui nous pend au nez. Quatre premiers épisodes à la hauteur qui donnent envie de découvrir les six autres de cette mini série.

FLACK d’Oliver Lansley avec Anna Paquin

Voilà une série qu’on attendait de pied ferme dans la sélection Panorama international ! Flack dresse le portrait de Robyn, femme aussi déjantée que paumée. Robyn travaille pour une agence de relations publiques et gère des situations de crises pour des célébrités. Elle intervient pour soigner l’image de ses clients et les sortir d’impasses ou éviter les rumeurs désastreuses liées à l’overdose d’un amant de passage ou aux infidélités multiples d’un chef cuisinier. Robyn gère tous ces « challenges » comme elle préfère les appeler avec une facilité déconcertante. Mais quand il s’agit de sa propre vie, elle ne gère plus grand chose, ment sans merci, sniffe de la poudre dès que possible, s’enferme dans les toilettes pour prendre la pilule en cachette de son petit ami avec qui elle est censée faire un enfant et fait passer son beau frère pour un porn addict juste pour se couvrir.

Anna Paquin connue notamment pour X men et True Blood, était à Lille pour présenter en avant-première cette série créée et écrite par Oliver Lansley (présent également). Si la tonalité trash s’avère souvent drôle, on reprochera néanmoins à la série d’être un peu trop caricaturale notamment au travers de ses personnages secondaires comme celui d’Eve, la collègue de Robyn, narcissique, pédante et cynique qui, certes donne lieu à des bonnes punchlines, mais ne permet pas de s’identifier aux personnages et donc de s’y attacher. Flack est “too much“, et on aurait aimé se reconnaitre davantage dans le déploiement des aventures de son héroïne. On pense parfois à une autre série anglaise, Fleabag, et on regrette son ton plus authentique. Flack grossit trop le trait et ce portrait entre immoralité et irrévérence finit par ne plus être si drôle. Pourtant Anna Paquin est formidable tout comme le reste du casting, l’écriture est enlevée mais le tout manque de naturel sans pour autant relever du registre de la comédie pure. Après avoir découvert les deux premiers épisodes, pas si sûre d’avoir envie de continuer à suivre les aventures de Robyn et ses acolytes.

SERIES MANIA, le festival 100% séries est de retour !

Pour la deuxième année consécutive le Festival Séries Mania entièrement dédié aux séries se tiendra à Lille du 22 au 30 mars prochain et je n’allais pas manquer ça !

Créé à Paris en 2010 par Laurence Herszberg l’ex directrice du Forum des images, le Festival présente en avant-premières les plus grandes séries du monde entier et accueille trois compétitions : officielle, française et formats courts. Un panorama international vient compléter la programmation ainsi que des nouvelles saisons inédites. Alors partants pour découvrir la programmation riche de 70 séries ?

La Compétition officielle

Parmi les dix films sélectionnés cette année, trois nous viennent du Royaume Uni : Baghdad Central de Stephen Butchard sur les évenements en Irak suite à la chute de Saddam Hussein, Chimerica de Lucy Kirkwood un polar géopolitique et le prometteur The Virtues de Shane Meadows (à qui l’on doit l’excellent This is England) qui dresse le portrait d’un homme dont les sombres souvenirs d’enfance ressurgissent. La bo est signée PJ Harvey et le personnage principal est interprété par le formidable Stephen Graham (Al Capone dans Boardwalk empire). Les Etats Unis sont quant à eux représentés par la série Netflix Chambers de Leah Rachel avec Uma Thurman qui nous fait l’honneur de sa présence à Lille où elle donnera également une masterclass. Chambers raconte l’histoire d’une femme ayant subi une transplantation cardiaque et qui se met à la recherche du passé de sa donneuse. Intrigant !

The virtues de Shane Meadows

La France n’est pas en reste avec deux séries, Eden de Dominik Moll, le réalisateur de Harry un ami qui vous veut du bien qui aborde le thème des migrants et Mytho de Fabrice Gobert, l’auteur des plebiscités Revenants, avec la talentueuse et trop rare Marina Hands et Mathieu Demy. Le titre parle de lui même.

Sont également représentés la Russie avec Identification de Valery Fedorovich et Evgeny Nikishov, Israël avec Just for Today de Nir Bergman et Ram Nehari, La Norvège avec Twin de Kristoffer Metcalfe et l’Australie avec Lambs of God de Marele Day.

Le jury de cette compétition est présidé par Marty Noxon la scénariste-productrice  de Sharps objects (HBO) et Dietland (AMC). Elle sera accompagnée par “The Good wife“ Julianna Margulies, l’actrice Audrey Fleurot, l’écrivaine Delphine de Vigan et le réalisateur Thomas Litli (Première année).

La compétition française

Au programme de cette compétition française, des séries explorant plusieurs genres : futuriste (Osmosis avec Agathe Bonitzer), fantastique (Une ile avec Laetitia Casta), apocalyptique (La dernière vague de Raphaëlle Roudaut et Alexis Le Sec), policière (Soupçons avec Julie Gayet et Double je) et enfin une comédie qui a l’air tout à fait réjouissante, Le grand bazar de Baya Kasmi co-écrit avec son binôme Michel Leclerc. On y retrouvera Grégory Montel (alias Gabriel de Dix pour cent) dans une histoire de famille mixte et recomposée.

Le grand bazar de Baya Kasmi

Les nouvelles saisons inédites

Vous êtes fans de The OA ou The Good doctor ? Séries Mania propose de découvrir en exclusivité les premiers épisodes des saisons à venir de ces deux séries cultes mais aussi ceux des séries françaises Irresponsable, Clem (la série de TF1) et Mission. Mais la vraie bonne nouvelle (en tout cas pour moi !), c’est la perspective de découvrir la saison 2 de la série britannique désopilante Fleabag qui sera bientôt adaptée en France et campée par Camille Cottin (qui décidément est partout !).

Panorama international

Pas moins de quinze séries du monde entier ont été retenues dans cette sélection qui dessine un beau paysage mondial des séries. Ainsi pourra t-on découvrir MotherFatherSon écrit par Tom Rob Smith, le scénariste de American story II (Gianni Versace), Success la série du croate Danis Tanović (No man’s land), le film israélien Asylum city, Les misérables revisités pour la BBC, une série coréenne d’horreur The guest et Monzon, série argentine tirée d’une histoire vraie sur un boxer célèbre dont la femme est retrouvée morte.

Une autre série anglaise a également attiré notre attention : Flack d’Anna Paquin (X-Men, True Blood). Flack met en scène une femme successful le jour, en vrac la nuit. Si elle excelle dans son job de chargée de relations publiques, Robyn a une vie personnelle proche du naufrage. Interprété par sa créatrice Anna Paquin, Flack rejoint la liste des séries drôles et sensibles autour d’un portrait de femme sans fard.

Flack d’Anna Pakin

Rencontres et autres réjouissances

Et ce n’est pas tout ! Le Festival Séries Mania propose aussi une nuit Game of Thrones avec la diffusion d’un épisode phare de chaque saison, un “Best of USA“ où l’on pourra voir des épisodes de Sharp objects de Jean-Marc Vallée, The twilight zone, Black Monday, Warrior, I am the Night de Sam Sheridan ou la série d’Amazon Homecoming avec Julia Roberts. Les fans de Twilight zone auront même la surprise de pouvoir rencontrer Adam Scott, présent pour l’occasion.

Côté rencontres, Séries Mania nous gâte. Les invités d’honneur de cette édition ne sont autres que Uma Thurman (la classe !), Freddie Highmore (Bates hotel et The good doctor), Eric Rochant et Hugo Blick pour un dialogue croisé sur les séries d’espionnage et Yves renier (célèbre Commissaire Moulin) qui présentera Pour tout l’or du Transvaal.

Une édition très prometteuse donc qui n’oublie pas les professionnels avec  SERIES MANIA FORUM. Rappelons que ce festival est ouvert au public et entièrement gratuit. Vivement le printemps qui cette année sonnera le début des festivités !

Tous les détails à retrouver sur le site de SERIES MANIA

ARRAS FILM FESTIVAL : Hommage à l’un des derniers grands critiques, Michel Ciment

Retour sur cette avant-dernière  journée de samedi marquée par la rencontre  avec l’un des invités, et pas le moindre, le critique et historien du cinéma Michel Ciment. Le Arras Film Festival a souhaité lui rendre un bel hommage en lui offrant une carte blanche et en organisant une rencontre animée par Jean Claude Raspiengeas, autre critique reconnu (La Croix), rencontre précédée par la projection du très beau portrait de Simone Lainé, Michel Ciment le cinéma en partage. L’occasion de s’interroger sur l’avenir de la critique et parler cinéma.
(c) Aurélie Lamachere

Michel Ciment est un habitué d’Arras où il a animé bon nombre de masterclass (John Boorman en 2008) ou de séances spéciales (2001 l’Odyssée de l’espace en 2012). Il faut dire que Michel Ciment est à la critique ce qu’Orson Welles est au cinéma : une référence incontournable. Formidable conteur, Michel Ciment est avant tout un explorateur infatigable avant d’être un passeur. Rappelons qu’il a découvert notamment Quentin Tarantino ou Steven Soderbergh à l’époque où personne ne les connaissait. Rappelons aussi qu’il a contribué à sortir de l’ombre grand nombre de grands cinéastes asiatiques comme Hou Hsiao-hsien. Ciment, c’est aussi une mémoire du cinéma à lui tout seul (il a rencontré les derniers grands d’Hollywood de leur vivant, de Kazan à Billy Wilder ou Mankiewicz), à l’instar de deux grands amis, Bertrand Tavernier et le regretté Pierre Rissient.  Et enfin un précurseur et non un suiveur. A l’époque de la sortie de 2001, Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, il fut le seul à défendre le film là où la critique l’avait assassiné. Cela parait inconcevable aujourd’hui tant le film est hissé au statut de chef d’oeuvre.

Michel Ciment a cinq ans quand il découvre ses premiers films. Adolescent, il s’amuse à écrire dans un cahier quelques lignes sur les films de plus en plus nombreux qu’il découvre. Une vocation est née même s’il reconnait que Truffaut n’a pas tort quand il dit que personne ne se rêve en critique de cinema. Pourtant Ciment avoue n’avoir jamais eu de velléité de faire des films. C’est donc sans l’amertume de l’artiste raté qu’il défend les films des autres. Après une Khâgne, Michel Ciment devient maître de conférences en civilisation américaine à Paris 7. Sa culture immense ne s’arrête donc pas au seul septième art et est le fruit de son insatiable curiosité. Mais ce que chérit Ciment avant tout, c’est l’idée de partager aux autres ses découvertes. D’où le très beau titre du documentaire de Simone Lainé : Le cinéma en partage (titre repris pour le très beau livre d’entretiens avec un autre grand cinéphile, N.T. Bihn).

Auteur de nombreux ouvrages de référence sur Stanley Kubrick, Joseph Losey, Elia Kazan, Fransesco Rosi, John Boorman ou Jane Campion, et d’entretiens fleuves avec les grands du cinéma, Michel Ciment s’est depuis 60 ans taillé une réputation internationale et tous les grands réalisateurs du cinéma hollywoodien, asiatique, européen sont unanimes pour l’élever au rang des critiques indispensables à cet art. Quentin Tarantino dit d’ailleurs de lui : « Tant que le cinéma a Michel Ciment, le cinéma va bien ». Les témoignages des réalisateurs interviewés dans le film de Simone Lainé abondent dans ce sens. Arnaud Desplechin souligne la faculté unique de Ciment à voir et décrypter ce que parfois les réalisateurs eux-mêmes ne voient pas dans leurs propres films. Michel Ciment au delà d’être un découvreur, est aussi un critique acerbe, au regard aiguisé, ce qui évidemment ouvre la question de la critique aujourd’hui. Selon lui, il devrait exister une certification pour devenir critique qui validerait un certain niveau de connaissances cinématographiques. « Certains ont tendance à oublier que le cinéma ne commence pas à Steven Spielberg ».

Depuis ses débuts il y a 40 ans à la Revue Positif (où, faut-il le rappeler, tous les contributeurs sont des bénévoles passionnés) à ses émissions radio (la très regrettée émission du samedi Projection privée sur France Culture et Lemasque et la plume qui lui vaut le titre de doyen de l’émission culte de France Inter), Michel Ciment s’évertue depuis 40 ans à défendre le cinéma avec beaucoup de virulence, et parfois d’intolérance.« Pour être critique, il faut faire preuve de conviction, dans nos coups de coeur comme dans nos déceptions ». Dans la préface à son essai sur le cinéma hollywoodien, Emmanuel Carrère dit de lui que peu importe qu’il vous ait vu hier ou il y a longtemps, Ciment ne vous demandera pas comment vous allez mais vous conseillera avant un film à aller voir. Jean Claude Raspiengeas qui le croise régulièrement le confirme.

Raspiengeas l’interroge sur la querelle fameuse entre Les Cahiers et Positif. « Les Cahiers étaient à droite quand nous étions à gauche. Je suis toujours resté à gauche même si aujourd’hui je juge davantage les gens à leurs actes qu’à leurs idées ». Querelle de pensées profondes donc, les deux revues ne défendaient pas le même cinéma. Raspiengeas continue en demandant à Ciment ce qui fait selon lui un bon film. « Le sens du rythme. Et l’image. Le cinéma est un art total et visuel avant tout. » En effet, qu’est ce que le cinéma à part cet art de traduire le temps et de de représenter le monde ? A la question pourquoi vous aimez autant le cinéma, Michel Ciment répond d’ailleurs que c’est pour sa faculté de contenir le monde dans un écran.

La rencontre est entrecoupée d’apparitions « surprises », nouvelle preuve s’il en faut de son incroyable influence et aura sur les réalisateurs/rices du monde entier. Ainsi a-t-on pu découvrir les visages de Wim Wenders, Jerry Schatzberg, Atom Egoyan, Jane Campion et Jeff Nichols témoigner de leur amitié et de leur admiration. Ciment plaisante sur le fait que cela commence à ressembler à un embaumement.  Rien de tout cela évidemment, juste un vibrant hommage rendu à un grand monsieur.

ARRAS FILM FESTIVAL : Amanda, Pupille, Sibel et Tel Aviv on fire

Septième jour très intense au Arras Film Festival autour de deux films particulièrement émouvants ce matin, Pupille de Jeanne Herry et Amanda de Mikhaël Hers, suivis d’une masterclass avec Pascale Ferran, d’une douceur palestinienne au bon goût de houmous (Tel Aviv on fire) et d’un portrait de femme puissant (Sibel). Retour sur cette deuxième journée.

PUPILLE de Jeanne Herry

Alice (très touchante Elodie Bouchez) ne peut pas avoir d’enfant. Ce n’est pas faute d’avoir essayé avec son compagnon duquel elle s’est depuis séparée. Théo vient de naitre mais sa mère préfère le confier à l’adoption. Karine (Sandrine Kiberlain) éducatrice spécialisée prend le relai et demande à Jean (Gilles Lellouche), assistant familial, d’accueillir Théo en attendant que Lydie (Olivia Côte) lui trouve une maman d’adoption.

En retraçant toutes les étapes et les mouvements mis en oeuvre pour le placement d’un enfant né sous X, Pupille raconte avec beaucoup de justesse et d’émotion le parcours du combattant des parents adoptants et l’énergie déployée par chacun pour trouver la solution la plus heureuse pour l’enfant. Car c’est bien de lui qu’il s’agit avant tout et en cela le film touche en plein coeur. Chacun s’efforce de poser les bons mots, de ne pas laisser dans l’ombre le drame initial de sa naissance. « Il ne va rien comprendre » dit la mère alors que l’assistante sociale l’incite à parler à son bébé.  Aujourd’hui on a compris qu’il fallait parler aux bébés, leur expliquer l’inexplicable pour ne pas les envoyer dans la vie avec cette plaie ouverte. C’est avec pudeur et réalisme documentaire que Jeanne Herry suit chacun de ses personnages dans leur mission mais aussi dans les coulisses de leur propre vie. Chacun s’efforce de faire son travail au mieux pour répondre à un seul objectif : trouver les meilleurs parents possibles. En les suivant ainsi dans leur quotidien, la réalisatrice les replace à leur position d’homme et de femme avec leurs propres failles, leurs doutes, leurs intuitions. Il n’y a pas de solution magique, mais une chaine humaine déterminée à accompagner un enfant dans les instants où il est le plus vulnérable et l’aider à se construire autrement.  Un hymne à l’amour et à la vie vibrant.

AMANDA de Mikhaël Hers

Après Ce sentiment de l’été où déjà  le cinéaste s’intéressait avec délicatesse à la question du deuil, Mikhaël Hers revient avec ce troisième film à un portrait sensible d’un jeune homme se retrouvant seule avec sa nièce suite à la disparition brutale de sa soeur.

David (Vincent Lacoste, de plus en plus épatant) a 24 ans et s’occupe de gérer les accueils locatifs pour un propriétaire quand il n’est pas élagueur pour la Mairie de Paris. Sa soeur Sandrine est prof d’anglais et élève seule sa fille Amanda. Elevés par leur père après le départ de leur mère, David et sa soeur sont très soudés.  David rencontre Léna et son coeur bat la chamade. Sandrine aussi a rencontré quelqu’un. Amanda démarre comme une histoire simple de fraternité et d’amour avant que tout ne vole en éclat.

Mikhaël Hers a l’air obsédé par les morts violentes, de celles qui vous tombent dessus sans crier gare. Dans Ce sentiment de l’été, le personnage succombait à un AVC, ici à un attentat. On retrouve d’ailleurs dans le film la même ambiance qu’après le Bataclan à la différence de saison près. Tout semble normal et pourtant quelque chose dans le paysage a changé. Paris est désormais une ville sous hyper protection, et chacun s’efforce de s’habituer à cette possible menace.

Ce cinéaste aime filmer les lumières d’été et les déambulations dans les parcs, celui du bord du lac d’Annecy dans Ce sentiment de l’été, ou ceux de Paris et New York. C’est peut être parce que ces déambulations estivales permettent de suspendre le temps au-dessus de nos vies,  nous offrant une trêve dans ce flot d’obligations qu’implique le fait d’être vivant. L’un part, les autres restent et doivent apprendre à continuer, à aimer, à aller à l’école, à élaguer les arbres et à prendre des décisions difficiles comme celle de garder ou non une fillette de sept ans (formidable Isaure Multrier).

On se sent bien dans les films de Mikhaël Hers, on se sent en famille de coeur. Ses personnages entre extrême bienveillance et intelligence traversent les épreuves du temps sans d’autre choix qu’avancer et le cinéaste traduit très bien ce qui fait le sel de la vie, des terribles drames aux petits gestes qui nous relient au monde. Tant qu’il y a de la grâce, rien n’est jamais “plié“ pour reprendre l’expression “Elvis has left the building“ que Sandrine explique à sa fille. Un film profond et lumineux.

SIBEL de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti

Tourné dans un village perché en haut des montagnes du nord est de la Turquie, SIBEL est le portrait d’une femme muette qui s’exprime dans la langue sifflée du village. Elle vit avec son père et sa soeur, et son handicap lui octroie une liberté singulière dans cette société patriarcale : son père la laisse passer ses journées dans la forêt, fusil à l’épaule. Sauvage et entêtée, Sibel espère chasser le loup et recouvrir le respect du village. Mais le loup sur lequel elle tombe s’appelle Ali. Fugitif recherché, Ali va trouver en Sibel un allié précieux.

Fable initiatique, Sibel est un portrait de femme rare au cinéma, d’une femme éprise de liberté et de reconnaissance, dans un lieu reculé du monde où les traditions aveuglent les gens. La caméra suit chacun de ses gestes de façon organique et devient le prolongement de son regard vert absolument renversant. Sibel voit le monde différemment et si elle accepte certains codes (rentrer à l’heure pour préparer le diner de son veuf de père, travailler aux champs, laver le linge familial), elle est tout autre quand elle rejoint son refuge, sa cabane au fond des bois. On vit au rythme de son souffle, on est suspendu à ses sifflets, à ses yeux expressifs, à son corps agile qui sautille dans les feuillages. Un film puissant et hypnotique.

TEL AVIV ON FIRE de Sameh Zouabi

Sur fond de soap opera, Tel Aviv on fire aborde le conflit israélo-palestinien sous le signe de l’humour. Pari risqué mais relevé.

 

Salem est palestinien et travaille en tant que stagiaire pour un soap opéra. Tous les jours il traverse le check point pour atteindre les studios jusqu’au jour où il est arrêté et contraint par le commandant Assi dont la femme est fan du feuilleton à modifier le cours de l’histoire.

Jouant des codes visuels clinquants du soap opéra, Tel Aviv on fire dépasse la simple comédie pour raconter en filigrane toutes les problématiques liées à ce conflit territorial qui dure depuis tant d’années. Les traits grossis par le biais du feuilleton dénoncent pourtant très bien sans parti pris toute la complexité de la situation entre Israël et Palestine. En fantasmant sur le mariage des deux personnages, l’un israélien, l’autre palestinienne, chacun rêve d’une trêve. Alors, chimère à l’eau de rose ou possible lendemain ? Grand prix au Festival international de Saint Jean de Luz.

ARRAS FILM FESTIVAL : Chris the swiss, Sunset et The reports on Sarah and Saleem

Pour la troisième année consécutive, je me rends au Arras Film Festival pour sa 19ème édition. Rendez-vous cinéphilique de la région Hauts de France désormais incontournable, le Arras Film Festival a démarré le 2 novembre et se prolonge jusqu’à dimanche prochain. Retour sur cette première journée.

CHRIS THE SWISS d’Anja Kofmel

Cette année la sélection Découvertes européennes offre un focus sur le cinéma d’animation et ce matin nous avons pu découvrir le film de la suissesse Anja Kofmel, Chris the swiss. Le film a déjà été présenté au dernier Festival d’Annecy et est sorti en salles début octobre. Anja Kofmel est encore une enfant quand elle apprend le décès de son cousin Christian, grand reporter de guerre, parti en Croatie couvrir la guerre d’ex-Yougoslavie.

Sous forme d’enquête journalistique mêlant l’animation noir et blanc aux images d’archives, Anja Kofmel tente de trouver des éléments de réponse à l’assassinat de son cousin. Partant des carnets de notes de Christian, elle retrace son parcours de son engagement à 17 ans dans l’armée sud africaine à son départ en Croatie à 26 ans. Là ils rencontrent d’autres grands reporters et depuis l’hôtel Continental, ils observent une guerre abominable. Parmi ses collègues, Christian se lie d’amitié avec Chico, un bolivien qui troque son brassard de presse pour celui de mercenaire volontaire, rattachés à l’Opus Dei et l’extrême droite. Qu’est donc allé faire Christian auprès de ce groupuscule ? Chris the swiss sonde un passé ambigu où de nombreuses questions restent sans réponse. Au delà de cette investigation familiale, Anja Kofmel imagine ce qu’a été cette guerre et ses dessins magnifiques sont un reflet à la fois onirique et percutant de l’ineffable horreur des guerres et de l’impact irréversible qu’elles ont sur les Hommes. Un film qu’on imagine ô combien cathartique pour son auteur.

THE REPORTS ON SARAH AND SALEEM de Muayad Alayan

Inspiré d’une histoire vraie, The reports on Sarah and Saleem est le récit d’un adultère entre une israélienne et un palestinien aux conséquences dramatiques pour leurs familles. Sarah est mariée à un colonel de l’armée israelienne. Elle tient un café quand elle n’est pas obligée de déménager pour la énième fois pour suivre son mari envoyé en mission. Saleem vit à Jérusalem avec sa femme Bissan, qui se refuse à lui craignant pour son bébé à naitre. Sallem est chauffeur livreur le jour et son beau frère lui propose de faire des livraisons de nuit dans les zones occupées pour gagner un peu plus d’argent. Lors d’une de ses tournées, Sarah l’accompagne mais alors qu’ils vont boire un verre ensemble, Saleem se retrouve impliqué dans une baston et dénoncé comme étant un potentiel terroriste.

Le scénario trop alambiqué est doublé d’une mise en scène laborieuse et un réel manque de rythme. Le film dure plus de deux heures et on peut dire qu’on les sent passer. C’est dommage, le sujet était intéressant mais le réalisateur ne parvient pas à nous atteindre, semblant trop s’efforcer de rendre une bonne copie et oubliant qu’un bon film c’est aussi avant tout un film traversé par la vie.

SUNSET de Laszlò Nemes, un film crépusculaire

En avant-première française exclusive, le dernier film de Laszlo Nemes était projeté ce soir après une présentation par le célèbre critique Michel Ciment, également invité dans le cadre de sa carte blanche. En guise d’introduction Michel Ciment évoque la fin du monde et le « pessimisme moral » comme fil conducteur à ces grands films de l’est de l’époque de la fin de l’empire austro-hongrois et précise que si le film n’a pas remporté de prix du jury,  il a en revanche remporté le prix de la critique (Fipresci) à la Mostra de Venise.

1913. Irisz Leiter revient à Budapest après des années éloignée de sa ville natale. Elle postule comme modiste dans le magasin de chapeaux que tenaient autrefois ses parents avant qu’ils ne périssent dans les flammes. On lui refuse la place déjà pourvue en l’invitant à quitter la ville mais lorsqu’elle découvre l’existence de son frère, elle se met en tête de le rechercher à tout prix malgré les rumeurs monstrueuses à son encontre. S’ensuit une quête sans fin dans une ville au bord du chaos.

Sunset ressemble à un mauvais rêve éveillé où les sourires auraient disparu des visages. Irisz (Juli Jakab) ne semble pas pouvoir s’échapper de ce huis clos dans lequel elle s’enferme elle-même. La caméra la suit de tout près pour ne plus la quitter. Sa nuque nous guide dans sa course effrénée, pour mieux nous dévoiler au détour de son chemin un arrière plan apocalyptique. Tout parait presque irréel et le regard déterminé mais apeuré du personnage renforce cette impression de fin du monde évoquée par Ciment. Le spectateur découvre dans un second temps ce qu’Irisz voit, créant ainsi un léger décalage certes haletant au début mais plus le film avance, plus ce procédé devient excluant. On finit par ne plus très bien comprendre les enjeux et il faut regarder Sunset en se laissant happer par l’atmosphère plus que par l’intrigue.

Sunset ressemble sur bien des points à son excellent film précédent, Le fils de Saul : un personnage prêt à tout pour arriver à leurs fins, une photographie sublime, une longue focale ouvrant sur des arrières plans flous et énigmatiques et une caméra subjective qui nous plonge dans l’intériorité du protagoniste. Pourtant, si le film est visuellement magnifique, on regrette de se lasser devant ce tourbillon de péripéties troubles. Sunset finit par ressembler à un rêve qui ne nous appartient plus.

LES INDESTRUCTIBLES FONT UN RETOUR EXPLOSIF

Découvrir en avant première mondiale Les Indestructibles 2 en présence de son réalisateur Brad Bird, c’est aussi ça le Festival d’Annecy ! Retour sur ce deuxième volet explosif tant attendu .

Une salle Bonlieu archi remplie, des centaines d’avions en papier (une tradition ici) traversant la salle sous les applaudissements du public déchainé, un premier court métrage en préambule signé Pixar aussi drôle que décalé (Bao de Domee Shi) quand arrive enfin Brad Bird qui se voit remettre le cristal d’or avant la projection « cadeau » de son film. L’attente aura été longue (14 ans depuis Les Indestructibles) mais le résultat est largement à la hauteur !

La famille de super héros la plus célèbre est réduite à vivre dans un motel, leurs derniers exploits familiaux n’ayant pas remporté l’unanimité dans l’opinion publique. Helen-Elastigirl se dévoue pour trouver un emploi et inverser les rôles, Bob s’étant déjà sacrifié dans son job d’assureur. Il restera à la maison avec les enfants pendant qu’elle ira travailler. En disant cela, elle ne pensait pas trouver un emploi de super héros ! Winston Deavor (dont la voix américaine est doublée par Bob-BetterCallSaul-Odenkirk), fan de super héros qui a fait fortune dans les telecommunications lui offre en effet l’opportunité de leur redonner une image positive dans un plan de communication huilé par sa soeur Evelyn. La voici donc partie en mission caméra accrochée sur elle pour témoigner du bienfait de leurs actes. Bob se retrouve quant à lui père au foyer dépassé par les problèmes d’adolescence de Violette, l’énergie de Flèche et les super pouvoirs naissants de Jack Jack.

On peut dire que Brad Bird n’a pas fait les choses à moitié pour ce grand retour. Le film démarre en trombe avec la terrible attaque du Démolisseur que tentent de stopper nos indestructibles préférés, non sans détruire eux-mêmes plusieurs bâtiments. Les médias relayent davantage les pertes matérielles que leurs exploits qui ont sauvé des vies et l’opinion ne leur est plus favorable. C’est la crise pour les super héros devenus hors la loi et menacés de se retrouver à la rue. Qui d’autre pour les sauver qu’un riche mécène persuadé qu’ils sont victimes d’une injustice ? Et comment les réhabiliter si ce n’est en les invitant à faire ce qu’ils font de mieux : combattre le mal avec leurs super pouvoirs ? Elastigirl se retrouve propulsée tête d’affiche et la vedette d’une téléréalité hors du commun. Les cascades et les effets spéciaux sont absolument incroyables et l’on reconnait derrière la virtuosité et l’inventivité de la mise en scène, la patte du réalisateur de Mission impossible protocole fantôme.

Ce qui réjouit également toujours autant, ce sont bien les scènes de la vie conjugale où Bob doit faire face à un quotidien ordinaire qui devient extraordinaire de par les supers pouvoirs de ses enfants. Cette famille américaine malgré leurs dons nous ressemble et n’échappe pas aux clichés du genre. Un père qui aimerait bien lui aussi être sur le devant de la scène à place de sa femme, une jeune fille en plein émoi amoureux et qui se bat pour avoir l’air normale et une mère qui est prête à quitter son nouvel emploi au moindre signe de détresse de son mari. Mais la grande trouvaille de ce volet, c’est Jack Jack qui s’impose comme le personnage le plus inventif et le plus drôle. Le bébé rieur est désormais capable de se cloner, de devenir une boule de feu, de traverser les murs ou se battre avec un raton laveur et nous offre les scènes les plus mémorables.

De nouveaux super héros font leur apparition mais bien sûr on retrouve les personnages phares comme Edna (en babysitteuse dans une scène hilarante) et Frozone. La mise en scène nous tient en haleine tout le long du film avec des scènes de course poursuite de train ahurissante, des inventions géniales, une touche de féminisme décapant, un combat impressionnant dans une cage  électrifiée et un humour qui le hisse au rang des films d’animation qu’on ne se lassera pas de voir et revoir.

Elastigirl contribuera-t-elle à réhabiliter les super héros ? Vous le saurez le 4 juillet, et franchement, peu de chance que vous soyez déçus !

ANNECY 2018 : BILAN DE CETTE 42E EDITION

Cette 42e édition du plus grand Festival d’animation du monde s’est clôturée en beauté hier soir salle Bonlieu avec la remise des cristal en plusieurs mouvements. Bilan de cette édition et du palmarès 2018.

Pour ceux comme moi qui n’ont jamais mis les pieds au Festival d’Annecy, certaines coutumes sont à acquérir comme le lancer d’avions en papier à chaque séance accompagnées d’applaudissements à ceux qui parviennent à atteindre la scène ou les cris du public à chaque teaser du Festival (« LAPIN ! »). Hier soir, la salle Bonlieu a vécu deux heures de show pour la remise des prix dont on avoue humblement qu’on n’a pas tout compris tellement ils sont nombreux. Il y a les films de television, les films de commande, les films de fin d’études (bien prometteurs à en croire l’extrait du film gagnant Hybrids), les prix des différents jurys…  Bref, voici l’essentiel du palmarès des films primés hier soir :

CATEGORIE LONGS METRAGES :

Cristal du long métrage : FUNAN de Denis Bo
Prix du Jury ET prix du public : PARVANA UNE ENFANCE EN AFGHANISTAN Mention du jury : La casa Lobo de Cristóbal León et Joaquín Cociña

CATEGORIE COURTS METRAGES:

Cristal du court métrage : Bloeistraat 11 de Nienke Deutz
Prix du jury ET prix du public : Week ends de Trevor Jimenez
Mention du jury : Cyclistes de Veljko Popovic
Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre :  Egg de Martina Scarpelli

Malgré la richesse, la diversité et la grande qualité des oeuvres présentées, personne ne fut bien étonné des prix décernés à PARVANA et FUNAN. Le premier est une merveille d’intelligence et prouve comme le dit son producteur en récupérant le prix qu’un récit tragique peut aussi rencontrer un large public. Quant au second, on se ravit de constater ici aussi qu’un grand film c’est avant tout une grande histoire, réelle ou pas, triste ou gaie. Celle là est bel et bien tragiquement réelle puisqu’il s’agit du récit d’une mère en quête de son enfant en pleine révolution des Khmers rouges. Denis Do, très ému en venant récupérer son cristal, a rendu hommage aux artistes cambodgiens qui ont travaillé sur ce film à ses côtés et dont on imagine l’émotion qu’ils ont ensemble partagé autour de ce récit sur ce génocide.

La soirée a été entrecoupée de petits cadeaux filmiques (décidément à Annecy l’animation ne s’arrête jamais !) dont un court métrage Dreamworks réjouissant et un autre court très drôle sur le thème de la différence. Patrick Eveno directeur de CITIA pour la dernière année a même eu le droit à un bel hommage de ses collègues et même à un karaoké géant ! Il passe le relaivant de passer le relai l’an prochain à Mickaël Marin.

La présentation en images de cette édition en préambule de la cérémonie nous a rappelés légèrement frustrée en nous rappelant tout ce quo’n a manqué : Annecy est un festival accueillant, bouillonnant, riche de rencontres, d’évènements et bien sûr dun panorama unique au monde sur le cinéma d’animation. Ajoutez à cela un public d’amoureux du genre joliment indiscipliné et vous aurez « le plus beau des festivaux » !

[FESTIVAL ANNECY 2018] PARVANA UNE ENFANCE EN AFGHANISTAN

Belle immersion au Festival d’Annecy avec une première séance des plus intenses : Parvana une enfance en Afghanistan. Réalisé par Nora Twomey, directrice du studio Cartoon saloon, PARVANA est une fable au réalisme sur la force et le courage face à l’oppression et l’ignorance.

Pas le temps de profiter du beau soleil d’Annecy, les bagages posés et l’accrédition autour du cou, c’est en direction du Pathé que démarre pour nous cette édition avec Parvana, portrait d’une famille afghane de Kaboul, adapté du roman de Deborah Ellis.

Parvana a 12 ans et vit au sein d’une famille aimante. Son père aime lui raconter des histoires sur l »histoire de leur pays qui n’en est pas à ses premières oppressions ni souffrances. Contraint de vendre quelques biens au marché pour survivre, son père se fait arrêter et jeté en prison sans raison par les Talibans. Parvana sa soeur Soraya et leur mère Fatima se voient alors dans l’impossibilité de sortir (et oui chez les Talibans pas d’homme pas de sortie !) sans homme pour les accompagner. Comment dès lors faire les courses pour se nourrir ? Parvana décide de se travestir en garçon et toute la survie de sa famille repose désormais sur elle.

La voici donc cheveux courts et tenue masculine se mêler aux hommes sur la place du marché, acheter de quoi nourrir sa famille. Mais s’il est plus facile d’être un garçon dans un monde de Talibans, les dangers ne demeurent pas mùoins présents et les mésaventures s’enchainent pour Parvana devenue un double de Souleymane, jeune héros d’un conte que son père lui racontait. La réalisatrice a la bonne idée avec sa co-scénariste  de mêler à son récit réaliste, les légendes du pays sous la forme d’un traitement graphique différent, sorte  de collage animé, qui s’inscrit parfaitement dans le long métrage et ses couleurs chatoyantes. Parvana au-delà du récit d’aventures réalistes est aussi un hommage à la richesse de l’histoire de ce pays, et aux cultures qui ont précédé le régime des Talibans. Parvana puise sa force dans les contes ancestraux qu’elle raconte à son petit frère et y retrouve les valeurs de bonté, de courage nécessaires à son salut et à sa survie dans un monde où la notion du bien semble avoir été éradiquée.

Les mésaventures de Parvana et de sa famille, l’acharnement des hommes sur les femmes, l’injustice criante de leur quotidien font de ce long métrage un film qui peut sembler parfois éprouvant et nous ramener à notre position de spectateur-citoyen impuissant. Comment survivre dans un pays en guerre sous le regard du reste du monde ? Parvana va tout faire pour libérer son père de prison mais leur sort semble scellé à celui du régime en place. Le film raconte d’ailleurs très bien en arrière plan comment ce pays au carrefour de la route de la soie s’est retrouvé plusieurs fois au cours de son histoire la proie de conquérants. Ce n’est pourtant que récemment, en 2001, que les Talibans arrivent au pouvoir et plongent la population dans un climat de terreur.

Parvana est un récit touchant, intense, habité, animé avec des décors réalistes et oniriques à la fois, qui rend un bel hommage à la diversité et à la richesse de la culture afghane. Le film sortira le 27 juin en salles.

FESTIVAL D’ANNECY 2018, UNE PROGRAMMATION PROMETTEUSE

Annecy est à l’animation ce que Cannes est à la fiction : un festival de renommée internationale avec une sélection de films en compétition, des guest stars et un marché pour les professionnels devenu incontournable (MIFA).  Cette 42e édition du festival d’Annecy se tiendra du 11 au 16 juin 2018 et rendra un  hommage tout particulier à l’animation brésilienne. Un petit panorama du programme ?

La sélection officielle

L’animation se porte bien, la preuve le Festival d’Annecy a reçu plus de 3000 soumissions de films ! Au final, 218 films seront présentés dont 10 longs métrages et 130 courts métrages en compétition, 13 longs métrages hors compétition et de nombreux autres courts projetés dans le cadre du festival. Au total ce sont pas moins de 93 pays représentés ! Le festival explore aussi les nouveaux chemins de la réalité virtuelle avec 11 films en sélection officielle VR @Annecy que le public pourra découvrir le dimanche 10.

Parmi les 10 longs métrages en compétition, on pourra découvrir Le mur du canadien Cam Christiansen, film en plein dans l’actualité sanglante du conflit israélo-palestinien mais aussi Funan du belge Denis Do, sur les atrocités commises par les Khmers rouges au Cambodge, période tragique déjà abordée dans les formidables documentaires de Rithy Panh (S21, la machine de mort khmère rouge et L’image manquante).
On voyagera également au Japon avec Miraï, ma petite soeur d’une des figures majeures de l’animation japonaise, Mamoru Hosoda et Okko’s inn de Kitaro KOSAKA (ancien collaborateur de Miyasaki), en Afghanistan avec PARVANA,  une enfance en Afghanistan de Nora TWOMEY, au Brésil, pays à l’honneur cette année, avec Tito et les oiseaux de Gustavo Steinberg, Gabriel Matioli Yazbek Bitar, André Catoto Dias mais aussi en Italie avec Gatta Cenerentola, une nouvelle variation de Cendrillon, que certains auront peut être déjà découvert à Venise, co-réalisé par  de Alessandro Rak, Ivan Cappiello, Marino Guarnieri et Dario Sansone.

Un festival aux couleurs brésiliennes

Après la Chine l’an passé, c’est au Brésil d’être célébré à Annecy ! Le délégué artistique du Festival Marcel Jean souhaitait « montrer comment ce grand territoire est une puissante source de création, comment les animateurs brésiliens ont su y puiser une expression singulière et forte. »
La programmation réalisée en collaboration avec le festival brésilien 
Anima Mundi, nous permettra de découvrir un classique de l’animation brésilienne, Sinfonia Amazônica (1953), et le documentaire Lumière, animation, action d’Eduardo Calvet mais aussi de revoir Le Garçon et le Monde (Cristal du long métrage et prix du public en 2014) ainsi que 3 programme de courts autour des questions sociétales que sont la déforestation, la sexualité ou la musique. Deux expositions, l’une dans un square en plein air sur l’animation brésilienne, l’autre, Tudo Bom, au Haras qui propose des projections d’oeuvres animées  viendront compléter ce panorama du plus grand pays d’Amérique latine.

Le garçon et le monde

En avant la musique !

« Rendre hommage à la musique dans le cinéma d’animation, c’est d’abord donner une place sur scène aux musiciens, pour rappeler de la manière la plus forte qui soit l’importance de la dimension musicale dans notre relation au film, dans l’émotion qui s’en dégage, dans sa structure même. » – Marcel Jean

Cette édition rendra hommage à la musique d’animation à travers cinq rétrospectives thématiques : Classique, Opéra, Pop Rock, De Visu, Tétralogie de Rosto mais aussi des ciné-concerts, des ateliers pour enfants initiant à recréer des bandes son. Le vendredi 15, belle surprise avec un concert de Dominique A et une performance inédite et en direct de Sébastien Laudenbach (réalisateur du très beau La jeune fille sans main) à 20h30 au Brise glace. De quoi en avoir plein les mirettes….et les oreilles !

Les séances évènements

Pour couronner sa belle programmation, le festival d’Annecy organise des séances évènements tout au long de la semaine. Ainsi Michel Ocelot aura le privilège d’ouvrir cette édition avec Dilili  à Paris le lundi soir suivi le mercredi de Hôtel Transylvania 3 et vendredi, en avant première mondiale, nous aurons la chance de découvrir Les indestructibles 2 en présence de Brad Bird qui se verra remettre le Cristal d’honneur pour saluer l’ensemble de sa carrière. Le festival d’Annecy ne plaisante pas en matière d’évènements !

Dilili à Paris de Michel Ocelot en ouverture

Enfin cette 42ème édition promet de belles rencontres (Christina Miller, Florence Miailhe, Éléa Gobbé-Mévellec et Zabou Breitman, ou encore Lino DiSalvo, Lorenzo Mattotti et Pablo Grillo), mais aussi des séances nocturnes pour les plus avertis avec la programmation Midnight specials, un hommage aux films marquants du cinéma d’animation dans le cadre d’Annecy Classics, des dédicaces, des masterclasses et même des séances en plein air.
Une très belle édition en vue !

 

 

 

 

 

PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE, l’hymne à l’amour de Christophe Honoré

Hier, Cannes fut une plongée étourdissante dans les années 90, les années sida, une ode à l’amour sous toutes ses formes, aux gens qui doutent, qui tremblent et qui paniquent. Hier, Cannes était sous le signe  d’un cinéma générationnel qui fait du bien à l’âme, d’un cinéma qui nous plait et que l’on aime tellement qu’on a envie de courir vite pour le découvrir. Hier, Christophe Honoré, à qui l’on doit déjà de très beaux moments de cinéma, n’en déplaisent à ses détracteurs, présentait son dernier film en compétition PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE et c’est une merveille.

Dès le générique le décor est planté. Un Paris vif, rapide, kaléidoscopique. Des personnages qui se mêlent sans s’être encore rencontrés. Et puis la caméra se pose sur Jacques, écrivain atteint du sida. Il vit au-dessus de chez Mathieu, journaliste homo plutôt ronchon mais pas mauvais bougre. L’ami de toujours. Jacques doit travailler, n’importe quoi lui ira pourvu qu’il n’ait pas à réfléchir. Invité en Bretagne autour d’un de ses livres, il rencontre Arthur étudiant rennais qui ne sent pas la crêpe au citron comme Gregoire Leprince Ringuet dans Les chansons d’amour. Il sent plutôt le chouchen, le vent de liberté, le poète Whitman et l’amour décomplexé. Arthur aime les hommes mais ne tombe amoureux que des femmes. Pourtant, il sent qu’avec Jacques ses sentiments l’emportent. Jacques de son côté se sait condamné et ne veut ni souffrir, ni s’emballer ni faire souffrir. Dilemne de la sagesse versus la fougue de la jeunesse. Entre eux rien d’impossible si ce n’est un compte à rebours inéluctable. Mais comment s’aimer quand on doit s’aimer vite ?

S’il y a un cinéaste en France dont le coeur flanche entre Godard et Truffaut, entre Demy et Eustache, c’est bien Christophe Honoré qui, depuis Ma mère ou Dans Paris jusqu’aux Métamorphoses, a toujours oscillé entre les genres, s’est même parfois un peu réfugié derrière une certaine frivolité faussement assumée. Avec Plaire, aimer et courir vite, Christophe Honoré devient au générique à l’instar de tous ses techniciens “Honoré“ tout court et c’est peut être dans ce film qu’il s’accorde à son tour à faire ce qui lui plait. Pour le meilleur. Car Plaire, aimer et courir vite est aussi son film le plus personnel.

Comment ne pas voir en Arthur, étudiant breton et cinéaste en devenir qui se cherche sexuellement  un double d’Honoré ? Le film nous plonge dans les années 90, les années sida et rappelle en cela le film de Robin Campillo 120 battements.  La comparaison s’arrête pourtant là, le film d’Honoré dressant avant tout le portrait d’un amour condamné, très 19ème (siècle pas arrondissement !) qui flirte davantage du côté de Truffaut et évoque d’autres films générationnels plus récents tels le mélancolique Eden de Mia Hansen Love ou Théo et Hugo dans le même bateau de Ducastel et Martineau pour son traitement du désir comme préliminaire à l’amour. Mais au-delà des références générationnelles, de la bande son fabuleuse (Les gens qui doutent  d’Anne Sylvestre à Massive Attack ou Marrs), Plaire, aimer et courir vite fourmille de clins d’oeil, de Hervé Guibert en photo chez Arthur à Querelle de Fassbinder en passant par l’éblouissante et atemporelle Isabelle Huppert (qu’Honoré a fait tourner dans Ma mère) dont on aperçoit la silhouette sur l’affiche d’Orlando à l’Odéon ou Koltès cité par un ami d’Arthur (« la vraie et terrible cruauté est celle de l’homme qui rend l’homme inachevé… »). Honoré se révèle derrière chacun de ces clins d’oeil et semble affronter sa propre histoire sans détour. Les liens au sein de sa filmographie sont pourtant évidents et Jacques pourrait être le grand frère d’Ismael (Les chansons d’amour), Arthur celui d’Erwann ou de Jonathan (Dans Paris). Les personnages de Christophe Honoré ont en effet en commun de se plier à leur désir pour mieux le repousser ou l’embrasser. Le désir comme prémisse de l’amour,  comme vecteur de la vie.  Ce n’est plus seulement le désir qu’il interroge, fragile et éphémère, déchirant ou léger mais le moment de bascule, l’urgence qui ressemble à une baise dans des chiottes pour reprendre les mots sous chouchen d’Arthur qui préfère se sentir vivant coûte que coûte.

Au-delà de la sexualité crue, Honoré filme les corps d’avant et après l’amour, dans les draps blancs ou la baignoire bleue, quand les êtres se retrouvent face à eux-mêmes. Vincent Lacoste n’a jamais été aussi attirant, s’élançant dans l’amour comme dans Paris, sans foi ni loi, du haut de sa belle jeunesse qui découvre l’amour au masculin pour la première fois. Quant à Pierre Deladonchamps, magnifique dans ce rôle, il incarne de son large sourire à sa sage résignation un Jacques tout en nuances. Et comme chez Honoré il n’y a jamais deux sans trois, Denis Podalydès rejoint ce duo et est à son habitude absolument formidable. Les scènes à trois sont d’ailleurs parmi les plus réjouissantes et ouvrent un épilogue très émouvant.

Plaire, aimer et courir vite est aussi un film sur la transmission, sur ce qu’on laisse derrière soi et qui construit les autres. Il y a les auteurs souvent cités bien sûr (Christophe Honoré est aussi écrivain et on le sent dans ses dialogues), les « grands frères », les amants perdus, et les doutes qui assaillent qui nous font faire demi tour ou ne pas décrocher le téléphone, les lits qu’on déserte. Et il y a l’enfant de Jacques, Loulou qui sera un jour peut être fier de son père (« même si c’est con de dire ça ») et les femmes, en retrait dans ce film, gardiennes bienveillantes, compréhensives, généreuses, présentes.

Filmé dans une lumière bleue onirique (sublime photographie de Remy Chevrin), le dernier film de Christophe Honoré est sûrement sa plus belle histoire d’amour.