AMERICA, portrait d’une Amérique entre nostalgie et espoir

Après son documentaire sur les sans abri (Au bord du monde), Claus Drexel revisite le rêve américain en posant sa caméra route 66 à Seligman, Arizona. Filmé en cinémascope, America dresse un portrait édifiant d’une Amérique entre nostalgie et espoir.

Le film s’ouvre sur un plan large d’un cerf suspendu par les pattes en train d’être dépecé par deux hommes. A leurs pieds des cadavres de bouteilles de bières. Le ton est donné et le procédé le même que pour son film précédent : des cadres en grand angle, des plans fixes, véritables tableaux vivants aussi époustouflants que terrifiants. Ce premier plan est aussi la première scène à laquelle ont assisté le réalisateur et Sylvain Leser son chef opérateur en arrivant à 10h du matin à Seligman. Cela ne s’invente pas !

Claus Drexel connait bien les Etats Unis pour y avoir fait de nombreux voyages. Lorsque Donald Trump entre en campagne présidentielle, il ressent le besoin d’aller sur le terrain vivre cette élection hors du commun. Il lui parait dès lors évident de se rendre dans l’Amérique profonde, celle des laissés pour compte et des oubliés, au milieu des paysages qui ont toujours fait la grandeur du pays. C’est donc une Amérique aux symboles forts qui nous est montrée, celle de John Ford et de Monument Valley, des cow-boys et des indiens. Mais ce retour aux sources d’un territoire autrefois convoité montre aussi combien cette Amérique-là  a été abandonné et ne ressemble aujourd’hui plus qu’à une carte postale désertée. Exode rural et essor des métropoles obligent. Pourtant à Seligman, au bord de cette mythique route 66 vivent Sandy, Mike, Corinne, John, Lori et bien d’autres. L’un est barman, l’autre fossoyeur, cow boy ou vétéran. La vie n’est pas simple quand on se trouve à 200 kms de la moindre ville ou du moindre commissariat. C’est l’une des raisons pour laquelle la plupart est armée jusqu’aux dents à l’instar de pas mal d’américains et grâce (ou à cause de) au second amendement.

La force du film réside dans la manière dont Drexel leur donne la parole sans aucun jugement, avec empathie et bienveillance. L’idée n’est donc pas de nous convaincre mais de nous donner à entendre des prises de position très loin de nous à priori et les laisser se déployer sans les stigmatiser. Il eut été pourtant facile de les caricaturer tant certains personnages semblent tout droit sortis d’un film et tant certaines paroles sont rebutantes ou dures à entendre. On s’étonnera pourtant de ne pas trouver idiots certains arguments en faveur du port d’armes,  même si la récente tuerie en Floride et les discours ignobles de Trump nous ramènent très vite à la raison.

« We live in hell »

L’autre grande force du film est sa construction et son montage qui alternent les visages et les discours avec une fluidité remarquable, comme si les uns répondaient aux autres sans se voir. Le spectateur évolue au gré du film avec les personnages qui se dévoilent peu à peu. Les témoignages sont tous pour des raisons différentes édifiants, que ce soit quand ils racontent leur passé, les rêves brisés, les tranches de vie, les opinions arriérées, l’absence de boulot, les bières qui s’enchainent en attendant un monde meilleur et les armes comme cadeau de naissance. L’un des personnages compare d’ailleurs Seligman à un enfer.

Qu’ils soient républicains ou démocrates, jeunes ou vieux, pour ou contre les armes, ils ont en commun d’être des survivants de cette Amérique autrefois magnifiée et qui finit par ressembler à des carcasses rouillées de vieilles voitures emblématiques.

A l’instar d’un Walker Evans quand il photographie l’Amérique en crise de 1930, Claus Drexel se pose en ethnologue et filme un territoire devenu le miroir d’une population sacrifiée. L’élection de Trump n’est plus qu’un prétexte en arrière plan et Claus Drexel a l’excellente idée de ne jamais montrer le candidat. Seule sa voix résonne en fond sur un poste de radio alors que Sandy fait le ménage dans des motels. En jouant ainsi sur la dichotomie entre les allocutions patriotiques de Trump et la réalité américaine qui nous est donnée à voir, Claus Drexel déconstruit ses tableaux stéréotypés et dénonce parfaitement l’incompréhensible : en votant Trump, ils votent aussi contre leur propre intérêt.

En rassemblant une galerie de personnages aux contrastes saisissants, America nous incite à observer ces habitants avec un regard neuf. Un documentaire puissant et profondément humain.

 

 

L’INSOUMIS, un documentaire un peu trop soumis

La campagne du candidat de la France insoumise filmée au plus près par Gilles Perret, le réalisateur de Ma mondialisation et La sociale. Un documentaire insoumis ?

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, on ne peut enlever à Jean-Luc Mélenchon son talent de tribun, son érudition, son franc-parler et sa force de caractère. L’insoumis promettait donc une plongée au coeur de la campagne présidentielle d’un candidat passionnant, intrigant et que finalement on connait peu. Promesse échouée et on regrette de n’apprendre pas grand chose sur « l’homme » Mélenchon. L’une de ses conditions était de ne jamais aborder sa vie privée (ce que l’on conçoit aisément) mais Gilles Perret aurait pu dévoiler à travers ce film de campagne des éléments clés pour comprendre le parcours de cet homme politique. En vain.

Le film démarre sur le fameux rassemblement à Lyon et Paris où Mélenchon s’est dédoublé grâce à l’utilisation d’un hologramme qui lui a valu pas mal de railleries. Tout est prétexte à moquer le candidat du front de gauche qui a bien compris que la presse ne le soutiendrait jamais et contre laquelle il se positionne avec virulence. Or lorsque l’on touche au saint organe de la presse, le retour de bâton n’est pas tendre. Qui de la poule ou de l’oeuf a démarré cette relation d’incompréhension ? Mélenchon est un émotif, il l’avoue lui-même, il s’en veut de perdre son sang froid devant un cheminot (bourré) qui lui reproche de ne pas les respecter. Le ton monte, Mélenchon s’énerve et trouve injuste la réaction de l’homme, lui qui « use sa vie » à les défendre.

Si Gilles Perret a gagné la confiance de Mélenchon qui lui ouvre ses portes à un moment pourtant crucial, c’est aussi que le candidat a compris mieux que personne comment communiquer. Mélenchon est le candidat le plus tourné vers les nouveaux moyens de communication: sa chaine youtube, son blog, l’usage de nouvelles technologies. Puisque les medias traditionnels le desservent, il contourne le problème en s’adressant directement au peuple.

Le problème c’est que Mélenchon a un tel charisme, une telle aura, qu’il semble avoir envoûté Gilles Perret, qui filme un Mélenchon érigé par des plans en plongée presque systématiques. Ce choix questionne : à qui s’adresse-t-il donc ? L’absence de distance de Perret semble répondre à la question. Les colères de Jean-Luc Mélenchon comme son combat sont sincères et l’on déplore que le film ne raconte jamais la genèse de ses positions, de ses batailles, de son parcours politique du parti socialiste jusqu’au Front de gauche. Bien sûr on est en pleine campagne et Mélenchon a sûrement autre chose à faire que de se confier à la caméra, le sujet étant cette campagne et non de dresser un portrait de l’homme, mais lorsque Depardon filme Giscard d’Estaing dans 1974, une partie de campagne, il dépasse le factuel et s’appuie sur le quotidien de sa campagne pour raconter en filigrane quel homme se cache derrière celui sur le point de remporter l’élection présidentielle – le film fut d’ailleurs censuré par Valéry Giscard d’Estaing jusqu’en 2002. Mais Gilles Perret n’est pas Raymond Depardon.

De quoi parle L’insoumis au final ? D’un élan du peuple derrière un mouvement rassembleur autour de valeurs humanistes et équitables, d’une équipe soudée autour de leur candidat dont la personnalité est pour beaucoup dans la montée fulgurante du Front de gauche. Mélenchon c’est le « patron ». Il aime tout contrôler jusqu’à la veste qu’il doit porter et s’il écoute sa conseillère en communication Sophia Chikirou, il n’en demeure pas moins obstiné. Rien de bien neuf donc qui vaille le détour.

L’insoumis souffre déjà des premiers signes de la censure à Marseille dans le cinéma Les variétés. Un moyen de faire parler de lui ou au contraire de le stigmatiser davantage ? A mon sens et à en croire la discussion enflammée entre journalistes à la sortie de la projection presse, ceux qui le détestent ne le détesteront que davantage et ceux qui l’aiment ne verront rien de plus que cet élan qui les a portés jusqu’au soir de la présidentielle. Une petite leçon néanmoins à tous ceux qui le voient comme un mauvais perdant, il faut l’entendre dire, lui qui croit dur comme fer en la victoire du peuple, qu’en cas de défaite « on aura bien travaillé et puis voilà ».

L’insoumis paraitra au mieux un reportage réalisé par l’un des leurs et au pire un pamphlet propagandiste. Personnellement je trouve que c’est un film sans grand intérêt pour un homme pourtant captivant et qui aurait mérité un documentaire à sa hauteur.

HAPPY NEW YEAR 2018 !

Nouvelle année, nouvelle cuvée ! On l’espère toujours meilleure que la précédente mais on a souvent tendance à occulter trop vite les évènements passés. On le comprend aisément tant il est plus doux de ne se remémorer que les bons souvenirs. Mais j’ai quand même envie de dire que 2017 ce n’était pas si chouette, vive 2018 (l’espoir fait vivre) !

Rien de bien neuf pourtant, la classique destruction de la planète, la trop répandue évasion fiscale, la présidence de Trump, les promesses non tenues, l’écart qui se creuse…. La disparition de Jeanne Moreau, de Jean Rochefort et Danielle Darrieux. De Harry Dean Stanton, de Frank Vincent, de Mireille Darc, de Claude Rich, de Sam Shepard, de Roger Moore, de John Hurt, de Simone Veil bien sûr ou de Victor Lanoux (bah oui aussi). Et puis notre Johnny Hallyday national. Je dis « notre » mais ça n’a jamais été le mien. Heureusement il nous reste les films pour rêver, résister, comprendre et vivre.

Voici donc mes voeux, pas très gais dans ses 3 premières minutes mais je n’y peux rien c’est le monde qui veut ça. La suite est belle. Elle s’appelle Jeanne.

LE SYSTEME EDUCATIF A L’ERE DU CAPITALISME

Le dernier ouvrage de Frédéric Gobert, Le système éducatif à l’ère du ludique, de l’hédonisme et de l’adulescent (Editions L’Harmattan) est un nouveau coup de poing radical et lucide. Il faut dire qu’il n’en est pas à son premier essai. Docteur en sciences du langage, professeur de lettres et écrivain, Frédéric Gobert est déjà l’auteur de plusieurs ouvrages, de nouvelles et plus récemment d’un roman d’anticipation Bas Occident sur une catastrophe nucléaire, écrit avant Fukushima. Inutile de préciser combien Frédéric Gobert se révèle visionnaire….

Dans cet ouvrage Frédéric Gobert analyse le système éducatif en le replaçant dans notre société capitaliste qui favorise l’“edutainment“, l’hédonisme et le spectacle au profit d’un savoir qui permettrait aux individus de trop réfléchir et de se révolter. On comprend là où il veut nous emmener : dans notre société consumériste, il est plus avantageux de générer des cerveaux disponibles et flexibles que de futurs adultes éclairés.

L’ère est donc au ludique, à la distraction et à l’hédonisme. Chacun veut s’épanouir et attend de l’éducation d’être attrayante au même titre qu’un clip ou un jeu vidéo. Les réformes elles-mêmes vont dans ce sens : acquérir des compétences et non plus un savoir complet et structuré. Mais à qui profite cette mouvance ? Pourquoi n’encourage-t-on pas une forme d’obéissance au sens où le philosophe Alain la décrit, lui permettant de “rester inflexible d’esprit, armé de défiance“ et d’atteindre “le même esprit de résistance et de critique, de façon que le pouvoir se sache jugé“ ? L’obéissance comme la soumission sont très mal vues. Tant mieux dira-t-on. Mais on lui préfère une autre forme de soumission déguisée derrière une pédagogie séductrice et un pseudo libre-arbitre qui ne vise qu’à aliéner l’élève dans une idéologie capitaliste le rendant ainsi victime consentante du consumérisme.

On cherche ainsi à créer des cours ludiques, attractifs où l’ennui et la contrainte doivent être bannis. Le management éducatif vise une forme d’hédonisme, de jouissance et de divertissement. Pourtant « l’hédonisme serait plus facilement compatible avec l’éducation si on le définissait comme une forme d’exigence rigoureuse non dans la recherche du plaisir mais dans la détermination et la satisfaction intégrale de nos besoins », précise l’auteur.

« C »est tout simplement faire du cadre scolaire non un lieu d’apprentissage organisé, coordonné, structurant, mais un lieu de vie, de plaisirs passagers, de tourisme culturel. »

Frédéric Gobert pourrait être taxé de “réac“, de promouvoir un apprentissage où le savoir de l’enseignant serait sacré et où l’élève serait obéissant. Ce serait mal le comprendre. Il prône avant tout la construction d’un esprit éclairé et capable de révolte.

Aujourd’hui 80% des élèves ont le Bac quand en 1960 seuls 12% l’obtenaient. C’est sous couvert d’une démocratisation que les résultats ont considérablement augmenté. Pourtant selon l’auteur « chaque capitalisme produit les “crétins“ dont il a besoin ». Si l’OCDE favorise l’augmentation des diplômés, c’est avant tout pour produire davantage de futurs cadres souples et adaptables pour les entreprises. Ainsi les étudiants sont préparés à la flexibilité du travail grâce à des connaissances transversales au détriment d’un savoir mono-discipinaire figé. Gilles Deleuze ne disait pas autre chose en 1989 quand il dénonçait l’adaptation de l’université au marché du travail.

A l’ère de la culture émotionnelle, les élèves aujourd’hui attendent d’être séduits et voient la réalité à travers l’oeil égotique et retouché des réseaux sociaux. Cette réalité ainsi transformée voire déplacée les détache des problèmes sociétaux bel et bien concrets. On s’offusque, on partage, on like des histoires scénarisées pour être émotionnellement fortes au détriment d’une réalité de plus en plus mise à distance.

« La paroi de cet univers émotionnel clos ne laissera pénétrer du monde extérieur que ce qui relève de l’émotionnel extrême, dont le microcosme adolescent se nourrira pour accroitre ses propres émotions endogènes. »

On l’aura compris, le livre de Frédéric Gobert est un livre engagé, politique et finalement subversif à une ère où l’on n’ose plus remettre en question notre système qui confond démocratie et libéralisme. Ce qui est sûr, c’est que ce livre fait réfléchir et devrait tomber dans toutes les mains des personnes croyant qu’un autre monde est possible et que ce monde-là passera forcément par une éducation revue et corrigée.

 

MERCI PATRON : merci Bernard !

Rien de tel pour démarrer une semaine hivernale et morose qu’un bon canular digne d’un premier avril. Mission accomplie avec le film de François Ruffin, Merci Patron !

Partant du drame vécu par les salariés licenciés d’une usine dans le nord appartenant au richissime Bernard Arnault, François Ruffin est bien décidé à faire d’une pierre deux coups :  réhabiliter l’image de Bernard Arnault et réunir l’argent nécessaire pour sauver un couple d’anciens employés acculés par les dettes. L’homme qui valait des milliards a certainement un petit coeur qui bat et saura trouver une solution pour leur éviter de finir à la rue. Pour cela, Ruffin se fait passer pour le fils du couple et se transforme en négociateur habile. On se souvient des interviews frontales de Ruffin, initiateur du journal Fakir et ancien journaliste de Mermet pour Là-bas si j’y suis, de son talent à rallier « l’ennemi » pour mieux le faire parler. Avec Merci Patron ! Ruffin, le Michael Moore picard, pousse encore plus loin son procédé et s’en amuse pour mieux arroser l’arroseur. Malin et réjouissant !

En 2007, l’usine de Poix du Nord qui fabrique les costumes Kenzo pour le groupe LVMH est délocalisée en Pologne mettant sur le carreau plus de 150 salariés. Certes ce n’est pas un début d’histoire très drôle mais en 2012, François Ruffin qui est déjà assez déprimé comme ca, décide de prendre le contre pied et de sillonner la France à bord de son camion « I Love Bernard » pour véhiculer une image positive de l’homme le plus riche de France.

« Je veux réconcilier la France d’en haut avec la France d’en bas »

Son plan est le suivant : confronter capital et travail en devenant actionnaire de LVMH. Il pourra ainsi assister aux AG, approcher Bernard Arnault, le mettre face à la détresse des vies qu’il a brisées et le montrer comme quelqu’un d’humain capable d’agir en conséquence. Tout le monde y gagne. Si ce plan-là ne va pas tellement fonctionner (approcher Bernard Arnault quand on est un tout petit actionnaire était bien illusoire), le suivant sera plus triomphant.

Les Klur font partie du plan social de l’usine de Poix du nord. Depuis ils vivent criblés de dettes avec leurs 400€ par mois et sont menacés d’expulsion de leur propre maison. A la question de comment font-ils pour vivre avec si peu, les Klur répondent à peine en plaisantant « On ne mange pas ». La réalité n’est pas rose et ce canular, aussi drôle soit-il, a pour but d’éviter que Serge Klur ne commette l’irréparable car derrière les sourires complices, on comprend le désespoir des Klur qui n’ont absolument plus rien à perdre.

« Quand on remet sa vie dans les mains d’un mec qui porte un t-shirt « I Love Bernard », c’est que ça va très mal » – François Ruffin

Loin d’un documentaire coup de poing qui dresserait un constat « sérieux » avec analystes à l’appui, Merci Patron ! est avant tout une croisade pour récupérer les 40 000 euros dont les Klur ont besoin pour repartir à zéro. Le plan semble fonctionner avec l’apparition d’un « commissaire » LVMH qui, pour éviter le scandale et la mauvaise presse accepte l’arrangement, avec la condition bien sûr de le garder sous silence. Les scènes avec le commissaire sont d’ailleurs aussi saugrenues qu’hilarantes.

La promesse de silence n’est évidemment pas tenue avec ce film mais montre une chose rare : les petits, les opprimés ont plus de pouvoir qu’ils ne le croient. Ruffin cherche d’ailleurs non pas à convaincre sa chapelle de « gauchos » déjà convaincus de l’injustice flagrante des puissants comme Arnault, mais au contraire à toucher le plus de monde possible, de droite ou de gauche, pour rappeler que la minorité est encore décidante.

Bien sûr on peut regretter que le film n’aille finalement pas bien loin dans la dénonciation d’un système corrompu et profondément inégal. On s’interroge aussi sur les autres laissés pour compte. Mais au final, Robin-des-bois-Ruffin réussit son coup, nous convainc qu’il n’y a pas de « petite » action et que tous ensemble nous sommes plus forts. C’est déjà pas si mal.

 

 

RENDEZ-VOUS GARE DE L’EST

Une femme seule en scène raconte son quotidien entre son travail, son mari, ses petites nièces et sa folie. Pour ce spectacle créé à la Comédie de Reims en 2013 et repris en 2015 aux Bouffes du Nord, Guillaume Vincent a enregistré ses échanges avec une femme atteinte de maniaco-dépression pendant six mois lors de leurs rendez-vous Gare de l’est. La retranscription du texte traduit les ressorts mêmes de la dépression et dresse le portrait d’une femme dans son  intimité, ses questionnements et l’emprise de la maladie.

La femme  a environ 30 ans. Elle est mariée à un homme doux et aimant. Il s’appelle Fabien et elle l’aime plus que tout au monde. Car Fabien la comprend, la connait. Oh bien sûr ce n’est pas simple tous les jours. Faut dire que la dépression altère drôlement la libido. Elle, elle préfère les câlins. Elle travaille dans un magasin de déco. Elle aime bien ce qu’elle fait, surtout les enfants qui accompagnent leurs parents. Elle adore les enfants, en particulier Elisa sa petite nièce. Ca lui fait peur aussi. Ca lui rappelle qu’elle aura du mal à en avoir. Oui à cause des médicaments. Il lui faudrait arrêter le traitement et ça, elle en est incapable. Elle avale des tonnes de médicaments pour rester de debout et ne pas succomber à sa folie. Elle en rit aussi même si elle a pris beaucoup de poids. Un jour, elle s’est retrouvée à Sainte Anne, attachée, c’est horrible d’être attachée, surtout les poignets, on ne peut rien faire. Aujourd’hui, elle préfère décider seule de son internement, parce qu’on ne le sait pas, mais seule la personne commanditaire de l’hospitalisation a le pouvoir d’y mettre fin. Ce qu’il se passe au moment du basculement… c’est compliqué à expliquer, on le sent dans tout son corps, on imagine des choses, on se sent partir… et puis parfois on parvient à remonter à la surface.

Elle va mieux, elle le sent. Elle a diminué le traitement. Peut être même qu’elle va faire un enfant avec Fabien. Sa mère est de passage à Paris, elle va essayer de la voir, d’être forte et de l’écouter se plaindre. Sinon, elle s’est fait virée à cause de la petite stagiaire, enfin pas vraiment à cause d’elle, à cause de sa dépression aussi. Depuis, Fabien lui parle moins, il n’y arrive plus. Elle ne recherche pas encore un travail, elle sait qu’elle n’y arriverait pas là. Heureusement elle a ses rendez-vous Gare de l’est le mardi matin, un espace où se raconter, où nous raconter.

« Au fur et à mesure de nos « rendez-vous », en retranscrivant méticuleusement ses mots, je me suis rendu compte que le sujet c’était bien elle et non sa maladie » explique Guillaume Vincent l’auteur et metteur en scène. Le texte reprend les hésitations, les digressions, les pensées immédiates, les peurs et décortique les mécanismes d’une mélancolie incontôlable.

« Je voulais que ce monologue retranscrive le mouvement même de sa maladie » précise Guillaume Vincent. Le portrait de cette femme formidablement interprétée par Emilie Incerti Formentini se dessine donc derrière ce récit spontané, intime, d’une lucidité déconcertante et pleine d’humour, vient nous bousculer, interroger notre propre folie, et témoigner de la difficulté de vivre au quotidien avec ce mal. Nous, spectateurs, sommes laissés dans la lumière et littéralement pris à témoin et embarqués pour un voyage vers la folie ordinaire que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

Pour prolonger ces « rendez-vous », le Théâtre du Nord propose une rencontre-discussion ce vendredi à 18h et un café philo demain à 16h autour de la mélancolie.

Plus d’infos par là

BEAU COMME BOWIE

Lundi matin, la nouvelle tombe : Bowie est mort. J’ai beau lire et relire la nouvelle sous toutes les coutures de mon fil twitter, je n’y crois pas. Bowie ne peut pas mourir. S’il y en a bien un d’immortel, c’est lui. Pas seulement pour les personnages qu’il a interprétés au cinéma comme celui de l’immortel John Blaylock dans Les Prédateurs auprès de l’autre immortelle Catherine Deneuve ou le rôle d’un extra terrestre dans L’homme qui venait d’ailleurs. Bowie est immortel car il incarne un univers à lui tout seul, un mythe, une icône, un dieu vivant, un génie inventif, un créateur sans cesse en renouvellement. Il venait d’ailleurs c’est sûr, du coup la question de vie ou de mort ne se posait pas.

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J’ai découvert David Bowie quand j’avais 15-16 ans. Je passais tout mon temps chez une amie qui vivait avec son frère et sa soeur plus âgés. Ensemble, on passait nos soirées à écouter les vinyles du frangin, les Stones, Led Zep, Iggy Pop, Lou Reed, The Velvet Underground, Neil Young et David Bowie. Puis ce fut au tour de l’amoureux de mon amie de nous faire découvrir d’autres titres. Il semblait avoir remporté l’unanimité tant ses play list étaient aussi géniales et raccord avec notre nouvelle culture musicale. Lui, c’était un grand malade de Bowie. Il les avait tous. On découvrait chaque jour une nouvelle facette du gars Bowie. On découvrait aussi Bowie acteur, les psychédéliques années 70, l’expérimental Performance avec Mike Jagger, l’androgynie, et avant tout une musique qui te faisait décoller bien loin.

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Bowie l’atypique, l’indomptable caméléon à la beauté singulière, androgynique et glam, ne reculait devant rien, n’hésitait pas à se transformer en femme, à se teindre les cheveux en rouge, à se maquiller ou à incarner ses propres personnages. Faut dire qu’il en connaissait un bout sur comment cultiver son image.
Un jour, il débarqua sur un plateau TV habillé en combinaison bariolée, cheveux rouges et l’air de sortir tout droit d’Orange mécanique. C’était la naissance de Ziggy Stardust.

Bowie ne vieillira jamais, comme sa musique, il restera toujours d’une modernité inventive absolue. Les rues sont désertes d’artistes comme lui. Bien sûr on voit poindre des tas de petits groupes à droite à gauche, certains sont même pas mal mais franchement, aucune comparaison, non ? Je sais, je parle comme une vieille de quarante ans qui se désole de la médiocrité contemporaine. Mais faut quand même bien avouer qu’on vit une période de régression totale (Donald Trump, le jihadisme, les injustices sociales qui enterrent vivants les trois quart de la planète comme Bowie dans Furyo d’Oshima, si ça ce n’est pas de la régression, et encore je m’arrête là pour ne pas détruire ma résolution d’optimisme de janvier), c’est la faute à personne (enfin si un peu quand même), juste à notre monde en décrépitude où la subversion semble avoir laissé place à une condescendance résignée. Heureusement l’art n’est pas mort, loin de là, la musique non plus. Mais peut-on parler de relève ? Qui peut se revendiquer comme un digne successeur d’un Bowie de nos jours ? Franchement, je ne vois pas.

LONDON - MAY 12: David Bowie performs live on stage at Earls Court Arena on May 12 1973 during the Ziggy Stardust tour (Photo by Gijsbert Hanekroot/Redferns)
LONDON – MAY 12: David Bowie performs live on stage at Earls Court Arena on May 12 1973 during the Ziggy Stardust tour (Photo by Gijsbert Hanekroot/Redferns)

Alors tant pis pour la relève, les écrits restent, les musiques aussi. Quelque soit notre génération, on continuera longtemps d’écouter Space Oddity (meilleur album de tous les temps), Ziggy Stardust, Heroes, Hunky Dory pour ne citer qu’eux, et on se laissera bercer par ces sons de l’espace, là où il y a une vie sur Mars.

Goodbye Major Tom !

« Though I’m past one hundred thousand miles
I’m feeling very still
And I think my spaceship knows which way to go
Tell my wife I love her very much, she knows »

Nous sommes toutes des nymphomanes (sauf ma mère)

Cette nuit n’arrivant pas à dormir, je regardai le premier volume de Nymphomaniac de Lars Von Trier. Il fait partie des films que je voulais voir et que j’ai manqué sans raison particulière. J’avais entendu que le deuxième volume était beaucoup moins bien, le genre de commentaires triviaux qui ne veulent rien dire mais qui arrivent quand même à vous refroidir. Quelques minutes de film et je ne l’étais plus (refroidie). Et même prête pour le volume 2.

Une nuit d’hiver, le vieux Seligman découvre une femme gisant au sol. Il la ramène chez lui et la femme, Joe, lui raconte son épopée érotique depuis son plus jeune âge. En huit chapitres (incluant le volume 2), elle explique son parcours sexuel de nymphomane, comme elle se qualifie elle même. Le vieil homme sage et philosophe l’écoute, ne la juge pas, émet des parallèles avec la pêche à la mouche ou une polyphonie de Bach. Joe reprend son récit, chronologique avec quelques entorces, quelques sauts en avant ou en arrière pour mieux rebondir sur son récit.

Lars Von trier a souvent été qualifié de misogyne parce qu’il filme des femmes martyres (Bess dans Breaking the waves), victimes (Dancer in the dark), ensorcelée (Anti Christ) ou névrotiques comme ici à travers le personnage de Joe qui s’attribue les pires vices dans sa course insatiable au désir sans amour. Apparemment filmer une femme qui condamne elle-même ses propres moeurs serait une manière de les condamner lui-même alors que le reste du monde trouverait ça normal. Quelle hypocrisie (le vice qui caractérise le mieux le genre humain selon Joe…) ! Si on ne peut nier le côté moralisateur du réalisateur-conteur Lars Von Trier, on ne peut pour autant pas le taxer de misogynie pour évoquer toute la souffrance inhérente aux actes de son personnage.

Lars Von Trier peint le portrait d’une femme dont les pulsions sexuelles sont telles qu’elles l’obligent à consommer les hommes sans répit pour assouvir son désir qui finit par s’éteindre au moment où elle aime un homme. Car jusque là, pas d’amour dans ses relations, du cul, de la bite, de la chatte, du foutre à en redistribuer à l’infini. Son amie B. également nymphomane lui avait pourtant juré que l’ingrédient secret du sexe était l’amour.

 Forget about love

 C’est peut être là que Lars Von Trier se montre le plus provocateur et du coup le plus controversé. Quand il dit à voix haute ce que tout le monde pense à voix basse. La plupart s’accorde à accepter le sexe sans amour qu’il soit masculin ou féminin (bien que cela semble tout de même plus évident pour les hommes) mais ce qui choque les détracteurs c’est que Joe se juge elle-même, se qualifie de « bad human being », s’autoflagelle en racontant son histoire à Seligman. Pourtant le vieux sage érudit, au-delà de toute morale, cherche sans cesse à analyser, à émettre des analogies pertinentes et jamais ne la juge. Il est en cela le double du réalisateur schyzophrène qui regarde des deux côtés. Et si Joe se maltraite autant, ce n’est que le revers d’une société malade et politiquement correcte. Il filme son personnage sans distance, nous embarque dans ce récit comme si c’était le notre et réveille en nous des pulsions lointaines que nous sommes tous capables de comprendre. L’hypocrisie est bien de les nier, de ne regarder ces pulsions que sous le miroir d’une amoralité délétère et repoussante.

Freud le premier a parlé des pulsions sexuelles existantes dès l’enfance. La différence avec Joe réside dans le passage à l’acte, dans l’impossibilité même qu’elle a à contrôler ses pulsions et dans le fait qu’elle n’éprouve rien pour les hommes. Elle ne cherche qu’à assouvir son désir mais si on parvient un instant à oublier combien l’amour est le moteur même de la vie, on peut se laisser aller à s’interroger sur nos propres fantasmes, notre propre désir et ne pas voir seulement dans cette histoire picaresque le parcours d’une femme dénuée de sentiment.

Joe se juge bien sévèrement, sans toutefois remettre en question son désir. Elle s’interroge davantage sur le mal qu’elle cause autour d’elle. C’est cela qui la fait souffrir et qui fait d’elle une « malade », une femme capable de quitter définitivement son foyer conjugal pour aller obtenir un nouvel orgasme en se faisant fouetter. La démesure, l’irraison ne sont que les symptomes de sa névrose. Et ses souffrances ne sont finalement que le résultat d’une incapacité à se satisfaire d’un modèle unique et sociétal (elle perd sa famille, son emploi).

Lars Von Trier interroge et bouscule : et si c’était l’amour la cause de notre perte bien plus que nos pulsions indicibles et inavouables (celles consenties des deux parties, il va sans dire) ? Derrière l’amour se cachent les ressentiments, les jalousies, la culpabilité, la colère, la passion. En multipliant ses orgasmes, Joe se libère de tout ça, dans une sorte de quête initiatique à ciel ouvert.

On peut aimer ou détester ce film, on peut essayer de le définir comme étant anti-humaniste, féministe, misogyne ou abject. Mais on peut aussi se dire que ce qui est mysogyne c’est peut être de croire qu’en dressant le portrait d’une femme qui place son désir au-dessus de tout par addiction, le réalisateur porte atteinte à l’image de la femme. A t-on qualifié Steve Mac Queen de misandrie quand il a filmé Michael Fassbender en addict sexuel dans Shame ?

En regardant ces deux volumes, je me suis dit qu’on était toutes potentiellement des nymphomanes (et les hommes des sex addict), car en cherchant l’amour partout, c’est aussi notre désir qu’on tente d’assouvir.

LE PRIX A PAYER : sans toit ni loi mais infiniment riches

Les Iles Caiman, Les Bermudes, Jersey, Guernesey, Genève, autant de destinations connues pour être les efficaces paradis fiscaux des grandes multinationales, recèlent près de 15% du patrimoine financier mondial. Le documentariste canadien Harold Crooks enquête dans le milieu de la finance et de l’économie et s’interroge sur le futur de nos démocraties. Un film percutant, palpitant et nécessaire.

 

Tout le monde connait plus ou moins le problème de l’évasion fiscale appelée aussi évitement fiscal. On en parle, on s’offusque et puis on passe à autre chose avec le sentiment de ne rien pouvoir faire étant donné qu’il s’agit d’un vol organisé et surtout légalisé. Mais connait-on vraiment les dessous de cette évasion, son organisation, son fonctionnement, les montants qu’elle représente et surtout les conséquences sur nos démocraties ? Prenant comme point de départ le livre de la journaliste et co-scénariste Brigitte Alepin, La crise fiscale qui vient paru en 2010, Harold Crooks construit son film comme une enquête aussi précise que passionnante. Il interviewe tour à tour des économistes, des financiers repentis, des spécialistes, des citoyens, mais aussi des « méchants » traders, dirigeants et banquiers. Les uns défendent l’état providence, donc la taxation qui permet à tous d’avoir accès à des services publics alors que les autres ne défendent que leur propre intérêt qui demeure somme toute assez incompréhensible tant ils amassent des sommes vertigineuses. Comme dit une femme d’Occupy Wall street « en tant qu’infirmière je pense sincèrement qu’ils ont des problèmes mentaux » car sinon comment justifier de vouloir gagner autant d’argent quand le reste du monde survit aussi difficilement ? Rappelons ce chiffre d’Oxfam qui annonce qu’en 2016 les 1% les plus riches de la planète possèderont davantage que les 99% autres. On se dit alors que cette guerre contre l’exil fiscal doit être drôlement complexe étant donné le ratio. Comment est-il possible que 99% des gens subissent la folie d’accumulation des 1% restants ? La réponse prend sa source au Royaume Uni accusé dans le film d’être le centre névralgique de cette évasion pour des raisons historiques (25% du patrimoine londonien est détenu par un cartel de financiers et investisseurs et ce depuis longtemps). Ces mêmes investisseurs gouvernent à eux seuls le monde et les politiques (dont on nous rappelle qu’ils ne sont que des pantins incapables d’influer sur de grandes décisions, le pouvoir appartenant évidemment à ceux qui possèdent le plus d’argent). A ce moment-là on pourrait se dire que tout est foutu car comme dit Jeremy Irons dans Marging call de JC Chandor (diffusé hier soir sur Arte), les crises financières ont toujours existé à un rythme soutenu mais n’ont jamais empêché les spéculations de renaitre, de continuer pour le meilleur et surtout pour le pire. Avant d’ajouter « L’argent ce n’est rien, c’est juste virtuel ».

Brigitte Alepin compare notre époque à celle de la révolution française où seul le tiers-état payait ses taxes, la noblesse en était exempte. Aujourd’hui ce sont les multinationales qui ont remplacé la noblesse d’hier. Ce qui nous amène vers la véritable conséquence de cette évasion : la fin de nos démocraties. Thomas Piketty n’est pas le seul à nous expliquer ce système en entonnoir qui plonge nos sociétés dans la crise. Les milliards de bénéfices s’envolent au soleil (ou dans la grisaille des iles anglo-normandes), fragilisent l’état providence et donc le bien commun, et contribuent à augmenter les taxes des citoyens déjà acculés tout en ne créant pas d’emploi ni de richesse pour la collectivité. Le parallèle est frappant avec l’essor de l’économie numérique qui réalise d’énormes bénéfices au profit d’une poignée d’employés (Instagram emploie 13 personnes et a été vendu un milliard de dollars à Facebook).

Facebook comme Google, Amazon ou Apple fait partie de ces évadés sans peur ni morale (finalement sans toit ni loi). On assiste d’ailleurs avec un demi-sourire (cela en devient presque drôle) lors du comité parlementaire britannique d’Amazon au témoignage du directeur financier qui refuse de dévoiler de façon publique les montants perçus par pays. Ou encore plus drôle, l’un des dirigeants de Google qui se targue de payer six millions de taxes en Angleterre et se défend en expliquant que la valeur économique de Google est le résultat de ses servives produits par l’informatique (et donc sans lieu désigné de son activité). Ce à quoi la présidente du conseil rétorque « Et que produit-on aux Bermudes alors ? ».  La réponse est accueillie par un sourire figé…

Une deuxième explication de la difficulté à résoudre l’évitement fiscal réside dans le rapport au temps. En ce sens, le début du film est très parlant. On découvre un ciel menaçant traversé par des nuages noirs qui défilent de plus en plus vite. Un spécialiste nous explique que la durée de détention d’une action est passée de plusieurs années à quelques millièmes de secondes. Il est impossible de contrôler tous ces échanges, de la même manière qu’il est impossible de contrôler ces sommes transférées dans les paradis fiscaux. Elles ne s’y trouvent pas « physiquement », l’argent est immédiatement investi ailleurs et ne cesse de voyager (le « sans toit »). On est face à un système d’une ingéniosité machiavélique à qui seule une solution globale pourrait mettre fin. C’est en quelque sorte un peu identique au problème du réchauffement climatique. Tant que tous les pays ne se mettront pas d’accord pour réguler de façon globale le problème de la fiscalité, celui-ci continuera d’exister. Ces évadés ont en effet une arme lourde : la menace de quitter leur pays avec tous leurs capitaux.

En attendant cet accord planétaire qui risque de prendre encore son temps, certains préconisent la solution de la taxe « robin des bois » (comme ATTAC) qui consiste à prélever une infime taxe sur chaque transaction et qui pourrait générer des milliards au profit de tous (histoire de changer un peu). Mais si cette taxe est soutenue par plusieurs politiques comme Bill Clinton, elle est encore loin d’être approuvée par tous.

Au final, on sort du film non pas abattu (il reste quand même l’espoir d’un monde meilleur) mais on ne peut s’empêcher de penser à ceux comme Margaret Thatcher ou Ronald Reagan qui ont contribué à légiférer ce système à grande échelle. Je revois encore ce plan de Ronald Reagan en train de danser avec sa femme Nancy. C’est sûr que pour cette poignée de personnes, la vie est douce.

 

L’HUMAIN D’ABORD ?

L’insurrection qui vient (ou pas)

Depuis la fusillade à Charlie Hebdo mercredi dernier, les avis et commentaires fusent, les analyses des uns s’opposent aux réserves des autres, et on devrait dire c’est tant mieux parce qu’il y a débat. Pourtant je commence déjà à saturer des opinions qui se multiplient comme des petits pains rassis, des journalistes qui rabâchent les mêmes choses en boucle, des politiques qui s’approprient cet évènement comme une aubaine pour renforcer leur popularité auprès du peuple mais en lisant l’article de Patric Jean sur Médiapart  je me suis d’abord dit qu’il avait tort. Tort car il suffisait de regarder le peuple français se lever et exprimer sa résistance à la menace terroriste, son combat en faveur de la liberté pour éprouver un sentiment de fierté, une espérance d’un monde meilleur et même, soyons fous, un sentiment d’amour pour son prochain comme le prêchait un certain Jésus en son temps. Tort car plus d’un million de personnes dans les rues, forcément c’est émouvant.

Pourtant en relisant son billet qui me titillait, je me suis finalement dit combien il avait raison. Combien ce flot de bons sentiments masquait une autre réalité, celle là même qu’on semble avoir effacée ces derniers jours : le dysfonctionnement d’une société malade. L’humain serait-il amnésique ?

Bien sûr qu’il y a de l’ironie et même de l’hypocrisie à voir défiler main dans la main nos dirigeants de tout bord, ceux là mêmes qui participent à faire de cette société un haut lieu d’inégalité, de divisions, d’injustice. Bien sûr qu’il y a hypocrisie à vouloir croire que peu importe notre couleur, notre religion, notre parti politique, notre classe sociale, nous sommes tous des êtres humains libres et désireux de le rester dans un pays où les valeurs fondamentales prônent la liberté d’expression.

« Une manifestation pour la paix », « un grand rassemblement de solidarité » nous scande t-on. Vraiment ?

Mais interrogeons-nous un peu comme le fait Patric Jean (heureusement pas le seul) sur les causes de ce terrorisme. Faut-il rappeler que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly étaient français ? Faut-il rappeler qu’ils ne sont rien d’autres que le résultat monstrueux d’une société bancale et excluante ? Faut-il rappeler que c’est dans nos prisons françaises que la plupart de ces terroristes se sont tournés vers l’islamisme radical ? Je ne cherche pas d’excuse à leur barbarie ni à faire porter la responsabilité à nos dirigeants mais simplement à réfléchir à ce qu’ensemble nous pourrions améliorer car comme le souligne Patric Jean « à force de s’empêcher de réfléchir tout en hurlant à la liberté de pensée, on poursuit la même politique qui nous conduit à la catastrophe ».

Liberté, égalité, fraternité

Pendant 24 heures j’ai voulu croire à cet élan de solidarité, j’ai voulu croire que le peuple était encore capable de descendre spontanément dans la rue et défendre des valeurs qui nous sont chères, j’ai voulu croire qu’on s’en foutait des croyances de chacun, qu’il fallait s’unir et non se diviser, j’ai voulu croire que tous ensemble on représentait ce slogan du parti de gauche : « l’humain d’abord ». J’ai encore envie d’y croire.

Mais que sera demain si ce n’est une France, une Europe libérale plus que libre, individualiste plus que fraternelle et certainement pas égale. Avec ce « Je suis Charlie » on a caressé la liberté et la fraternité. Attaquons nous demain à l’égalité. Et soyons aussi nombreux que nous l’avons été ces derniers jours.