POUR LE RECONFORT, le premier long pas vraiment réconfortant de Vincent Macaigne

Pour son premier long métrage, Vincent Macaigne réunit sa bande d’acteurs et réinvente La Cerisaie de Tchekhov sur fond de lutte de classes. Sélectionné à l’ACID à Cannes, Pour le réconfort signe un retour à la terre drôle et désenchanté.

L’inépuisable Vincent Macaigne est partout. Au cinéma où il enchaine les rôles dans les films « indé » et apparait même dans des films plus grand public comme récemment chez Toledano et Nakache (Le sens de la fête); au théâtre où il met en scène régulièrement des pièces et jouera sa prochaine création Je suis un pays aux Amandiers dans le cadre du Festival d’automne. Il a également réalisé un premier court métrage en 2011, Ce qu’il restera de nous. Pas étonnant donc de le voir repasser derrière la caméra et prolonger sa recherche entre improvisation et poésie acide.

Pauline (Pauline Lorillard) et Pascal (Pascal Rénéric) sont frère et soeur et reviennent dans le domaine familial après une longue absence alors que leurs terres sont sur le point d’être saisies faute d’avoir payé les traites. Ils ont en effet tous deux dilapidé leur fortune, l’un à Mexico, l’autre à New York. Accueillis par leurs amis d’enfance Emmanuel (Emmanuel Matte), Joséphine (Joséphine De Meaux) et Laurent (Laurent Papot), leur retour n’est pas pour plaire à tous, en particulier Emmanuel qui souhaite récupérer leurs terres pour construire davantage de maisons de retraite.

“Chercher à comprendre le monde au lieu de l’étreindre“

Le film s’ouvre sur une conversation skype entre Pascal et Pauline. Il cherche à lui parler du domaine et des traites alors qu’elle est dans un New York pixelisé, plus intéressée par l’écureuil à ses pieds. Notre belle modernité se pose là, offrant la possibilité de discuter d’un bout du monde à l’autre, de témoigner d’une certaine oisiveté et de notre sentiment d’exister sans s’écouter vraiment. Quand ils arrivent à Orléans, ils découvrent leur grande demeure, leurs terres dont Joséphine s’est occupé, retrouvent le territoire de leur enfance et dans ce lieu chargé de souvenirs, Pauline réalise ce qu’elle a laissé derrière elle. Dans un très beau monologue face caméra, Pauline s’interroge et pleure : pourquoi cherche-t-on à ce point à comprendre le monde au lieu de l’étreindre ?

Emmanuel voit en Pascal et Pauline deux bourgeois oisifs qui n’ont jamais rien fait pour mériter ce qu’ils possèdent. Lui s’est battu bec et ongles pour construire ses maisons de retraite, persuadé qu’il est que « les vieux, c’est l’avenir de la France ». Il dit sa colère à Laurent, trop gentil et naïf pour se rebeller, y compris contre Emmanuel (qui finalement n’est autre qu’un bourgeois volontaire et ambitieux). Joséphine, elle, est heureuse d’avoir pu exploiter les terres abandonnées et d’avoir fait pousser ses peupliers. Elle leur en est presque gré et fière de leur montrer le résultat de son dur labeur. En vain car de toute façon, le domaine est mis en vente aux enchères et Emmanuel n’a pas l’intention de garder les arbres plantés. Quant à Laure (Laure Calamy), la femme d’Emmanuel, elle ressent la même aversion envers les rentiers que sa moitié et l’incite à « les écraser ».

On l’aura compris, Vincent Macaigne s’intéresse avant tout aux rapports humains dans ce qu’ils ont de plus corrosif, dans les luttes qui les opposent, à commencer par la lutte des classes. Chaque classe ainsi définie par Marx est représentée : l’aristocratie (Pascal et Pauline), la bourgeoisie qui aspire aux mêmes droits que l’aristocratie (Emmanuel et Laure) et enfin les prolétaires, serviteurs soumis sans qui rien ne serait possible (Joséphine et Laurent).

Pourtant ces amis d’enfance continuent de se réunir, de se retrouver au café, d’aller ensemble à un concert ou de faire le tour du propriétaire. Ce qui les unit est aussi ce qui les désunit. Ils ont en commun une certaine histoire et des souvenirs d’enfance mais le temps a laissé place à une certaine amertume et pas mal de désillusions. Du coup, ça gueule, ça crie mais finalement chacun hurle sans que l’autre ne l’écoute vraiment. Macaigne préfère dire que ses personnages « pensent fort » plutôt que crient. Ici les dialogues ressemblent davantage à une suite de monologues. Chacun reste campé sur ses positions et en cela Pour le réconfort traduit bien l’impasse de notre monde en peine de renouveau. La lutte des classes à laquelle on assiste semble aussi inéluctable que sans issue. Les personnages se côtoient, se frôlent, s’affrontent et finissent par reprendre leur route sans que rien n’ait changé. Pas vraiment réconfortant.

On est pourtant loin du cliché des castes sociales. Pascal et Pauline ne ressemblent en rien à de riches propriétaires terriens. De même les « prolétaires » témoignent de peu d’esprit de révolte. Ils apparaissent tous au même niveau et pour autant la guerre civile ne semble jamais loin et presque plus sournoise encore, les stratifications étant plus invisibles.

Si Pour le réconfort reflète bien la mélancolie et un certain désespoir qu’arbore le cinéaste, le film reste néanmoins assez drôle avec quelques répliques et moments réjouissants. La forme brute, le filmage fluide et expérimental avec un manque de moyens affiché rend compte de très belles scènes, douces et bienveillantes dans la maison de retraite, plus apocalyptiques dans la scène nocturne au bord du lac ou les scènes où ils sont attablés dans la cuisine. Certaines séquences ont cette beauté fragile que seul le réel même exacerbé convie. Pourtant l’absence de récit finit par nous égarer, par nous laisser de côté, et cette lutte en arrive à ressembler aux coups portés par Emmanuel sur la croix imposante du père mort : vaine et impassible.

Durée : 1h31
Date de sortie : 25 octobre 2017

AVANT LA FIN DE L’ETE, un road movie philosophique et touchant

Trois amis iraniens sillonnent les routes de France espérant le temps d’un été convaincre l’un d’eux de ne pas rentrer en Iran. Un documentaire revigorant de Maryam Goormaghtigh présenté hier soir en ouverture de l’ACID, l’une des compétitions parallèles du Festival de Cannes. 

C’est le début de l’été, Arash se prépare à rentrer en Iran en septembre après cinq années passées en France pour ses études. Ses amis Hossein et Ashkan lui proposent une virée vers le sud pour lui laisser le temps de bien réfléchir à sa décision, en espérant qu’il finisse par y renoncer. Commence alors une errance entre road movie et flânerie pour nos trois personnages en quête de sens.

Qui n’a jamais rêvé de filmer ces petits moments de la vie merveilleux où l’on regrette de n’avoir pas de caméra ? AVANT LA FIN DE L’ETE semble être une compilation de moments volés tellement parfaits que le film ressemble à une fiction. Il faut dire que ce documentaire flirte avec la fiction à chaque instant tant il est formidablement écrit et interprété. Si les personnages sont bel et bien réels, leurs échanges, profonds ou légers, pourraient avoir été écrits par Rohmer.

Dans une des premières très belles scènes du film alors que les trois amis campent éclairés par de petites loupiottes, Arash avoue le sentiment de solitude extrême qu’il ressent en France et qui l’empêche de créer des liens avec les français. « Les français n’ont aucune raison de s’intéresser à moi », lance-t-il. Hossein désapprouve, lui s’est fait de vrais amis en France mais il lui a fallu du temps et la rencontre avec sa femme française.

AVANT LA FIN DE L’ETE raconte en filigrane l’exil et le déracinement, la solitude des êtres, la difficulté à communiquer, l’amitié salvatrice et les possibles rencontres comme celles qui ponctuent leur périple, de la jeune serveuse aux deux musiciennes en passant par Miss Noirétable. Car comme tous les hommes (et les femmes), ils recherchent l’amour (à part Hossein déjà marié). Celui qui ferait rester Arash en France. Les scènes de drague sont à contre courant de tous les clichés du genre. Lorsque Ashkan approche la jeune serveuse, il est terrifié et maladroit et n’ose l’aborder plus frontalement. On la voit assise sur le bord de la fontaine là où ils se parlaient quelques instants avant. Hossein l’incite à y retourner et convoque un poète iranien en choisissant au hasard un de ses poèmes, véritable invitation à profiter du moment présent.

De la rencontre avec deux jeunes musiciennes nait une légèreté qui soudain semble faire douter Arash, lui qui aime « être avec des inconnus ». Sur la plage, Hossein leur montre les différentes façons de porter le voile chez les vieilles iraniennes, tandis qu’Ashkan, toujours aussi maladroitement, tente de les séduire. Les personnages se frôlent, se heurtent, rient ensemble et la cinéaste capture la magie de la naissance des sentiments, vibrants et sans lendemain. Tout au long du film, Maryam Goormaghtigh révèle avec délicatesse et humour la part féminine d’Ashkan, Arash et Hossein, leurs doutes et leurs questionnements. Y compris quand il s’agit de draguer les filles. Ainsi quand Ashkan approche l’une des musiciennes pour mieux titiller l’autre, il semble lui-même ne plus savoir ce qu’il veut. « Laquelle t’intéresse ? Nous non plus, on n’a pas compris », plaisantent-ils.

« Quand je vois la lune sa beauté me rend triste »

Impeccablement éclairé, découpé et mis en scène, le film regorge de cadres éloquents et percutants tel ce plan dans une fête foraine où une mamie de dos observe la chenille quand deux autres passants se placent soudain juste devant elle. Maryam Goormaghtigh aime filmer ses personnages de dos, comme pour mieux les apprivoiser, l’horizon devant eux, parfois ouvert, parfois contrarié. Chaque scène abonde de savoureux dialogues, de silences et de pépites (la scène où Hossein et Ashkan sont en maillot de bain dans l’eau et évoquent la difficulté de communiquer quand on est dénudés, ou la scène en voiture où les trois amis apprennent aux deux jeunes femmes la richesse de la langue farsi).

Ensemble ils avancent vers le sud, parlent religion, analysent leurs rêves, fument, boivent et dans le silence de la nuit, tentent de trouver des réponses. Leur errance sur fond de paysages français, raconte aussi leur place dans le monde, le mal du pays (Hossein avoue davantage se retrouver en France mais se sait indéniablement plus heureux en Iran), et leur envie de liberté. On dirait le sud, on dirait la vie. Un premier long métrage à ne manquer sous aucun prétexte.

Distribution : Shellac (notre distributeur chouchou !)
Durée : 1h20