35EME FESTIVAL ITINERANCES D’ALES #J1

Notre première soirée au Festival de cinéma d’Alès a donc démarré avec  en présence d’Arnaud Des Pallières et sa co-scénariste Christelle Berthevas venus présenter leur film.

ORPHELINE d’Arnaud Des Pallières

Renée est institutrice et vit avec Darius dont elle attend un enfant. Un matin la police débarque pour l’arrêter. Renée qui s’appelle en fait Karine à moins que ce ne soit Sandra remonte le fil de son histoire alors que fraichement arrivée à Paris, elle fait la rencontre de Lev et de Tara.

Librement adapté de souvenirs autobiographiques de Christelle Berthevas, ORPHELINE dresse le portrait d’une femme à quatre âges de sa vie. Interprétés par quatre actrices différentes (Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos et Solène Rigot et Vega Cuzytek), le film met en scène des fragments de récits sans aucune linéarité et invite chacun à tisser des liens entre ces fragments et projeter leur imaginaire pour se raconter leur propre histoire. Lors de la rencontre avec le public, le réalisateur a d’ailleurs revendiqué avoir voulu faire un film “pour chaque spectateur”.

Dénué de tout déterminisme, ORPHELINE déconstruit la vie de son personnage en remontant le temps et ressemble à un puzzle cassé où il manquerait des pièces. Il s’agit donc de quatre récits à part entière chacun correspondant à une étape cruciale qui, si elle ne justifie pas la suite (le personnage change, évolue et se reconstruit), se répercute malgré tout au moment où démarre l’histoire. Pour traduire ces changements, le réalisateur a donc tourné non seulement avec des comédiennes différentes mais aussi avec des tonalités distinctes. Ainsi le récit de son adolescence a une tonalité plus noire, plus sombre alors que l’enfance en terre rurale est beaucoup plus solaire, bien que tragique.

Au final, ORPHELINE rend hommage aux femmes, à la complexité des êtres, aux vies bancales et à l’amour salvateur.

KING OF THE BELGIANS de Peter Brosens, Jessica Hope Woodworth

Présenté à Itinérances, le festival de cinéma d’Alès: King of the Belgians, le récit initiatique d’un roi en cavale. Entre poésie et absurde.

L’histoire: Le roi des belges en visite à Istanbul pour célébrer la récente entrée de la Turquie en Europe apprend que la Wallonie vient de déclarer son indépendance. Il décide de rentrer sur le champ mais une tempête solaire les oblige à rester enfermés dans l’hôtel. Lloyd le documentariste chargé de faire un film sur le roi promet à des chanteuses bulgares de leur réaliser un clip si elles les aide, à fuir la Turquie en toute discrétion. Les voilà donc tous à bord d’un bus accoutrés du costume folklorique et les autorités turques à leurs trousses.

Les premières images donnent d’emblée le ton décalé de l’humour belge : on y voit le roi des belges, grand type blond peu dégourdi, se préparer à donner un discours à son homologue turc, entouré de sa cour et sous l’œil d’un documentariste qui s’évertue à ne jamais éteindre sa caméra. KING OF THE BELGIANS joue donc de ces deux points de vue en gommant la frontière entre le faux film-documentaire et le film de leur périple. Une véritable odyssée à travers l’Europe commence alors et le roi qui jusque là était complètement effacé derrière son statut de majesté va se révéler un être humain, tout simplement. Le roi semble découvrir le monde qui l’entoure pour la première fois et en traversant anonymement tous ces villages de différentes contrées de l’est , il part à la rencontre du peuple, sans fard ni langue de bois.

Une belle leçon d’humanité que devraient suivre nos politiques !

THE NET de Kim Ki-Duk

Présenté au Festival Itinérance d’Alès, THE NET du coréen Kim Ki-Duk. Ou la descente en enfer d’un nord-coréen échoué par accident en Corée du sud, et accusé à tort d’être un espion. Un film puissant magistralement interprété par Ryoo Seung-bum.

L’histoire: Nam Chul-woo (Ryoo Seung-bum), un pêcheur nord-coréen, traverse malgré lui la ligne de démarcation avec la Corée du sud et se retrouve interrogé par la police qui le soupçonne d’être un espion. Commence alors pour lui un véritable parcours du combattant pour prouver son innocence et retrouver sa famille.

Au-delà du récit cauchemardesque de la détention d’un malheureux innocent, THE NET dénonce toute l’hypocrisie et les travers des régimes coréens d’un côté comme de l’autre semblant ainsi souligner l’impossibilité d’une réunification entre deux visions du monde que tout oppose. Si la critique envers la Corée du Nord semble féroce (en même temps, il parait difficile de défendre une telle dictature où la soumission des esprits est de mise), Kim Ki-duk n’est pas tendre non plus avec la Corée du Sud et soulève la question de la liberté et du bonheur. Vivre libre n’implique pas de vivre heureux. C’est le triste constat de Nam Chul-woo qui, forcé d’errer dans Séoul, découvre une société violente et injuste, incarnée notamment par une prostituée à qui il vient en aide et qui est obligée de vendre son corps pour aider les siens.

[bctt tweet= »« Un pêcheur devient malgré lui l’enjeu du conflit Coréen. Un film magistral signé Kim ki duk » » username= »LeBlogDuCinema »]

Nam Chul-woo n’a jamais rien connu d’autre que son pays et sa vie misérable. Comment dès lors se rendrait-il compte de sa misère ? La peur et l’ignorance dans laquelle sont plongés les nord-coréens permet d’éviter la moindre insurrection ou comparaison. En arrivant à Séoul, le pêcheur relooké en jogging et baskets par la police refuse d’ouvrir les yeux et de se laisser pervertir par des images d’un monde qui pourrait être pour lui sans retour. “C’est difficile d’oublier ce qu’on a vu” , dit-il. La police sud-coréenne est pourtant bien déterminée à le “sauver” et lui permettre de rester parmi eux quitte à abandonner sa femme et sa fillette. Il pourra toujours fonder une nouvelle famille lui suggère-t-on. Seul son garde du corps, révolté par l’acharnement de l’enquêteur bien déterminé à prouver que le modeste pêcheur n’est en fait qu’un espion, va tout faire pour l’aider à retrouver les siens.

Qui sommes nous en effet pour imposer notre vision du bonheur ? Le bonheur doit-il forcément rimer avec les codes d’une société libérale de consommation ? Les premiers plans de Nam Chul-woo sur la ville sont en cela très frappants. Les vitrines des magasins l’attirent telles envoûtantes Lorelei. Mais très vite, le pêcheur s’égare dans les bas quartiers et découvre l’envers du décor, le gaspillage, la pauvreté et la souffrance.

C’est l’une des grandes forces du film que d’arriver à dessiner les contours de ce récit en évitant tout manichéisme. Loin de tout parti pris, Kim Ki-duk interroge avec subtilité notre place dans le monde et la notion de liberté. Il n’y a pas de monde parfait et chacun, sous couvert d’une idéologie, propose un modèle discutable et source d’injustice et de violence. Outre le conflit coréen nord-sud, THE NET s’avère être un film sombre d’une universalité flagrante tant il met l’accent sur les dysfonctionnements et la déshumanisation de nos mondes (au pluriel). Une vraie claque !

AU BONHEUR DES OGRES

Difficile de raconter ce tsunami cinématographique que sont Les Ogres de Léa Fehner tant ils nous bousculent, nous remuent, nous émeuvent et nous avalent. Dans cette troupe de théâtre itinérant, tout est là sous le chapiteau, l’amour, les larmes, l’amitié, les rires, les blessures,  les mesquineries, les doutes, les peurs et même les solitudes errantes. Véritable tourbillon, caravanes derrière et marmaille devant, les Ogres sont formidablement vivants et nous avec.

Dès le premier plan Léa Fehner nous embarque en plein coeur du spectacle avec sa jolie troupe, suivant leurs gestes, leurs visages avec une caméra fluide qui les enveloppent, les caressent, les bousculent, les prolongent et les succèdent. Chacun de leurs mouvements est attrapé en plein vol, chacune de leur respiration nous étreint et nous transporte dans cette déambulation foutraque. Alors réalité documentaire ou fiction ? Telle n’est pas la question même si Léa Fehner filme sa famille, réelle troupe de théâtre, tout en y invitant quelques comédiens comme les formidables Marc Barbé, Adèle Haenel et Lola Dueñas. Ce qui nous touche ici ne relève pas tant d’un certain réalisme mais plutôt d’un grand cinéma capable de traduire cette comédie humaine, de capturer les émotions qui surgissent à la croisée de ce chapiteau, l’indicible derrière ce qui nous est donné à voir, la magie des improvisations. Il y a du Cassavetes et du Fellini dans Les Ogres.  Il y a surtout de la vie dans ce qu’elle a de plus intense, de plus dur et de plus beau.

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Ca crie, ça braille, ça s’embrasse et s’engueule, ça chante et ça danse, ça virevolte et ça vacille. Le chapiteau se monte et se démonte et la troupe se relève toujours, repart sur la route coûte que coûte. On ne choisit pas sa famille mais on se dit que Léa Fehner a bien de la chance d’avoir grandi dans une telle famille élargie. Car même si elle taille un peu un costard au roi son père, chaque personnage a tant de variations d’émotions et d’humanité en soi qu’on a envie de les rejoindre, d’être des leurs, de grandir à leurs côtés, de s’engueuler franchement et de jouer la comédie sans filet.

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Le reste découvrez-le par vous mêmes, la vie qui fuse, l’insoumission de François, les peurs de Lola, les gamins qui se cachent dans les gradins, la détresse de Déloyal, le sourire lumineux de Mona, la résignation de Marion, les parades d’avant spectacle, tout ça ne se raconte pas. Ca se vit.

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