LA VILLA : et vogue le navire entre nostalgie et espoir

Vingtième film de Robert Guédiguian qui n’a rien perdu de sa ferveur politique, La villa signe les retrouvailles sur la calanque Méjean du trio Darroussin-Ascaride et Meylan autour d’un père déjà loin. Autour des questions de transmission et de mémoire, La villa nous plonge dans un temps suspendu où l’horizon reste à dessiner. L’un de ses plus beaux films.

Angèle (Ariane Ascaride), comédienne installée à Paris, rentre à Marseille dans sa calanque natale retrouver ses deux frères restés auprès de leur père rendu invalide suite à un AVC. La fratrie doit se rapprivoiser après 20 ans d’absence d’Angèle qui n’a pu se résoudre à revenir sur les lieux où sa fille s’est noyée. C’est donc avec un mélange de rancoeur et de désarroi que se renoue leur relation. Tout le monde a vieilli même l’estaque où les rues ont été désertées. Pourquoi ? demande Angèle. « L’argent », rétorque Martin (Jacques Boudet) le voisin et ami de la famille de toujours. L’inflation est passée par là et les promoteurs et touristes en mal de charme ont pris possession des anciens cabanons pour en faire leur maison secondaire. Jacques en sait quelque chose lui qui avec sa femme n’arrive plus à payer les traites de sa maison.

Joseph (Jean-Pierre Darroussin) est accompagné de sa jeune fiancée Bérangère (Anaïs Demoustier) qui jadis l’aimait et l’admirait. Leur couple bat de l’aile laissant place chez Joseph à une amertume et un cynisme que son licenciement n’a fait qu’accentuer. Quant à Armand (Gérard Meylan), le fils fidèle, le « sacrifié » de la bande, il se bat pour faire survivre le restaurant ouvrier familial aux recettes traditionnelles.

Qu’il est doux de partager ce moment auprès de ces personnages à l’authenticité chère à Guédiguian ! La narration se met en place doucement, laissant se déployer les silences, les interrogations, la tristesse d’Angèle, la mélancolie de Joseph, la gêne d’Armand. Et puis il y a la nouvelle génération, Yvan (Yann Tregouët) le fils de Jacques et Suzanne, médecin aussi prospère qu’attentionné, Bérangère qui aspire à s’affranchir de sa relation avec Joseph, et Benjamin (Robinson Stévenin), pêcheur-comédien amateur et amoureux transi d’Angèle depuis son enfance. Ces trois-là sont tournés vers l’avenir qu’ils voient moins noir que les anciens sans pour autant occulter le passé qui les unit.

« Aujourd’hui il faut être con pour ne pas être pessimiste »

Robert Guédiguian semble à chaque fois nous livrer un film aux accents testamentaires. C’est peut-être encore plus vrai pour celui-là tant La villa est habité par une nostalgie et une nouvelle forme de militantisme politique qui caractérise le réalisateur depuis toujours : une forme plus diffuse, pessimiste mais jamais résignée. « Aujourd’hui il faut être con pour ne pas être pessimiste » affirme Guédiguian. Le cinéaste balade sa caméra depuis la terrasse de cette villa prolétaire, construite entre voisins à la sueur de leurs fronts et avec leur coeur. La mer qu’ils aiment observer oscille entre déferlement et placidité à l’image de Guédiguian dont on devine à travers les répliques de Darroussin les positions. Le monde est devenu moche fait de matériaux horribles (le jogging en lycra de Bérangère), de murs aux couleurs criantes (« Il devrait y avoir un Conseil national de la couleur ») et de touristes qui visitent le monde sans voir qu ‘il « est pourri partout ». Guédiguian répond à cela en revisitant les photos et les souvenirs de famille, avec bienveillance et amour. Il va même jusqu’à relier ses personnages au sein de sa propre filmographie en intégrant un extrait de Ki lo sa ? où l’on redécouvre Meylan, Ascaride et Darroussin se jeter dans l’eau du port sur fond de I want you de Bob Dylan. Entrelacement magique  !

La villa évoque donc un monde qui préfère envisager d’interdire les cigarettes au cinéma (là encore joli pied de nez de Guédiguian qui met des clopes partout) que de s’occuper des migrants, un monde qui favorise l’argent au détriment de notre part d’humanité, un monde qui s’évertue à faire plaisir aux plus riches et balayer la misère sous le tapis, un monde que seules l’amitié et l’amour sauvent de la dérive. Guédiguian a la grande idée d’imaginer la rencontre de la fratrie avec une autre fratrie, celle de trois enfants kurdes échoués dans la colline non loin. Ils les accueillent, les soignent et font ce que n’importe quelle société saine devrait faire. Quel avenir pour ces enfants-là  ? Etre renvoyés chez eux dans un pays en guerre ? Etre placés ici où ils n’ont aucun repère ? La question reste en suspension. L’important c’est d’aimer.

Durée : 1h47
Date de sortie : 29 novembre 2017
Distribution : Diaphana

TROIS NUITS AVEC CHRISTOPHE HONORE

« Un voyage au doux pays de Christophe Honoré à travers des installations vidéos reprenant les scènes de ses films cultes, des lectures par des acteurs de pièces de théâtre ainsi que du roman « Le Livre pour enfants » de Christophe Honoré, des performances sensuelles, une cantatrice, des crêpes aux couleurs bretonnes, des envolées survoltées avec des concerts et des DJ sets envoûtants, des lives , le tout dans une atmosphère lunaire, entre fiction et réalité ».  Voilà de quoi réjouir tous ceux qui aiment le cinéaste, écrivain, metteur en scène, dramaturge et scénariste Christophe Honoré qui s’installe pour trois soirs les 9, 10 et 11 février au Club Salò (successeur du Social Club) dans le 2ème arrondissement de Paris. Retour sur ce touche à tout aussi fécond que talentueux.

Christophe Honoré, un breton qui sent la pluie, l’océan et les crêpes au citron

Né dans le Finistère, Christophe Honoré commence très jeune à écrire et se fait rapidement remarquer pour ses romans jeunesse percutants et pour son premier roman, L’infamille qui le fera connaitre. En 1995, il quitte sa Bretagne natale et s’installe à Paris. Il devient critique pour Les Cahiers du cinéma et rédige un article polémique sur un certain cinéma français qui « l’emmerde » et qu’il juge moralisateur et complaisant (il s’adresse notamment à Robert Guédiguian et Anne Fontaine qui viennent de remporter un succès public avec Marius et Jeannette et Nettoyage à sec). On l’aura compris, Honoré n’a pas sa langue dans sa poche.

Ancien étudiant en Lettres et cinéma, il réalise un premier film 17 fois Cécile Cassard en compétition à Cannes (Un certain regard) avant de s’attaquer à l’adaptation ambitieuse d’un livre de Bataille. Ce sera Ma mère ou l’histoire incestueuse entre Isabelle Huppert et son « fils » Louis Garrel (qui deviendra son acteur fétiche). Le résultat est puissant, subversif et étonnant. Mais ce n’est qu’en 2006 qu’il déploie davantage ce qui nous touche dans son cinéma, mélange d’impertinence subtile, d’effronterie, de mélancolie euphorisante, avec peut être son plus beau film, Dans Paris avec Romain Duris, Joanna Preiss et l’irrésistible Guy Marchand. Un grand cinéaste est né, loué comme un des héritiers de la Nouvelle Vague. Christophe Honoré ne rentrera pas pour autant dans une case et continue de nous surprendre en passant de la comédie musicale à l’adaptation littéraire avec La belle personne (adaptation contemporaine de La princesse de Clèves avec Louis Garrel et Léa Seydoux, et clin d’oeil à Nicolas Sarkozy qui avait jugé l’oeuvre désuette) et tout récemment Les malheurs de Sophie. Il mêle les genres mais s’affirme déjà par un style singulier.

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Bien avant Lalaland…

A l’instar du duo Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Christophe Honoré revisite à son tour la comédie musicale avec Les Chansons d’amour et Les biens aimés. Lui préfère parler de « films à chansons » que de comédies musicales. Ses films évoquent souvent la rupture (amoureuse ou d’anévrisme), l’errance, la famille, l’amour sous toutes ses formes, et derrière une certaine gravité thématique dégagent une légèreté, une désinvolture fragile et enchanteresse qui le rapprochent parfois d’Alain Resnais.

Les Chansons d’amour déclinent l’amour à deux, à trois, entre hommes et femmes jusqu’à ce que l’une d’entre eux meurt brutalement. Comment se reconstruire, comment croire encore à l’amour, à la vie après le deuil ? Alex Beaupain, l’ami et compositeur de toujours créé une partition sur mesure pour ce film. Ce n’est pas leur première collaboration puisque déjà il faisait chanter Grégoire Leprince-Ringuet dans La belle personne et Romain Duris et Joanna Preiss dans Dans Paris (« Avant la haine »). Honoré réalisera un deuxième film chanté avec Les Biens aimés qui met en scène Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni dans une fresque familiale des années 60 à nos jours. Le cinéaste aime bien traverser les époques, extraire l’essence des rapports humains pour la retranscrire dans un autre espace temps et, loin d’un souci naturaliste, prouve, s’il est besoin, que l’amour est universel et atemporel.

Entre temps, Christophe Honoré réalise deux autres films, Non ma fille tu n’iras pas danser qui offre (enfin) un magnifique premier rôle à Chiara Mastrioanni et Homme au bain avec l’acteur porno gay François Sagat. Avec Non ma fille… le réalisateur de retour en Bretagne, signe un portrait poignant de femme perdue entre deux hommes et une famille aimante mais étouffante. Entre justesse réaliste et conte onirique, Non ma fille… glisse une fois de plus vers une universalité saisissante.

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Victor Hugo, le Nouveau Roman, Ovide et les autres

Christophe Honoré entretient une longue histoire avec le théâtre. Il est l’auteur de plusieurs pièces et en 2008, invité par le Festival d’Avignon, il met en scène Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Au théâtre aussi il retrouve ses acteurs fétiches : Clotilde Hesme (Les Chansons d’amour) et Martial di Fonzo Bo (Non ma fille...) et étonne encore. D’abord pour le choix de cette pièce peu connue d’Hugo, mais aussi par sa mise en scène sur trois niveaux (grâce à un système d’échafaudage ingénieux) qui permet de déstructurer la scène et recadrer les corps « comme au cinéma ». En 2012, il met en scène Nouveau roman au Théâtre de la Colline et ressuscite les écrivains emblématiques de ce mouvement littéraire, dans un spectacle d’écrivains qui s’invente au fil du jeu et qui convie aussi de « vrais » écrivains à sa troupe d’acteurs fidèles (Ludivine Sagnier, Isabelle Huppert ou Anais Demoustier).

Christophe Honoré n’a peur de rien, pas même d’adapter le poète latin Ovide et ses Métamorphoses en 2014. Le résultat très poétique et sensuel met en scène des acteurs inconnus où dieux modernes tombent amoureux de jeunes mortels. De quoi nous prendre à nouveau à rebrousse poils là où on l’attend le moins. On retrouve pourtant derrière ces récits mythologiques sa « patte » gracieuse et organique.

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Que ce soit par le biais de romans, de films, de théâtre ou même récemment d’opéra lyrique, Christophe Honoré semble finalement nous dire que l’art n’a pas de frontières ni dans sa forme ni dans ses thèmes, et s’il est souvent marqué chez lui d’un Paris fantasmé ou d’une nature magnifiée, il nous traverse, nous dépasse, nous révèle et parfois même nous métamorphose.

 

CAPRICE A TROIS

Avec Caprice, Emmanuel Mouret revient vers un cinéma bien à lui, entre vaudeville, mélancolie, amitié amoureuse et les possibles qui toujours titillent.

 

Clément est instituteur à Paris et ne semble pas être tellement acteur de sa vie. Les rencontres lui tombent sur le coin du nez comme à d’autres certaines apparitions ou présages. Les femmes s’adressent à lui naturellement, voyant en lui une forme de bienveillance, de douceur naive, de maladresse touchante  et de bonté naturelle.  Il fait naitre chez les femmes des sentiments qui le dépasse. Même quand il entame une relation digne d’un conte de fée avec Alicia, l’actrice de ses rêves, Clément ne semble pas croire à ce qu’il vit. La jeune Caprice (Anais Demoustier) croise par hasard son chemin à plusieurs reprises dans un Paris devenu tout petit et vient le déranger dans sa vie devenue parfaite, à l’image de sa femme célèbre et leur belle maison dans le 7ème arrondissement nouvellement investie. Car Caprice ne veut pas accepter qu’il ne l’aime pas comme elle l’aime. Alors elle revient vers lui au moindre prétexte, devient sa maitresse une nuit malgré lui, puis son infirmère quand il est plâtré. Elle en est presque agaçante, mais tout autant que lui qui ne sait jamais rien refuser à force de vouloir épargner tout le monde. Le film part alors dans une direction bien moins légère que le badinage auquel Mouret nous a habitué, il interroge sur l’incompatibilité du désir et de l’amour quand l’amour est porté aux nues, sur ce qu’on est capable de recevoir et de sacrifier, sur l’amour pur qui fait perdre la raison. Ce conte moral aux accents rohmériens (et oui, on ne peut s’empêcher à nouveau la comparaison tant elle est évidente), au delà de l’histoire (universelle) d’un homme entre deux femmes, devient un conte initiatique, celui d’un homme qui se réalise à travers l’amour de ces deux femmes. Et c’est bien là que le film nous touche car il s’agit aussi d’un homme entre deux âges, attiré par la jeunesse fougueuse de l’une et la rassurante sagesse de l’autre. Ce n’est que dans cet équilibre fragile que Clément trouvera son chemin et écrira sa pièce de théâtre, tel un funambule entre deux eaux.

On devine qu’Emmanuel Mouret s’est amusé en s’offrant ce rôle de séducteur irresistiblement passif à la manière d’un personnage burlesque qui se retrouve héros malgré lui.  Et on a envie de dire à tous les détracteurs de Mouret et de son jeu singulier, de se retourner du côté de la liberté, la sienne, parce qu’elle est bien jolie quand même.