LE BRUSSELS SHORT FILM FESTIVAL FETE SES 20 ANS

Initié par deux amis alors étudiants, Céline Masset et Pascal Hologne, le Brussels Short Film Festival (BSFF) fête cette année ses 20 ans. Devenu l’un des rendez-vous incontournables du court métrage à l’instar de Clermont Ferrand er Interfilm à Berlin, le Brussels Short Film Festival offre une programmation riche de plus de 300 films, trois  compétitions ainsi que des rencontres entre professionnels. Nous y avons fait un petit tour ce week end accueillis par un grand soleil et une chaleureuse équipe ce qui en Belgique est presque un pléonasme tant l’ambiance y est sympathique. Retour sur ces deux jours avec l’un des moments forts : la Nuit du court.

Cette édition anniversaire est marquée par une rétrospective spéciale 20 ans autour de quatre grandes thématiques qui parlent d’elles-mêmes : Tous à poil, Il était une fois il était une fois, Fabuleux destin et On connait la chanson. Cette rétrospective vient s’ajouter aux trois compétitions internationale, nationale et « next generation » avec les films d’étudiants en cinéma, et à la sélection « Off » de plus de 200 films. Autres surprises de cette édition : la présence d’un grand nombre d’invités qui ont marqué la vie du Festival, des projections gratuites en plein air, des conférences et des concerts.

Pour se mettre tout de suite dans le bain, autant se mettre « Tous à poil » comme l’intitulé de notre premier programme aussi drôle que poétique et réjouissant. On a pu y découvrir l’un des courts du duo Abel et Gordon Walking on the wild side,  I am your man de Keren Ben Rafael avec Vincent Macaigne en plein déménagement qui reste « coincé » dans son ex, Point de fuite du belge Olivier Smolders où une prof découvre sa classe nue, le très réussi Cashback de Sean Ellis ou comment tuer l’ennui quand on travaille dans un supermarché et notre préféré Naturellement de Christophe Le Masne qui met en scène un couple fraichement débarqué chez des amis dans le sud de la France pour qui vivre à poil est une seconde nature. Christophe Le Masne, grand habitué du festival et du format court, était d’ailleurs présent pour présenter deux de ses films retenus pour cette édition spéciale.

La deuxième séance présentait des films en compétition internationale dont Panthéon Discount de Stephan Castang récompensé au Festival Itinérances d’Alès, Cipka de Renata Gasiorowska un film d’animation polonais couronné du Prix du meilleur film d’animation à Clermont Ferrand et le délicat Fox de la grecque Jacqueline Lentzou sur le passage à l’âge adulte lié au deuil.

Après une pause festive autour d’un apéro organisé à l’occasion de leurs 20 ans, la Nuit du court a pu démarrer autour de 4 temps forts : un best of en entrée en matière (avec entre autres un autre court métrage de Christophe Le Masne, Les inévitables) suivi d’une « battle » entre deux programmateurs, arbitrée par les applaudissements du public. L’occasion pour nous de revoir La Rupture du regretté Pierre Etaix et de découvrir French kiss d’Antonin Peretjatko et son style résolument décalé, et Junior, le premier court métrage de Julia Decourneau (la réalisatrice de Grave) dont le programmateur en compétition parle comme étant « l’héritière de Cronenberg et Pialat ». Rien que ça.
Le troisième temps fort était consacré pour sa part à une programmation spéciale L’œil de Links, le magazine créé par CANAL + et, pour finir cette nuit du court, les organisateurs avaient concocté une sélection de courts les plus déjantés.

Dimanche, le soleil était encore au rendez-vous, tout comme le public venu nombreux pour la première séance de 14h autour de la compétition internationale. Là encore quelques belles découvertes comme le Scris/Nescris du roumain Adrian Silisteanu : un gitan fait les cent pas dans un couloir d’hôpital en attendant que sa fille mineure accouche et va devoir prouver à l’administration qu’elle est bien sa fille. Entre crise administrative et crise familiale, Scris/Nescris rentre dans nos favoris de cette édition.

Notre dernière séance nous a laissé pantois avec la découverte de la Next generation, ces étudiants en cinéma (FEMIS, INSAS, IAD…) qui assurent très certainement la relève. Au programme de cette séance, l’impressionnant Watu Wote de Katja Benrath qui met en scène un fait réel, une attaque terroriste d’un bus au Kenya, pour retrouver la seule chrétienne à bord. Un élan de solidarité se soulève pour cacher sa présence. Formidablement mis en scène et interprété, le film a été produit par La Hambourg Media School et promet une longue carrière à  la réalisatrice. Autre belle découverte : No’ï, un documentaire réalisé par Aline Magrez tout droit sortie de l’INSAS à Bruxelles  entre balade expérimentale et récit sensoriel sur une rue d’Hanoï. La réalisatrice filme les visages, les gestes au travail, les machines et leurs roulements jusqu’à l’arrivée d’une autre machine dans un plan inimaginable. Un film fort et visuellement très beau.

Le Festival qui a démarré le 27 avril se tient jusqu’au 7 mai prochain avec la remise des Prix par les différents jurys. Une bonne excuse pour aller faire un tour à Bruxelles.

 

LA LOI DE LA JUNGLE, une comédie d’aventures burlesque et réjouissante

De l’amour, de l’aventure, de la poésie et plein de bêbêtes… Bienvenue à Guyaneige, la première station de ski en pleine jungle ! Après l’excellent La fille du 14 juillet, Antonin Peretjatko revisite le film d’aventure en embarquant à nouveau le duo Vincent Macaigne-Vimala Pons au fin fond de la Guyane dans une comédie humaine aussi hilarante que sensible.

Marc Châtaigne est un brave type. Il se défend à peine lorsqu’il est poursuivi chez lui par un huissier qui le confond avec un autre Châtaigne et qui casse tout chez lui. Lorsqu’il arrive en retard au Ministère de la norme, il se voit attribué la destination la moins plébiscitée : la Guyane. Son stage a pour but de collaborer à la relance du tourisme grâce à la création de la première station de ski. Absurde ? Oui mais pas plus que certaines constructions européennes destinées à faire rayonner la France sans prendre en compte la réalité d’un pays, comme ce pont qui relie le Brésil à la Guyane et qui n’a jamais servi. On l’aura compris, Peretjatko ne fait pas un cinéma naturaliste ! Nous sommes d’emblée plongés dans un univers burlesque et atemporel. Si les décors et les costumes sont volontairement vintage (cf. la photo de Mitterrand au Ministère), le reste de l’histoire semble appartenir à un futur proche où nous serions tous indéfiniment stagiaires, faute d’emplois. Lâchons donc là nos références et régalons-nous devant cette comédie d’aventures singulière entre la parodie et le burlesque, et qui est très certainement une jolie allégorie de nos mondes modernes.

Arrivés là-bas, Châtaigne est accueilli par un Mathieu Amalric halluciné qui lui explique pourquoi les normes européennes ne s’adaptent qu’à l’Europe et non au climat tropical (leur bureau pourtant aux normes HQE est tellement humide qu’ils sont obligés de ventiler non stop). La France est représentée sur tous les continents à travers ses territoires mais ne semble pas tenir compte des différences culturelles importantes.  Tiens tiens, l’héritage colonial de la France serait-il donc bien ancré ?

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On voit d’ailleurs le Ministre (génial Jean-Luc Bideau qu’on adore chez Alain Tanner) aller pavaner devant les investisseurs chinois, qataris ou suisses en vendant un projet absurde mais qu’il promet d’être rentable et de ne pas coûter cher (il suffit pour cela d’embaucher des stagiaires ou mieux de ne pas créer d’emplois ).
Une nouvelle allégorie de notre impérialisme dénué de bon sens !

Châtaigne part donc avec sa co-équipière Tarzan (exquise Vimala Pons, clope au bec et mini short) en repérage dans la jungle. D’aventures en aventures, ils se retrouvent perdus et tentent de survivre au milieu de cette forêt peu accueillante, pleine de boue, de crocodiles, de boa et d’insectes.
A l’instar des héros de screwball comedies,  les deux protagonistes s’opposent et se chamaillent pour mieux se rapprocher. L’un est un célibataire endurci (séparé depuis 18 ans d’une femme dont il conserve toujours précieusement une mèche de cheveux) et naif quand l’autre est une femme forte, déterminée, une « dure à cuire » tout couteau dehors et prénommée Tarzan. Elle rappelle en cela les femmes hawksiennes et l’on ne peut s’empêcher de comparer par moment le duo Châtaigne-Tarzan à celui inoubliable Cary Grant-Katherine Hepburn dans L’impossible Monsieur Bébé. Il faut dire que le film repose énormément sur le rythme des dialogues (le film a été tourné en 22 images par seconde et le son est donc légèrement accéléré) et sur la gestuelle des acteurs qui offre un spectacle particulièrement réjouissant entre pirouettes, maladresses, bagarres et une inénarrable scène aphrodisiaque qu’on vous laisse découvrir.

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Vimala Pons, qui par ailleurs vient du monde du cirque, avoue avoir adoré pouvoir jouer avec son corps. « Les films sont souvent des films de dialogues, avec le film d’Antonin, on a pu aller beaucoup plus loin. Vincent (Macaigne) est d’ailleurs aussi un acteur très physique ».  Il y a du Keaton, du Marx Brothers et du Bébel dans La loi de la jungleAntonin Peretjatko ne revendique pas de référence particulière mais concède qu’inconsciemment son film en évoque bien d’autres. A chacun d’y voir ses propres souvenirs de cinéma ! Vimala Tarzan avec son mégot au bord des lèvres et sa gouaille a en tout cas à mes yeux quelque chose à voir avec Susie la boiteuse.*

Tarzan finit par séduire Châtaigne au détour d’une branche où allongés tant bien que mal, Châtaigne compare la mèche de cheveux qu’il trimballe dans son Code de la norme avec ceux de Tarzan. Au-delà de l’aspect gaguesque, le film déborde de délicatesse et de poésie. Les animaux et autres insectes deviennent le miroir de notre monde, cruel certes mais qui répond à une seule loi : celle de la nature (biologique et humaine). Le serpent mange la souris, les lucioles se prennent pour des lanternes, les papillons virevoltent et les mygales se baladent sur le terrain de golf au même titre que les humains soulignant à nouveau l’absurdité d’un monde exporté en bloc et érigé en seul modèle.

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Dans la Loi de la jungle, il y a aussi Pascal Légitimus, un huissier increvable, un stagiaire ingénieur en repérage pour un projet TGV, des mangeurs de têtes, une machine à écrire jaune, un fou de la gâchette et bien d’autres bestioles.

Au-delà du comique indéniable et des répliques bientôt cultes, La loi de la jungle rappelle que notre monde, aussi absurde soit-il, reste un terrain de jeu infiniment poétique. A y réfléchir, c’est déjà pas mal.

 

 

* L’impossible Monsieur Bébé d’Howard Hawks
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