EVERYBODY KNOWS, un huis clos qui porte bien son titre

Le 71ème festival de Cannes s’est ouvert mardi soir sous le signe de la légèreté, de la beauté et de l’humour avec un Edouard Baer en maitre de cérémonie à qui l’on aimerait attribuer la palme d’or dans ce rôle là tant il l’a campé avec la poésie et la liberté qu’on lui connait dans Plus près de toi (sur radio Nova). La soirée s’est clôturée avec Everybody knows, le film du grand cinéaste iranien et habitué de Cannes, Asghar Farhadi. Grosse déception.

Everybody knows. Voilà un titre qui porte bien son nom. On pourrait même dire de ce huis clos que tout le monde savait (everybody knew). Laura (Penelope Cruz) revient dans son village natal en Espagne pour assister avec ses deux enfants au mariage de sa soeur. Son mari (Ricardo Darin) est resté en Argentine où ils vivent pour des raisons professionnelles. La voilà donc seule au milieu des siens : son vieux père, sa soeur ainée, sa cadette et Paco (Javier Bardem) son amour de toujours. Mais en plein coeur de cette soirée festive, Irene, sa fougueuse adolescente, disparait.

Asghar Farhadi est un cinéaste impressionnant. Le monde entier l’a découvert avec A propos d’Elly ours d’argent à Berlin en 2009 puis vint le couronnement avec son chef d’oeuvre Une séparation, film unanimement plébiscité et récompensé. Suivirent Le passé, formidable film tourné en France avec Bérénice Béjo et Le client en 2016 qui déjà flirtait du côté du polar. On attendait donc beaucoup de ce film d’ouverture au casting très glamour : le couple Cruz-Bardem. Rien que ça. Pourtant dès les premiers plans le doute nous assaille. La mise en place des personnages (ils sont nombreux) et du décor donne un peu l’impression d’une publicité Barilla avec tous les clichés des pays méditerranéens (linge pendu aux fenêtres, petites places ensoleillées, embrassades)  là où pourtant Farhadi s’était complètement approprié la banlieue parisienne dans Le passé. Quand arrive enfin la scène du mariage et le talent de Farhadi à filmer la vie, les accidents (pour reprendre Pierrot le fou), le verre de trop, la coupure d’électricité, les gens qui continuent de chanter, le père ivre. Nous voici à nouveau plongés au coeur de leur vie, de leur joie jusqu’à la découverte du lit vide dans lequel Irene s’est réfugiée pour se remettre de son décalage horaire et de sa fougue amoureuse.

L’intérêt du film ne repose évidemment pas sur l’intrigue attendue mais sur les rapports entre les personnages filmé dans le huis clos d’un village où tout se sait. Difficile en effet de ne pas suspecter les invités du mariage au cours duquel s’est passé le drame. Chacun cherche à retracer la vérité avant que cela ne soit trop tard, les secrets de famille remontent à la surface et dans l’attente insupportable que traverse Laura-Penelope Cruz, peu d’autres solutions que de tenter le tout pour le tout au risque de tout perdre.

Mais si Farhadi sait parfaitement filmer les tensions, les non dits, les frôlements, le désarroi, il convainc nettement moins dans ce genre du polar malgré ses clins d’oeil au clocher de Vertigo  qui annoncent le drame à suivre. Certes Farhadi reste un grand directeur d’acteurs mais lui qui nous avait habitués à une mise en scène souvent prodigieuse et incarnée déçoit ici par un retournement facile et paresseux. Le couple star ne relève en rien nos attentes, en particulier Penelope Cruz qui surjoue les mères épleurées. Reste Javier Bardem plutôt touchant et juste mais leur présence interroge sur la pertinence et l’intérêt des cinéastes étrangers à tourner avec des stars hollywoodiennes.

Edouard Baer a ouvert cette 71ème cérémonie sur la fameuse scène de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (affiche du festival cette année) où la magnifique Anna Karina fredonne les pieds dans l’eau « Qu’est ce que je peux faire, je sais pas quoi faire », et s’en est emparé pour dire combien le cinéma c’était aussi l’art d’improviser avec la vie, les producteurs, les festivals… Espérons que le cinéaste iranien saura pour son prochain film tourner sans trop savoir quoi faire.

SONITA : 18 ans, afghane, rappeuse et résolument libre

De l’Afghanistan à l’Iran, Sonita suit le parcours d’une jeune réfugiée afghane déterminée à se battre pour ses rêves et à ne pas laisser sa famille décider de son sort. Déjà l’auteur de six documentaires animés, Rokhsareh Ghaem Maghami filme avec Sonita la trajectoire d’un destin en plein bouleversement et pose la question : une autre vie est-elle possible pour qui s’accroche à ses rêves ?

Sonita rêve de devenir chanteuse. Ses parents idéaux : Rihanna et Michael Jackson. Pour elle le rap est le meilleur moyen d’exprimer sa parole, de se faire entendre et de ne pas être insoumise. Mais en Iran comme chez elle, les femmes n’ont pas le droit de chanter. Accueillie au sein d’une ONG qui s’occupe des migrants, Sonita a confiance en l’avenir, elle en est sûre, elle deviendra célèbre. Elle tient un journal sur lequel elle colle des images glanées de sa vie future : sa maison de rêve, sa photo sur le corps de Rihanna en concert etc… Une manière pour elle de ne jamais perdre de vue ses rêves. Sa mère qui est restée en Afghanistan et qu’elle n’a pas vu depuis sept ans vient lui rendre visite. L’objet de ce déplacement est vite clair : sa mère veut la marier contre 9000$, somme qui permettra à son frère de se marier à son tour. L’ONG ne peut pas se permettre de verser une telle somme et le destin de Sonita semble réglé : elle devra s’y résoudre.

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Au départ, la réalisatrice voulait suivre le sort des migrants au sein d’une ONG en Iran. Mais très vite, les rêves de Sonita ont pris le dessus et bientôt la perspective d’un mariage forcé pour arranger sa famille. En filmant le réel, Rokhsareh Ghaem Maghami voit son film prendre un autre tournant et suivre le fil d’un dénouement qu’elle peut encore changer. Au-delà de dresser le portrait d’une jeune afghane insoumise, la cinéaste prend le pari de contredire un destin et se met elle-même en scène dans les choix qui lui incombent. C’est peut être là que le film devient le plus intéressant (même si le personnage de Sonita est très charismatique et nous emporte), dans ce questionnement inhérent à la place du réalisateur et son rôle de “filmeur“.

Pourtant, le pari ne semblait pas gagné d’avance : une cinéaste iranienne filmant une jeune femme afghane qui veut devenir rappeuse et refuse son mariage forcé, voilà une situation de départ déjà pleine d’obstacles ! Mais c’est en contournant ces contraintes liées aux conditions de la femme que le film déploie une véritable liberté de ton et de filmage. La cinéaste n’hésite pas à se mettre en danger, à s’exposer et se filmer quitte à “perdre“ son récit de départ. Son coeur balance entre son film et la réalité et elle transforme ses doutes et ses questionnements en acte filmique. C’est parfois un peu long mais ces scènes rendent aussi compte que le cinéma peut se ré-approprier la vie.

On ne présente plus le cinéma iranien qui a acquis aujourd’hui une reconnaissance internationale notamment grâce au regretté Abbas Kiarostami et à d’autres cinéastes comme Asghar Farhadi, Mohsen Makhmalbaf ou Jafar Panahi. Ce qu’on sait moins en revanche c’est que le documentaire a une place prépondérante en Iran et voit chaque année l’émergence de nouvelles femmes documentaristes. Rokhsareh Ghaem Maghami en fait partie et nous livre avec Sonita un beau portrait d’une femme résolument libre.