EVA, le remake raté de Jacquot

Après Le Journal d’une femme de chambre,  l’infatigable Benoit Jacquot s’attaque à Eva de James Hadley Chase, tous les deux ayant déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique à laquelle il était difficile de se mesurer. Et là encore, Jacquot déçoit.

Bertrand (Gaspard Ulliel) est un jeune gigolo opportuniste. Lorsqu’il s’empare d’une pièce de théâtre d’un de ses clients anglais, le succès est immédiat et Bertrand devient un auteur en vogue. Son éditeur le presse d’écrire sa prochaine pièce et Bertrand, en panne d’inspiration, quitte Paris pour la montagne dans le chalet familial de son amie. Il y fait la rencontre d’Eva (Isabelle Huppert), une prostituée mystérieuse. Bertrand immédiatement attiré par Eva semble retrouver une certaine inspiration.

Jusque là, rien de très différent du film de Joseph Losey si ce n’est un prologue qui vient surligner le pourquoi du comment : fallait-il vraiment que Bertrand ait été gigolo lui-même et passe du statut de “bourreau“ à celui de “victime“ (d’Eva) pour que l’on s’intéresse davantage à ce récit ? La scène d’ouverture annonce d’emblée le pire (pour le spectateur) à venir. Un homme, riche écrivain à succès anglais devenu has been loue les services du jeune et beau Gaspard mais est victime d’un malaise et s’éteint dans son bain. S’il y a malaise ce n’est pas tant lié à la situation d’amour tarifé qu’au jeu des acteurs et à l’absence d’incarnation. On reste à distance de ce théâtre pathétique et on ne s’en approchera plus.

Benoit Jacquot qui est l’un des maitres dans l’expression des sentiments magnétiques, indicibles, lui qui sait traduire avec grâce les émotions les plus obscures, semble s’être égaré depuis quelques temps dans les limbes d’un cinéma froid et peu inspiré. Le film qui se veut être un thriller nous laisse de marbre et l’attirance du jeune écrivain envers Eva parait aussi factice qu’insipide.

Lorsque Jacquot filme un dialogue tendu entre Bertrand et Caroline (Julia Roy, pâle copie d’Isild Lebescot), il préfère au champ contre-champ passer d’un visage à l’autre dans un mouvement rapide (et assez laid), illustrant de façon appuyée la tension qui les lie. On retrouvera d’ailleurs plusieurs plans sans aucune inventivité, venant appuyer les gestes des protagonistes. Là où Losey était dans l’évocation, la sensualité, la mélancolie (la sublime scène de Jeanne Moreau se déshabillant sur du Billie Holiday), Jacquot reste dans l’illustration et nous ennuie.

Quant à Isabelle Huppert dont c’est la sixième collaboration avec Benoit Jacquot, et qui n’en est pas à son premier rôle de femme fatale et déconcertante (notamment chez Chabrol), elle peine à nous convaincre dans ce rôle de prostituée bourgeoise de province. Certes Huppert est une icône atemporelle mais c’est justement parce qu’elle est une icône qu’il est difficile de croire en son Eva accoutrée d’une perruque.  La fascination que Bertrand a pour elle ne semble justifiée que par les quelques (mauvaises) répliques qu’il lui vole pour sa pièce à venir. Rien ne nous retient dans cette relation, pas même ce qui flirte du côté malsain et pervers. Ajoutez à cela des dialogues dont on peine à croire qu’ils aient été co-écrits par Gilles Taurand – scénariste confirmé à qui l’on doit un bon nombre d’adaptations (Réparer les vivants, Le coeur régulier, La belle personne et l’un des plus beaux films de Jacquot, Les adieux à la reine) – tant ils sont plats et dignes d’une mauvaise sitcom.

Benoit Jacquot à l’instar d’un Verhoeven a voulu s’attaquer au thriller sexuel et on pouvait espérer un film à la hauteur de ce grand cinéaste à la carrière imposante et aux succès mérités. La déception est grande surtout quand on sait qu’il porte ce projet depuis ses 14 ans, à l’époque même où il décide de devenir cinéaste et qu’il découvre le roman de Chase. Eva c’est l’histoire d’un homme qui se ment à lui même. A se demander si Jacquot n’en a pas fait autant.

LES ADIEUX A LA REINE

Voir un film de Benoit Jacquot me rend toujours heureuse. Et là peut être plus encore parce que j’allais enfin combler mon impatience de découvrir ces Adieux à la reine et  partager ce moment avec ma fille.

J’aime profondément ce cinéaste qui n’a pas son pareil pour filmer le trouble et l’instant où tout  bascule. La minute, la seconde vertigineuse, celle que l’on vit parfois et qui nous retourne sans qu’on n’y comprenne rien. Le récit commence le 14 juillet 1789 et les sujets de Versailles essayent tant bien que mal de comprendre ce qui se passe à la Bastille. Sidonie Laborde, lectrice de la reine, erre dans les couloirs du château en attendant d’être appelée auprès d’elle. Sa fascination l’aveugle et Sidonie ne vit que pour ces courts instants aux côtés d’une reine aussi manipulatrice qu’éperdument amoureuse. Léa Seydoux habite chaque plan avec grâce et innocence et dans ce chaos, rien ne semble exister d’autre que cette appréhension amoureuse de l’absence de l’être aimé. Sidonie a peur pour la reine (éblouissante Diane Kruger) et Marie Antoinette a peur pour sa protégée duchesse de Polignac (Virginie Ledoyen). Dans ce triangle amoureux entre ingratitude et un certain machiavélisme, on retrouve les thèmes chers à Jacquot et son ineffable talent pour capturer l’errance, la perte de soi et le désordre amoureux.

Un plan sublime dans les couloirs sordides du château où s’entassent nobles et serviteurs met en scène Sidonie, tellement épuisée qu’elle s’est endormie au milieu de cette foule agitée. La peur envahit les gens qui s’échangent les dernières rumeurs, quand soudain appelée par la reine, Sidonie se réveille et se met à courir, à chanceler parmi les autres. La caméra ne la quitte pas, prend sa place même et tout est là : son espoir, ses peurs, son amour, son insouciance et sa liberté d’aimer.

La reine désespérée se prépare à quitter les lieux mais ne ne peut se résoudre au silence de la duchesse qui s’est retirée dans ses appartements. La duchesse lui résiste, insoumise et légère, et Marie Antoinette ne peut le supporter. Elle se confie à Sidonie. Qui d’autre qu’elle pourrait en effet mieux la comprendre ? Elle qui ne peut se passer de sa présence. La révolution est en marche et pourtant seule sa souffrance amoureuse semble dévaster la reine. Le film n’a d’historique que son contexte et son décor, et nous dévoile à travers le regard fiévreux de Léa-Sidonie (dans son plus beau rôle) un Versailles underground et finalement très actuel dans une atmosphère mêlant la peur, le désir et les tremblements.