OUVERTURE DE LA 9EME EDITION DU FESTIVAL LUMIERE

Initié par l’Institut Lumière et sa « dream team », Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier en tête, le Festival Lumière inaugure demain sa 9ème édition qui se tient à Lyon jusqu’au 22 octobre.

Festival Lumière 2017

Au programme des festivités, une rétrospective Wong Kar Wai qui se verra décerner le Prix Lumière succédant ainsi à Catherine Deneuve, Martin Scorsese, Quentin Tarantino et Clint Eastwood; des masterclass avec les invités de cette édition; 180 films à (re)découvrir; des rétrospectives et même un Marché international du film classique. Autant dire que je n’allais pas rater cet évènement !

Les films de patrimoine

Devenu un des rendez-vous incontournables du cinéma de patrimoine, le Festival Lumière est l’occasion de redécouvrir des classiques sur grand écran (voire très grand écran avec des projections à la Halle Tony Garnier) et souvent dans de magnifiques copies restaurées à cet effet.

Parmi ces classiques, nous pourrons revoir Annie Hall de Woody Allen ou Le Pont du Nord de Jacques Rivette; des ressorties en exclusivité du cinéma iranien (Amir Naderi), anglais (Tony Richardson récemment à l’honneur au Champo), italien (Vittorio De Sicca, Mauro Bolognini) ou américain (John Cassavetes et Allen Baron). Le cinéma muet sera également à l’honneur avec deux ciné-concerts de films d’Harrold Lloyd dont l’un accompagné par l’Orchestre national de Lyon.

La solitude du coureur de fond de Tony Richardson

Rétrospectives

Le Prix Lumière décerné cette année au cinéaste Hongkongais Wong Kar-Wai donnera lieu à une belle rétrospective de ses films. C’est d’ailleurs le très beau In the mood for love qui viendra clôturer cette 9ème édition.

Une autre rétrospective est consacrée à Henri-Georges Clouzot qui sera bientôt à l’honneur à la Cinémathèque française (exposition à découvrir à partir du 8 novembre prochain).

Autre rétrospective attendue, celle concoctée par Bertrand Tavernier autour des westerns classiques. L’occasion de revoir La Poursuite Infernale de John Ford ou La Fureur des hommes de Henry Hathaway.

Le même Bertrand Tavernier présentera en exclusivité la suite de son Voyage à travers les cinéma français : au total 8 épisodes qui parcourent le cinéma d’Ophuls, Guitry, Pagnol, Jacques Tati et bien d’autres avant leur diffusion sur France 5 et Ciné+.

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Marius de Marcel Pagnol évoqué dans la suite du Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier

Les invités 2017

Comme tous les ans, le Festival Lumière ne plaisante pas en matière d’invités. Cette année seront présents William Friedkin et Guillermo Del Toro (les noctambules les plus courageux pourront même se réjouir de s’offrir une nuit entière devant les films de Friedkin le vendredi 20 et ceux de Del Toro dès demain soir), Tilda Swinton, Diane Kurys, Michael Mann, Anna Karina et Jean-François Stévenin. Autour de ces invités, des masterclass et une carte blanche à Wong Kar-WAi et Guillermo Del Toro.

Anna Karina
Anna Karina dans Vivre sa vie de Godard

Autre évènements

On pourra se réjouir aussi de découvrir le Wanda de Barbara Loden, cinéaste rare qui était aussi l’épouse d’Elia Kazan, d’aller passer une Nuit dans l’espace le samedi 21 avec la projection de Gravity, Interstellar, Star Trek et Seul sur marsA noter également que le centenaire de Jean-Pierre Melville sera célébré avec la projection en copie restaurée du Doulos et de Bob le flambeur.

Le Festival Lumière c’est aussi le Village cinéma, des projections de courts métrages, une programmation jeunesse et des expositions autour du cinéma. Lyon, berceau du cinéma plus que jamais !

 

FIN DE CAVALE POUR JEAN ROCHEFORT

Décidément cette année aura été fatidique pour bon nombre de monuments du cinéma. Après Jeanne Moreau, Claude Rich et tout récemment Anne Wiazemsky, on apprend à l’instant avec immense tristesse la disparition de Jean Rochefort. Il avait 87 ans.

Difficile de résumer la longue carrière du moustachu le plus célèbre du cinéma français. Jean Rochefort, c’était avant tout une voix chaude, un regard malicieux, un grand sens de humour, un rire communicatif et une classe légendaire. Né à Paris, il suit les cours du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris avec ses amis Marielle, Belmondo et Rich et démarre sa carrière d’acteur dans les années 50. Il se fait connaitre avec Cartouche de Philippe de Broca, avec qui il tournera trois autres films dont Le cavaleur. En 1972, il tourne Le grand blond avec une chaussure noire d’Yves Robert qui ouvre le début d’une longue collaboration avec lui (8 films sur 20 ans). Il devient dès lors l’un des acteurs les plus populaires du cinéma français et le public le connait surtout pour ses apparitions mémorables dans des comédies désormais mythiques telles Un éléphant ça trompe énormément, Le grand blond Le Placard ou Astérix et Obélix : au service de sa Majesté. Jean Rochefort était aussi un grand acteur de films dramatiques et sera d’ailleurs récompensé d’un césar du meilleur acteur dans un second rôle pour sa formidable interprétation de l’Abbé Dubois dans Que la fête commence de Bertrand Tavernier avec qui il avait déjà tourné L’horloger de Saint-Paul, et d’un césar du meilleur acteur en 1978 pour Le Crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer. Il sera par la suite récompensé à quatre reprises.

Fou de chevaux, il avouait sans fard avoir tourné quelques nanars qu’il s’amusait à nommer « films d’avoine » pour financer sa passion. On retiendra surtout ses apparitions chez Bunuel (Le fantôme de la liberté), Tavernier, Salvadori (Cible émouvante), Patrice Chéreau (Ridicule),  Patrice Leconte (Tandem, Le mari de la coiffeuse), Terry Gilliam dans son film inachevé sur Don Quichotte et bien sûr Yves Robert qui a su parfaitement utiliser le charme mêlé de flegme et de malice de l’acteur.

Hospitalisé depuis août dernier, Jean Rochefort a fini par rejoindre ses amis de la « bande du Conservatoire », Philippe Noiret et Claude Rich. Parions qu’ils cavalent ensemble au paradis.

ARRAS FILM FESTIVAL : une programmation réjouissante et éclectique

Mercredi 9 novembre : J6 du Festival

L’arrivée ce matin en gare d’Arras était pour le moins contrariée par les nouvelles toutes fraîches américaines ainsi qu’une pluie battante. Heureusement l’accueil du Village des Festivals nous plonge d’emblée dans une autre ambiance : celle d’un événement mettant les films à l’honneur et par là, une autre vision du monde nécessaire et réconfortante.

Le premier film au programme du jour était une avant-première en résonance avec l’actualité puisqu’il s’agit d’un thriller politique se déroulant en pleine période pré-électorale. LA MECANIQUE DE L’OMBRE, réalisé par Thomas Kruithof avec François Cluzet et Denis Podalydès.

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Duval, un comptable au chômage ex-alcoolique est embauché par un mystérieux Clément (Denis Podalydès) pour retranscrire des écoutes téléphoniques. Le voici donc enfermé seul dans un appartement, respectant à la lettre des consignes précises. Acculé, Duval accepte cette mission mais très vite se retrouve au centre d’un complot politique cynique et dangereux.

LA MECANIQUE DE L’OMBRE s’inscrit dans le film de genre et prolonge la tradition de thrillers politiques machiavéliques à l’instar de Ghost writer de Polanski. La mise en scène un peu trop appuyée par moment reste néanmoins efficace et François Cluzet porte le film à lui seul. Pas un plan sans son visage à l’expression inquiète. L’intrigue elle-même nous maintient en haleine sans être pour autant très alambiquée. De son côté, Podalydès est formidable en homme d’affaire impitoyable.


Courte pause le temps d’un café avant la deuxième séance : LE TROU (1960) de Jacques Becker en version restaurée dans le cadre de la sélection « Films d’évasion », avec une belle surprise en avant programme, une archive de l’INA d’une interview de José Giovanni – l’auteur du livre éponyme adapté par Becker – par Bertrand Tavernier. Ce dernier vient d’ailleurs de rendre un vibrant hommage à Becker dans son Voyage à travers le cinéma français. La boucle est bouclée !

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LE TROU c’est l’histoire vraie de quatre prisonniers bientôt rejoint par un nouveau, Gaspard, préparant méticuleusement leur évasion. Co-écrit par José Giovanni, le film est un hymne au désir de liberté des hommes et à leur humanité. La mise en scène est prodigieuse et Becker filme chacun des gestes avec soin et authenticité. Chaque étape de leur tentative d’évasion est relayée de façon quasi documentaire. Ainsi voit-on Geo, Monseigneur, Manu, Roland et Gaspard dans leur quotidien carcéral, partager leur repas, enchaîner les cigarettes (sauf Manu qui ne fume pas), s’atteler à creuser un tunnel, scier les barreaux, inventer un sablier… La notion de temps semble alors aussi se dissiper pour nous spectateurs. Et les protagonistes font preuve d’une telle ingéniosité et d’une telle obstination qu’on est terrifié à chaque fois que les matons s’approchent de la cellule.

Mais LE TROU c’est aussi l’histoire d’une amitié hasardeuse, d’une confiance fragile et jamais certaine, d’une solidarité dans l’épreuve de la captivité. Les acteurs sont tous formidables et le talent incontestable de Becker pour nous attacher à chacun des personnages nous plonge complètement dans leur univers. A cela ajoutons les gros plans très utilisés visant à la fois à rendre compte de chaque geste, chaque expression mais aussi à traduire ce sentiment d’étouffement, de surveillance et d’angoisse. Un chef d’oeuvre absolu à voir ou revoir !


Sous les arcades d’Arras se nichent de nombreux restaurants et le Village des Festivals propose une restauration sur place. Ca tombe bien la pause repas s’impose. Une salade, un éclair, un café et c’est reparti ! La troisième séance de la journée était l’avant-première d’une comédie de Maxime Motte, réalisateur originaire du nord, COMMENT J’AI RENCONTRÉ MON PÈRE avec Isabelle Carré et François-Xavier Demaison.

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Elliot et Ava sont les parents adoptifs du petit Enguerrand. Ce dernier passe son temps à rêvasser le retour improbable de son père biologique décédé. Quand un jour, il découvre sur la plage un immigré fraichement débarqué, il reconnait en lui son père et le ramène chez lui. Elliot, toujours désireux de satisfaire son fils et de gagner sa reconnaissance accepte de le cacher. Il enchaîne maladresses sur maladresses pour tenter d’aider Kwabéna avec l’aide de son père (Albert Delpy), tout aussi irresponsable que lui.

Les nombreux rebondissements sont assez réjouissants et donnent lieu à des scènes bien rythmées et des personnages hauts en couleur. COMMENT J’AI RENCONTRÉ MON PÈRE est une comédie plutôt réussie qui parvient à nous amuser tout en abordant des sujets graves comme celui du sort des migrants ou de la quête d’origine. Un feel good movie à ne pas bouder !


Notre première journée s’est terminée en beauté avec le ciné-concert de LE FANTOME QUI NE REVIENT PAS de Abram Broom, film muet russe de 1929, programmé dans les « films d’évasion ». Le film était mis en musique et interprété devant les festivaliers par de jeunes musiciens de la région sur une composition improvisée collectivement, et orchestrée par Jacques Cambra.

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L’histoire se situe dans une prison panoptique où sont incarcérés des prisonniers condamnés à perpétuité. José Real en fait partie depuis dix ans mais lorsqu’il incite les autres à se révolter, le directeur de la prison décide de lui accorder une journée de liberté que lui octroie la loi pour l’abattre. José part en route pour retrouver les siens mais le chemin est long et plein d’embûches.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce film méconnu et néanmoins d’une puissance visuelle étonnante. La scène de début où les prisonniers se révoltent est d’une modernité absolue tant dans la mise en scène, que le découpage et les plans choisis. Ceux de la femme de José courant annoncer à tout le village le retour de son mari sont également renversants. La caméra la précède, tout aussi chancelante qu’elle. Les choix de cadrage et de décor (le directeur de la prison difforme ressemble à un cafard minuscule sur son fauteuil démesurément grand pour lui) comme les effets utilisés (dont le célèbre effet Koulechov) traduisent formidablement les différentes notions d’espace abordées, de la captivité impitoyable aux grands espaces prometteurs de liberté. Dehors comme dedans, José est poursuivi par ses fantômes, réels ou oniriques. LE FANTÔME QUI NE REVIENT PAS est un film d’une force inouïe. Un grand film à découvrir absolument !


Jeudi 10 novembre : J7 du Festival
Un beau soleil ce matin illumait la ville d’Arras, vite balayé par une pluie diluvienne. Pas grave étant donné le programme de la journée qui se déroule principalement dans les salles obscures et au Village des Festivals sur la Grand place pour les conférences de presse, les pauses cafés ou déjeuner, les rencontres avec les festivaliers et les concerts du soir.

La première projection du jour était on ne peut plus réjouissante puisqu’il s’agissait du film d’Edouard Baer, OUVERT LA NUIT. Le film raconte la folle nuit de Luigi (interprété par Edouard Baer), directeur d’un théâtre à la dérive faute de moyens. Une nuit pour trouver de l’argent et payer les salaires de ses techniciens qui menacent de grève, un singe pour la première du lendemain et avant tout regagner la confiance de ses collaborateurs. Il embarque dans son épique traversée de Paris la stagiaire de Sciences Po (Sabrina Ouazani) aussi droite que lui est désinvolte.

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Luigi est agaçant autant qu’il est touchant. Mondain un peu cynique, il est aussi capable d’aider les autres, de s’entourer de belles personnes dévouées dont sa collaboratrice et meilleure amie Nawel (Audrey Tautou) ou d’un grand metteur en scène japonais. Car Luigi envisage la vie comme une suite d’aventures inconnues, de possibles surprises, de hasards heureux et sait rester positif coûte que coûte. Irresponsable, flegmatique, immature ou simplement perdu ? Exubérant et volubile, Luigi prend la vie telle qu’elle vient, s’arrête boire des coups dans des bars, parle à tout le monde et parvient à ses fins. Il charme et rebute mais toujours rassemble. Sa déambulation nous fait traverser des bars à l’ambiance enflammée, la maison montreuilloise de Marcel et sa grande famille, un zoo et nous embarque au milieu d’une galerie de personnages rocambolesques (le regretté Michel Galabru, Lionel Abelansky, Grégory Gadebois pour ne citer qu’eux). C’est foutraque, drôle, touchant et clairement réjouissant. La rencontre presse s’annonce bien !


Changement de registre avec la deuxième séance presse de la matinée enchaînant la précédente : UNE VIE de Stéphane Brizé présenté en avant-première et dans le cadre d’un hommage rendu au réalisateur. Adapté du roman éponyme de Guy de Maupassant, UNE VIE retrace l’histoire de Jeanne (formidable Judith Chemla) de son mariage avec Julien de Lamare (Swann Arlaud) à sa fin de vie.

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Jeanne a hérité du Château normand de ses parents où elle s’installe avec son mari Julien. Très vite elle découvre ses travers, son avarice et surtout ses infidélités. Elevée par des parents aimants (Jean-Pierre Daroussin et Yolande Moreau), elle a appris à pardonner et accepte le retour de Julien auprès d’elle. Elle qui est pure et ne conçoit que la vérité se retrouve à vivre au coeur même du mensonge. Lorsqu’elle découvre que Julien la trompe avec sa fidèle amie Madame de Fourville (la trop rare Clotilde Hesme), elle est anéantie mais ne se décide pas à l’avouer à Monsieur de Fourville pour lui épargner sa peine. Il l’apprend malgré tout et élimine les amants adultères avant de se suicider. Jeanne se retrouve seule avec ses parents, son fils Paul étant envoyé en internat.

UNE VIE se situe du point de vue de Jeanne et filme les personnages au plus près, ne laissant rien au hasard, ni le vent sur les feuillages, ni une mèche de cheveu qui retombe, avec une délicatesse chère à Stéphane Brizé. Magnifiquement éclairé par Antoine Héberlé, UNE VIE traduit avant tout l’extrême solitude des êtres, la simplicité des gestes qui se rejouent à l’infini, la fatalité des actes qui se suivent avec ironie et l’inexorabilité du temps. La vie de Jeanne est faite de souffrance mais aussi de joies que le cinéaste fait surgir dans des flash backs muets comme autant de fulgurances. Jeanne se raccroche à la douceur de ses souvenirs les plus beaux comme sa mère Adélaide se raccroche à ses souvenirs passés en relisant ses lettres. Ainsi revoit elle son fils Paul devenu un jeune homme dilapidant toute sa fortune sous les traits du petit enfant rouquin qu’elle promenait en bord de mer, ou Julien comme l’homme qui lui promettait de l’aimer toute sa vie. UNE VIE est une ode à l’amour inconditionnel, à la quête de vérité, à la pureté de l’âme et des rêves. Un film magnifique à ne manquer sous aucun prétexte !

A 16h30 commence une autre projection de la sélection « films d’évasion », véritable chef d’oeuvre du cinéma français, LA GRANDE ILLUSION de Jean Renoir. Immanquable même si on l’a vu des dizaines de fois ne serait-ce que pour le découvrir sur grand écran.

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Nous sommes en pleine guerre avec l’Allemagne en 1916. Maréchal (Jean Gabin) et le Capitaine de Boeldieu (Pierre Fresnay) sont retenus prisonniers en par le Capitaine Von Rauffenstein (Erich Von Stroheim) qui les traite avec le plus grand soin. Ils sont ensuite transférés dans un autre camp de prisonniers où ils rencontrent d’autres compatriotes dont Rosenthal, un lieutenant qui partage tous ses colis de nourriture avec ses nouveaux comparses. Ensemble ils creusent un tunnel pour s’évader mais le jour de leur tentative, ils sont à nouveau transférés dans une forteresse tenue par Von Rauffenstein. Leur désir d’évasion reprend et Boeldieu met en place un plan pour assurer cette seconde tentative.

LA GRANDE ILLUSION est l’un des plus beaux films de camaraderie, de solidarité et d’intégrité qui existe. Jean Renoir au sommet de son art rend hommage aux trois fondements de la devise républicaine en s’attachant à réunir des personnages de classe sociale différente mais unis par le même désir de liberté et de fraternité. La scène du spectacle bousculée par la nouvelle de la bataille de Douaumont où tous se mettent à chanter la marseillaise est tout simplement bouleversante tout comme la scène qui succède où Gabin enfermé au cachot explose en colère d’une façon effroyable. Gabin est incroyablement juste et touchant, très beau aussi dans ce plan en plongée, ses yeux bleus semblant déjà dériver vers la folie. Le maton allemand lui tend alors des cigarettes et un harmonica et on entend en off Gabin jouant l’air de « Froufrou ». Dans une autre scène, ils reçoivent des malles d’habits de femmes et se ruent dessus pour imaginer leur spectacle et pour rêver un temps à la présence d’une femme. « Arrête tu vas nous enlever l’imagination“ dit Maréchal. Le silence saisissant quand l’un d’entre eux réapparait déguisé en femme est inoubliable. Les acteurs livrent des performances inoubliables elles aussi (n’oublions pas Carette et Marcel Dalio). Un des plus beaux films qu’on ne se lassera jamais de revoir.


Une tarte chèvre basilic et une bière avant d’attaquer la dernière séance de cette deuxième journée : un film en compétition européenne dont le jury est présidé par Jean-Pierre Améris, ANNA’S LIFE de la georgienne Nino Basilia.

Anna, mère célibataire élève seule son fils autiste Sandro. L’établissement spécialisé qui accueille Sandro coûte cher et Anna enchaine les petits boulots pour arriver à survivre. Son projet : émigrer aux Etats Unis pour enfin s’en sortir. Mais la course au visa s’avère un calvaire, le salaire d’Anna étant jugé trop faible pour le consul et trop élevé pour obtenir des aides. Elle rencontre Otto qui lui propose moyennant beaucoup d’argent de lui fournir un visa. Anna fera tout son possible pour réunir la somme jusqu’à faire des choix discutables.

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ANNA’S LIFE est un film fort sur la condition des femmes qui paient cher leur désir d’indépendance. Anna rencontre de nombreux obstacles et tente de les dépasser un à un même lorsque c’est elle qui les provoque. Car comment ne pas craquer ou se tromper en situation de désespoir ? Quelle force faut-il trouver en soi pour continuer à avancer ? La mise en scène est soignée tout comme les cadres aux profondeurs de champ très dessinées tel ce plan d’Anna en arrière plan dans son lit. L’actrice principale (Eka Demetradze) y est épatante. Un premier film réussi.


 Vendredi 11 novembre : J8 du festival
Grand soleil ce matin sur Arras où l’on a pu entendre les cloches tinter en ce jour du 11 novembre. Les ruelles n’étaient pour autant pas désertes et les nombreux festivaliers réunis malgré le froid sur la place du Beffroi où se jouait un spectacle de rue ambiance chevaliers des temps modernes et combat à l’épée.

Direction le Cinemovida pour une première séance de la sélection « Visions de l’est », NIGHT’S LIFE du slovène Nocno Zivljenje. Basé sur un fait divers, le film retrace en quasi temps réel les minutes succédant la découverte par trois jeunes en vélo du corps gisant et nu de Milan, un avocat impliqué en politique. L’ambulance arrive, procure des premiers soins avant d’alerter la police et de l’emmener à l’hôpital bientôt rejoint par sa femme Léa avertie du drame. L’homme a été grièvement mordu par des chiens et dans les pièces à conviction se trouve un gode miché.

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La temporalité réaliste du film nous saisit et nous embarque au coeur d’une sombre histoire jamais élucidée. Le cinéaste convoque l’imaginaire du spectateur en ne donnant jamais de réponse. Léa comme le collègue de Milan craignent que la presse ne s’empare de l’affaire. Quelles sont leurs raisons ? Léa en sait-elle plus qu’elle ne l’affirme ?

S’appuyant sur une mise en scène très maitrisée, NIGHT’S LIFE dérange et secoue en ne s’attachant qu’à filmer ces minutes avec un souci réaliste percutant. Un film puissant qui montre que les réponses ont parfois moins d’intérêt que les questions.


Un repas sur le pouce au Village du Festival avant la prochaine séance du film de Marco Bellocchio, FAIS DE BEAUX REVES, présenté en avant-première. Massimo perd subitement sa mère d’une soi disant crise cardiaque foudroyante. L’enfant grandit et devient journaliste sportif mais reste néanmoins torturé par cette disparition jamais éclaircie.

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On ne présente plus le cinéaste italien Marco Bellocchio, auteur de Les poings dans les poches, Le sourire de ma mère ou encore Vincere. FAIS DE BEAUX REVES ne tient malheureusement pas les promesses de mise en scène à laquelle le cinéaste avait pu nous habituer. Le récit traverse les différentes périodes de vie de Massimo (Valerio Mastandrea) de façon déconstruite et sans pertinence apparente. On passe de l’enfance à l’âge adulte et inversement avec davantage l’impression de tourner en rond que d’avancer, puisqu’au final ne reste qu’une seule et même question à résoudre pour Massimo : comprendre réellement comment est morte sa mère. Nous sommes du coup laissés à distance et chaque scène qui relate un évènement différent de la vie de Massimo semble vain et presque inutile.

Loin d’être une fresque, le film fait des digressions qui sonnent creux et qui ne s’inscrivent pas réellement dans le récit comme les scènes où Massimo part en Bosnie en grand reporter ou son aventure avec Bérénice Béjo auquel on a du mal à croire. Le sommet de ces flash backs d’enfance réside dans une scène où Massimo ado se retrouve chez l’un de ses amis, accueilli par une mère envahissante (Emmanuelle Devos) dont la présence ne fait que raviver l’absence de sa mère disparue. Elle se met à entonner « Colchique dans les prés“, ce qui laisse Massimo rêveur. N’y avait-il pas de conseiller musical dans le budget du film pour éviter cette scène aussi absurde que ridicule ?

On notera malgré tout quelques beaux moments, notamment les scènes avec Massimo enfant formidablement interprété par Nicolo Cabras. Un film décevant qui ne laissera pas un souvenir impérissable dans cette édition 2016.


Petit tour sur la place du Beffroi histoire de profiter des derniers rayons de soleil hivernal avant de s’enfermer à nouveau en salles et découvrir le film israélien de Asaph Polonsky UNE SEMAINE ET UN JOUR programmé dans la section « Cinémas du monde ».

Cette comédie douce amère aborde le sujet du deuil en relevant le pari de rester léger et grave à la fois. Le film se déroule le temps d’une journée, celle qui suit Shiv’ah (les 7 jours de deuil de la tradition juive). Alors qu’ils viennent d’enterrer leur fils unique, Elyal et Vicky (Shai Avivi et Evgenia Dodina) doivent continuer d’avancer, retourner travailler, gérer les dernières formalités liées aux obsèques. Mais plutôt que de s’atteler à ses taches, Elyal, sorte de Ben Stiller version grisonnante, s’accorde une dernière journée d’errance et se rend à l’hôpital récupérer la couverture de son fils décédé Ronnie. Pas de couverture mais à la place un sac de marijuana médicinale. Eyal essaye en vain de rouler un joint et finit par solliciter le fils de ses voisins avec lesquels il est fâché. Cette première journée s’annonce donc un peu chaotique, salvatrice et donne lieu à des scènes aussi cocasses qu’émouvantes.

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En abordant la question du deuil, UNE SEMAINE ET UN JOUR soulève d’autres questions. Comment peut-on apprendre à revivre à nouveau ? Quel temps s’accorder pour peu à peu se relever ? Comment renouer avec ceux qui restent ? Un film poétique, drôle et touchant.


Trente minutes de courte pause avant la deuxième séance « Visions de l’est » de la journée avec le film du tchécoslovaque Ivan Passer, ECLAIRAGE INTIME réalisé en 1965.

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Petr passe le week end chez Bambas, un de ses amis musiciens comme lui, pour donner un concert dans une petite ville de Bohème. Filmé dans des décors naturels avec des acteurs non professionnels, ECLAIRAGE INTIME dresse le portrait de gens ordinaires avec un ton qui oscille entre burlesque et documentaire. Ivan Passer filme tous les petits gestes, les repas, les pleurs, les chamailleries, les retrouvailles. C’est simple et beau. Souvent drôle aussi comme la scène de fou rire de Stepa ou la répétition des quatre amis musiciens. « C’est plus facile de pleurer que de rire » dit l’un d’eux. Les deux ne sont jamais bien loin chez Passer. Un des films référence de la Nouvelle vague tchèque.

Comme tous les soirs, un concert nous attendait au Village après les dernières projections : une fanfare qu’on avait déjà croisée itinérante dans les rues d’Arras pendant la journée et qui est apparue comme un joli clin d’oeil au film d’Ivan Passer !

Au final cette 17ème édition du Arras Film Festival nous aura séduit par sa belle programmation qui traduit toute la diversité du cinéma français, européen et international. L’occasion aussi de revoir des classiques dans des copies magnifiquement restaurées et de confirmer le talent des cinéastes de d’Europe de l’est. On retiendra aussi le formidable accueil que nous ont réservé l’équipe et ses nombreux bénévoles. Vivement l’édition 2017 !

RENCONTRE AVEC BERTRAND TAVERNIER

(c) Max Rosereau

Il est arrivé mardi dernier à l’hôtel où se tenait la conférence de presse avec sa démarche si singulière, son allure un peu gauche, ses bras pendant le long du corps et son écharpe bleue assortie à sa tenue. Bertrand Tavernier nous touche d’emblée peut être parce qu’il semble pouvoir vaciller à chaque instant. C’est son côté Gary Cooper, fort et fragile à la fois. Il s’est assis, attendant nos directives, a commandé un thé et s’est immédiatement mis à parler pour combler les quelques secondes de trouble que provoque son arrivée. Car Bertrand Tavernier impressionne, intimide. J’ai travaillé à ses côtés pendant quatre années ce qui me donne une longueur d’avance pour le décrypter. Je sais donc aussi qu’il peut facilement s’irriter face aux questions ou remarques ineptes. Aussi doux, tendre, attentionné envers ses collaborateurs que fougueux, passionné et parfois colérique, Bertrand Tavernier est imprévisible. Généreux aussi. Il aime partager ses coups de coeur (disques, livres, dvds) comme les spécialités culinaires et autres friandises qu’il ramène au fil de ses voyages et distribue à qui se trouve sur son chemin. C’est un peu d’ailleurs ce qu’il fait avec ce Voyage à travers le cinéma français en partageant avec nous les films qui l’ont marqués. Bertrand Tavernier aime raconter, défendre les films et pourrait parler sans s’arrêter, multiplier les digressions. .J’avais le droit à une demi heure en tête à tête. C’est beaucoup (et pas assez). J’aurais aimé évoquer avec lui tant d’autres films, les siens comme ceux des autres. Retour sur mon entretien avec lui.

On a l’impression que tu portes ce film depuis toujours. Y a-t-il eu un élément déclencheur, une urgence de transmission ? Qu’est ce qui a été possible ou différent et qui ne l’était pas avant ?

J’avais eu une ou deux fois une proposition de la BBC mais je n’arrivais pas à trouver l’angle. Et puis il y avait cette contrainte de format (52’) qui me paraissait impossible. C’est en me disant qu’il fallait que j’en parle de façon personnelle que petit à petit le projet a grandi dans ma tête et s’est imposé. Je ne peux pas dire s’il y a eu un élément déclencheur sinon que cela devenait une urgence car je voyais des institutions chargées de diffuser, de protéger ou de vanter le patrimoine qui ne le faisaient plus, qui abandonnaient leurs taches et qui traitait ça de la même manière que quand avec Thierry (Frémaux) on voulait monter le projet du Festival Lumière. On nous rigolait au nez en nous disant : “vous revenez au temps du ciné club“. Ce Festival est aujourd’hui un énorme succès et je me suis dit qu’il fallait y aller car ce cinéma français n’était pas dépassé, qu’il était très divers, bourré d’énergie de vitalité, de passion et que je pouvais en parler à travers des bouts de ma vie. La conjonction de tout ça est devenue imparable.

Le cinéma chez toi pourrait être une histoire sans fin. Une suite pour la télévision est attendue. Comment as tu dessiné les contours de ce voyage qui n’est ni chronologique ni exhaustif ? Où l’arrête-t-on ?

C’est très difficile. Je savais que j’avais envie de démarrer avec le sanatorium ce qui me faisait partir de Jacques Becker et de mon premier choc, Dernier atout, que j’ai mis 30 ans à identifier. Après, c’est le fruit d’un énorme travail avec des liaisons qui se sont imposées naturellement, de Becker on est arrivé rapidement à Renoir puisque je les ai découverts à peu près en même temps. Ensuite il a fallu jongler, faire plein d’essais et abandonner certains quand on se rendait compte qu’ils ne s’ancraient pas dans la dramaturgie. Et je ne parle pas ici des films qu’on a du abandonner faute de matériel ou de problèmes de droits d’auteur.

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Falbalas de Jacques Becker

Choisir c’est renoncer. N’y a t-il pas des frustrations ou des regrets à ne pas être exhaustif dans ses coups de cœur quand il s’agit de transmettre et de partager comme tu le fais ?

Je pensais toujours qu’il y aurait une suite derrière, on en avait parlé très tôt avec les producteurs. Je savais donc que je pouvais compter sur la série (NB : une suite de huit épisodes pour la télévision est attendue) qui je le rappelle ne sera pas une version longue du film mais une prolongation. Donc je savais qu’en éliminant Max Ophuls, Guitry ou Pagnol, je pourrais leur consacrer une autre place ailleurs. C’est la dramaturgie qui a imposé l’élimination de certains, et non une question de supériorité des œuvres.

Toi qui détestes les querelles de chapelle, qui es capable d’aimer des films et des cinéastes très différents, vois tu un point commun à tous ces films qui tisseraient le fil invisible de ta cinéphilie ? Qu’est ce que possède un film qu’on a envie de transmettre ?

Non il n’y a pas de point commun. Le propre c’est d’admirer des œuvres totalement diverses, très différentes, de cinéastes parfois qui ne s’appréciaient pas les uns les autres. L’émotion ou le choc ressenti est lui-même très différent. Je ne ressens pas devant Octobre à Paris la même chose que devant un film de Becker, Renoir ou Sautet. Octobre à Paris est un documentaire important sur un évènement terrible même s’il n’est pas toujours réussi. Jacques Panijel est d’ailleurs le seul cinéaste contemporain de ces évènements à faire un film sur cette répression de manifestation. Pour voir le film on a du fuir la police toute une nuit. Je ne mets pas ces films sur le même plan… C’est peut être parce que je suis d’une grande curiosité et que ce qui m’intéressait c’était de montrer l’extraordinaire diversité des talents et casser un peu ces “boites“. L’histoire montre qu’on a parfois essayé de regrouper des gens qui n’ont rien à voir ! Carné dans sa manière de mettre en scène n’a rien à voir avec Grémillon et pourtant ils sont rassemblés sous l’étiquette “réalisme poétique“. De la même manière je trouve l’étiquette “Nouvelle Vague“ complètement creuse ! Il suffit de voir des extraits de Pierrot le fou ou du Mépris à côté d’extraits de Chabrol pour se rendre compte que le cinéma de Chabrol n’a absolument aucun rapport avec celui de Godard.

A propos de la Nouvelle Vague, tu racontes d’ailleurs combien tu as été proche d’eux en tant qu’attaché de presse ou défenseur de la Cinémathèque d’Henri Langlois. Qu’est ce qui t’a éloigné ou rapproché d’eux ?

J’étais très proche d’eux, je trouvais d’ailleurs qu’ils innovaient beaucoup et que certains imposaient un cinéma à la première personne qui venait casser les conventions du cinéma français qui à partir du milieu des années 50 devenait guindé, raide, statique. Ce n’était pas le cas de tous les films mais il y avait cette tendance-là. Ils amenaient des choses personnelles qui trouvaient racines dans un cinéma d’avant. Le côté autobiographique de Truffaut par exemple trouve ses racines dans un film comme Premières armes de René Wheeler. D’ailleurs Truffaut revendiquera son influence. J’aime moins en revanche certaines déclarations de leurs défenseurs qui font table rase de tout un cinéma, ce qui n’était pas le cas de Truffaut ou Chabrol. Chabrol aimait beaucoup les films de Duvivier, Truffaut a défendu des films d’Autant Lara et de Duvivier, il en a beaucoup cassés mais en a défendu d’autres. Malheureusement après on a eu affaire à des disciples plus intransigeants que leurs maitres qui appliquent une forme d’intégrisme auquel je m’oppose.

En défenseur d’un certain cinéma, tu “réhabilites“ plusieurs cinéastes oubliés ou méprisés. A l’inverse tu n’oublies pas de dévoiler le passé obscur de Jean Renoir, l’un des maitres incontestables du cinéma français. Est-ce une manière de rééquilibrer tout cela ?

Non mais de prendre en compte le paysage du cinéma français qui est extrêmement varié, accidenté et comprend énormément de choses différentes. Il faut essayer de faire table rase de querelles complètement idiotes et d’observer les faits. Saluer les qualités de la Nouvelle Vague par exemple, il suffit de voir la photo couleur de Pierrot le fou ou du Mépris pour voir la différence immense avec les films français en couleur des années 50. Si vous comparez avec Le Rouge et le noir ou Les régates de San Fransisco d’Autant-Lara ou avec la plupart des films français de l’époque, vous réalisez qu’ils sont horribles, sur-éclairés. C’est incroyable la mocheté des films en couleur français ! Il y a très peu d’exception jusqu’au moment où Henri Decae va trouver des choses intéressantes et où Raoul Coutard va amener dans la couleur ce qu’on ne voyait pas dans les films de Christian-Jaque ou de Richard Pottier.
La Nouvelle vague a permis de casser la dictature de ce cinéma en couleur sur-éclairé là où les chefs opérateurs des années 50 avaient 10 ans de retard sur les anglais ou les américains. De temps en temps, on tombe sur quelques surprises comme certaines scènes nocturnes de La Caraque blonde de Jacqueline Audry, et ses plans du cavalier sous un ciel d’orage photographié par Marcel Weiss qui reste sans comparaison dans le cinéma français. Mais la Nouvelle vague va aussi faire disparaître les extérieurs très populaires du cinéma français qu’on trouve par exemple dans les films de Henri Verneuil, (Des gens sans importance). On se promène à Saint-Germain des prés, sur les Champs Elysées. La banlieue est absente, tout comme les classes populaires ou la classe ouvrière. Les films historiques vont disparaître aussi et ce n’est que très tardivement, avec la couleur que Truffaut va réaliser Adèle H. Un petit détail encore, à la fin des années 50, les deux seuls films qui constituent des défenses de l’avortement sont deux films d’Autant-Lara très ignorés, Journal d’une femme en blanc et Le nouveau journal d’une femme en blanc. Ce sont des films incroyablement en avance sur leur époque, audacieux et féministes. Ce sujet est complètement ignoré par la Nouvelle vague.

Le mépris de Jean-Luc Godard
Le mépris de Jean-Luc Godard

Tu es un conteur hors pair. Comment parviens-tu à retenir autant d’anecdotes, de détails, de citations avec cette précision ?

Je ne note rien, je m’en souviens. On retient en racontant souvent. Puis je suis très marqué par des épisodes de ma vie que je n’oublie jamais. Par exemple, les déclarations de Gabin lors de nos rencontres, je les connaissais presque mot à mot. Je me souvenais des expressions peut être aussi parce que je suis metteur en scène et que tout d’un coup je repère ce qui m’intéresse et me dis “c’est comme ça qu’il faudrait le tourner“. Mais des expressions comme “ le lapin des flandres“ de Gabin…. c’est totalement inouï cette manière de parler !

Tu consacres un chapitre à Gabin et à pas mal de cinéastes ou compositeurs. Que des hommes. N’as-tu pas de passion pour une actrice, comme Paul Vecchialli peut l’avoir pour Danielle Darrieux ?

Je me suis dit que j’aurai droit à la question ! Je ne trouve pas d’exemple comme Gabin. Au niveau de la qualité, si, c’est Darrieux mais elle n’a jamais initié un film. Gabin achetait les droits d’un livre avec Duvivier, créait une coopérative pour aider à démarrer La grande illusion, achetait les droits de La traversée de Paris (Marcel Aymé) avec Jean Aurenche. Il n’existe pas d’exemples dans le cinéma français de gens qui s’investissent autant. Gabin co-produit Le chat (Granier-Deferre). Cet engagement me touche. En plus dans les années 30, Gabin ne s’est pas beaucoup “gouré“ ! L’équivalent féminin de Gabin aujourd’hui c’est Catherine Deneuve ou peut être aussi Jeanne Moreau. Dans l’époque que je traite, il y a évidemment plein d’actrices géniales comme Mireille Balin, bien plus moderne qu’on ne l’imagine dans Menaces (de Edmond T. Greville), ou la très sous-estimée Annabella ou encore Blanchette Brunoy qui est une comédienne prodigieusement juste dans tous ses films.

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Jean Gabin dans « Le jour se lève » de Marcel Carné

Tu es passé de spectateur à cinéphile puis d’assistant réalisateur à attaché de presse avant de devenir le cinéaste que l’on connaît. La magie du cinéma à laquelle tu rends hommage est-elle intacte, est-elle la même sur un film que l’on découvre en spectateur que sur un film sur lequel on a travaillé ?

Oui la magie continue sur tous ces films. Quand j’ai revu Le mépris ou Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda), j’étais complètement bouleversé. La 317ème section (Pierre Schoendoerffer) est une des plus grandes séances que j’ai pu avoir en revoyant tous les films. C’est un film “génialissime“. Je continue d’avoir des chocs énormes. Là récemment, j’ai revu La tête d’un homme de Julien Duvivier et je l’ai revu une deuxième fois de suite tant le choc a été grand. C’est inouï d’audace. J’ai d’ailleurs essayé de noter toutes les audaces mais il y en a tellement dans la narration, dans la mise en scène… Et cette magnifique chanson écrite par Duvivier et interprétée par Damia est d’une beauté extraordinaire.

Photo de couverture (c) Max Rosereau

BETRAND TAVERNIER, l’homme qui aimait les films

A l’instar d’un autre grand réalisateur-cinéphile, Martin Scorsese, Bertrand Tavernier nous livre avec Voyage à travers le cinéma français un document exceptionnel qui revisite cinquante ans de cinéma français en suivant le fil de sa cinéphilie. Après son livre “50 ans de cinéma américain“, véritable bible des cinéphiles, il était donc légitime que Tavernier se penche sur le cinéma français pour lui rendre un vibrant hommage et continuer ce qu’il a toujours fait : défendre et réhabiliter les cinéastes qui le touchent dont certains parfois oubliés, voire reniés. Le film déjà présenté à Cannes en mai dernier à Cannes Classics sort en salles le 12 octobre et c’est la promesse de trois heures de bonheur pur. Pas de quoi se priver !

Bertrand Tavernier est peut être l’un des derniers grands conteurs et amoureux du cinéma. De ceux qui peuvent vous raconter un film de sa genèse à ses moindres répliques en passant par l’analyse de ses plans et les anecdotes croustillantes du tournage. Tavernier est né à Lyon, berceau du premier film de l’histoire du cinéma signé les Frères Lumières (il est d’ailleurs président de l’indispensable Institut Lumière que dirige son complice Thierry Frémaux). Alors signe prémonitoire de sa passion pour les films ? Si Lyon jouera toujours un rôle important dans sa vie, c’est à Paris que ce cinéphile passionné commence ses débuts auprès de Jean Pierre Melville dont il est l’assistant “médiocre“ et qui lui conseillera de changer de métier. Quinze minutes plus tard, après un coup de fil de recommandation de Melville à Beauregard, Tavernier devient attaché de presse chez Rome-Paris Films, société co-fondée par Carlo Ponti. Beauregard vient de financer l’audacieux A bout de souffle et fort de ce succès inédit, produit d’autres jeunes cinéastes tel Jacques Rozier, Claude Chabrol, Jacques Demy, Agnès Varda ou Jacques Rivette.

Avec ses amis Bernard Martinand et Yves Martin, ils fondent un ciné club, le Nickel Odéon, et projettent des films introuvables et parfois improbables. Il contribue à réhabiliter des réalisateurs majeurs tel Delmer Daves, André De Toth ou Abraham Polonsky. Tavernier et ses camarades dénichent des bobines de films jamais montrées jusqu’alors. Loin des querelles de chapelles qu’il déteste, Tavernier est un “orpailleur“ de films, tous genres confondus. Plus tard à l’Institut Lumière, il diffusera des films trop méconnus (on lui doit d’avoir permis de redécouvrir les films de Michael Powell et Pressburger entre autres) et co-éditera plusieurs ouvrages d’entretiens qui à eux seuls constituent une bonne partie de la mémoire du cinéma. On se souvient évidemment aussi de son film Laissez-passer, fresque sur le cinéma sous l’occupation où il rend hommage à tous ces réalisateurs, scénaristes, artisans qui ont continué à faire des films pendant la guerre sous l’oeil des allemands. Nombre d’entre eux ont été (trop) vite balayés par la Nouvelle Vague et Tavernier s’est toujours insurgé contre cette idée, lui qui a d’ailleurs collaboré avec des scénaristes “bannis“ comme Jean Aurenche et Pierre Bost.

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Bertrand Tavernier est encore jeune quand il éprouve l’un de ses premiers chocs cinématographiques en le film de Jacques Becker, Casque d’or avec la lumineuse Simone Signoret. De Falbalas au Trou en s’arrêtant à cette formidable scène “purement française“ de Touchez pas au Grisbi où Gabin en pyjama propose une brosse à dent à son acolyte, Tavernier évoque ce cinéaste avec beaucoup d’émotion et rappelle combien Becker était un grand metteur en scène, celui de sa génération qui a peut être le mieux compris le cinéma américain et son sens du rythme à l’image d’un Lubitsch ou d’un Hawks.

“Loin d’être une leçon de cinéma académique, Voyage à travers le cinéma français est probablement l’un des films les plus personnels de Bertrand Tavernier et un hommage émouvant au septième art.“

Son second choc est La grande illusion de Jean Renoir avec le même Gabin à qui il rend un très bel hommage. Il a rencontré Gabin à la fin de sa vie et loue son talent d’acteur capable de tout interpréter contrairement à ce qu’on a pu dire. Il incarnait véritablement ses personnages, jusqu’à adopter la justesse de leurs gestes, de leur rythme. Il raconte aussi que dans Le chat de Granier-Deferre aux côtés de Simone Signoret, Gabin, qui préservait son coeur et refusait de monter les escaliers, les monta en hors champ tandis que la caméra était sur le visage de Simone et lui demanda après la prise « Ca t’a aidé pour le regard ?“.

Des histoires comme ça, le film de Bertrand Tavernier en regorge. A propos de Jean Renoir à qui il consacre un chapitre entier, Tavernier raconte que ce dernier se mit dans une colère terrible lorsque son chef op souhaita déplacer Jean Gabin pour une histoire de lumière. “Ce n’est pas Monsieur Gabin qui doit bouger, c’est vous qui devez aller chercher la lumière sur lui !“. S’il analyse la perfection de mise en scène de Renoir, ses profondeurs de champ et son génie à filmer des scènes impliquant beaucoup de personnages, il dévoile aussi une partie plus sombre du réalisateur au moment de son exil américain, le côté “pute“ qu’évoque Gabin. Il n’hésite pas non plus à évoquer les célèbres colères de Jean-Pierre Melville, l’un de ses deux parrains de cinéma ni à avouer qu’il préfère ses adaptations plutôt que ses scénarii originaux. Il compare l’épure de Melville à celle de Bresson et magnifie la grâce de Léon Morin prêtreson film préféré de Melville (et l’un de mes premiers chocs cinématographiques).

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Les extraits s’enchainent avec une fluidité incroyable suivant le fil narratif et ô combien personnel de Tavernier, laissant place à la magie de certains plans, à l’émotion qu’ils suscitent et à l’analyse qu’il en fait. Son voyage fait escale chez Marcel Carné (je vous laisse découvrir comment le célèbre dialogue d’Arletty et sa gueule d’atmosphère est né, c’est hilarant), Jean Sacha, Jean Vigo, Julien Duvivier, Robert Bresson, Max Ophuls, René Clair, Henri Decoin, Gilles Grangier, Edmond T. Gréville à qui il offrira avec ses camarades du Nickel Odéon, sa tombe quand celui disparait brutalement sans un sou. Tavernier évoque aussi Jean-Luc Godard, l’autre enfant de la Libération et de la Cinémathèque d’Henri Langlois. Tavernier a d’abord été attaché de presse pour Godard. C’est d’ailleurs lui qui amène Samuel Fuller dans le film Pierrot le fou. Lui aussi qui à l’idée d’inviter Aragon, que son père René Tavernier ancien résistant avait hébergé pendant la guerre, à une projection de Pierrot le fou. Aragon écrira : “Je ne voyais qu’une chose, une seule, et c’est que c’était beau. D’une beauté surhumaine. Physique jusque dans l’âme et l’imagination.“

Bertrand Tavernier n’est pas qu’une encyclopédie du cinéma, c’est aussi un fervent amateur de musique. Il convoque dans son film Joseph Kosma, Miles Davis, Georges Delerue mais surtout Maurice Jaubert le compositeur de René Clair et de la magnifique partition de L’ Atalante de Jean Vigo, disparu très jeune tout comme ses enregistrements aujourd’hui introuvables. Il faudra attendre Adèle H. pour que François Truffaut réorchestre et ressuscite cette partition.

Ce premier volet s’achève par un hommage absolument bouleversant à son ami et deuxième parrain de cinéma, Claude Sautet. Il le rencontre sur Classe tous risques, lorsqu’il travaille chez Rome-Paris Films. Bertrand Tavernier souligne le talent de Sautet pour révéler la vérité de ses personnages ainsi que sa capacité à réunir des acteurs au jeu pourtant très différent que sont Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo. Souvent taxé à tort de faire un “cinéma de papa“, Sautet était aussi un “ressemelleur“ de scénarios pour reprendre le mot de Truffaut. Tavernier continuera d’ailleurs toujours de le consulter pour ses propres films. Lors du montage de Capitaine Conan, Sautet dira à Bertrand : « Si tu touches un seul plan de ce montage, je ne te parle plus ».

On ressort rempli, ému de ce voyage qui fourmille d’évocations sensibles, d’histoires passionnantes, d’analyses brillantes. Loin d’être une leçon de cinéma académique, Voyage à travers le cinéma français est probablement l’un des films les plus personnels de Bertrand Tavernier et un hommage émouvant au septième art. Et bonne nouvelle, le générique de fin promet une suite (apparemment neuf heures de bonheur en plus nous attendent) ! Vivement le prochain voyage !

35EME FESTIVAL DES FILMS DU MONDE DE MONTREAL

A peine arrivée à Montréal (au Québec pas en Ardèche !), je décidai de me rendre au Festival des films du monde. En regardant le programme, je découvre que Bertrand Tavernier a une nouvelle carte blanche. Je dis « nouvelle » car s’il y a bien quelqu’un qui a des cartes blanches partout dans le monde, c’est bien lui. J’ai travaillé quatre ans à ses côtés et chaque semaine il recevait des demandes pour aller présenter des films, parler de réalisateurs trop méconnus du public. Il s’agissait souvent de films américains  (il est co-auteur avec Jean-Pierre Coursodon de l’excellente bible « 50 ans de cinéma américain »), mais pas seulement.
Bertrand Tavernier est de ceux qui aiment le Cinéma, qui l’adorent et qui le connaissent tellement bien qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de partager cette passion avec le public. Pour notre plus grand plaisir.

Je dois avouer que le débat qui a suivi la projection de Cry Danger, premier film de Robert Parrish m’a encore davantage marquée que le film lui même (malgré ses dialogues très drôles et enlevés).
De voir là, à Montréal, notre Tatave national en train de raconter la fabrication de ce premier film avec des anecdotes aussi croustillantes que nombreuses, d’échanger avec son ami  Eddy à qui l’on doit ce genre de copies restaurées, sur Dick Powell et tous les acteurs de second plan du film, puis de rebondir en évoquant d’autres films noirs, alors que moi j’étais encore en train de me remettre du décalage horaire, était assez inouï. Chaque question du public déclenchait un déferlement d’histoires, et ravivait son inépuisable enthousiasme.

Bertrand Tavernier s’est toujours battu pour « sortir de l’ombre » des cinéastes injustement méconnus du public : Delmer Daves, Michael Powell, Abraham Polonsky et bien d’autres encore (il est d’ailleurs à l’origine d’un magnifique coffret édité par l’Institut Lumière des films de Michael Powell et Pressburger). Avant tout parce qu’il aime leur cinéma. Mais aussi parce qu’il aime en parler et le montrer. C’est un peu notre Martin Scorcese à nous !

Et finalement je me rends compte que ce que je retiens le plus de notre collaboration, est cet amour du cinéma qu’il a et qu’il partage à foison. J’aimais l’entendre me raconter tout plein d’histoires parce qu’au fond de moi quand je l’écoutais, je me disais qu’il était surement l’un des derniers « dinosaures » à connaitre aussi bien cet art-là et à en parler avec autant de passion. Et quand on est cinéphile, c’est un vrai cadeau.