BIRDMAN, vers l’infini et au-delà

Je dois avouer que la bande annonce du dernier film d’Iñarritu Birdman me donnait moyennement envie, craignant à nouveau une fable mélo-moralisatrice à laquelle le réalisateur mexicain nous a habitué. J’étais malgré tout curieuse de voir à quoi ressemblait le film aux quatre Oscars et le fameux faux plan-séquence dont tout le monde parle. Je suis ressortie époustouflée.

 

Riggan Thompson, ancien acteur tombé dans l’oubli a eu jadis son heure de gloire en incarnant un super-héros, Birdman. Il décide de monter une pièce de Raymond Carver à Broadway pour enfin devenir un artiste accompli et laisser une empreinte pérenne dans le monde de l’art. A deux jours de la première, l’ambiance est électrique, un de ses comédiens est assommé par un projecteur, son agent refuse de différer la générale, le comédien remplaçant (génial Edward Norton) est narcissique et odieux, sa fille lui explique que sans présence sur les réseaux sociaux il n’existe pas, sa femme juge vaine sa démarche et il continue d’entendre sa petite voix intérieure, celle d’un Birdman déchu qui le titille en lui rappelant sans cesse la star qu’il était (et qu’il n’est plus).

Birdman c’est un peu l’histoire de tous, l’histoire d’un homme qui veut désespérément laisser une trace pour ne pas disparaitre complètement. En ce sens, le film est très réussi dans cette course vaine contre la mort. Intégralement filmé en plan-séquence (ou dans l’illusion d’un plan séquence), le film ne laisse aucune respiration, se déplace d’un lieu à l’autre dans une fluidité que seuls les personnages bousculent en rentrant dans le champ, et nous plonge littéralement en apnée. C’est prodigieux, vertigineux et sert un récit presque dérisoire qui tourne en rond comme ses personnages, comme la vie.

Dans ce théâtre de Broadway, la caméra nous emmène dans le tourbillon initiatique d’un homme en pleine quête de reconnaissance. On ne sait jamais où elle va nous emmener, l’histoire qu’elle va nous raconter, ni quel personnage elle va décider de suivre. Tout est possible comme dans un processus créatif malléable, orchestré au gré d’un imaginaire devenu collectif tant il est contagieux. Tout est mis en abyme, du personnage de Thompson (formidable Michael Keaton qui aurait bien mérité un oscar) en double de Keaton à la mise en scène d’une pièce dans le film, pièce intitulée « A quoi ressemblent les gens qui parlent d’amour ». On parle donc d’amour, on se déchire sur scène comme en coulisses et on tente de représenter vainement les sentiments humains. L’histoire de l’art en somme. Plus les acteurs font « vrais », plus les gens applaudissent comme si finalement ils n’attendaient de ce spectacle qu’une réalité d’eux mêmes devenue impalpable. Et si les autres étaient plus réels que nous ? Iñarritu nous renvoie à nouveau à cette question idenditaire où il semble plus facile de se projeter que de s’incarner. Birdman-Thompson finit par vouloir disparaitre, et plus il disparait plus il existe aux yeux des autres, critiques arrogants new yorkais comme followers en mal de sensation.

Iñarritu soulève bien des questions et s’il ne nous éclaire pas par une quelconque révélation, c’est peut être bien parce qu’elle n’existe pas. L’homme est un mortel parmi les autres et sa célébrité éphémère un fragment illusoire sur la chaine de l’humanité de la taille d’un papier toilette. Il aura beau essayer de marquer, d’être aimé, de faire buzzer la twittosphère, « we don’t matter ».

Thompson s’envole tel Icare au-dessus de la ville pour échapper à ses démons, ses erreurs, et sous le costume de Birdman ne cherche qu’à se sauver lui-même.