PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE, l’hymne à l’amour de Christophe Honoré

Hier, Cannes fut une plongée étourdissante dans les années 90, les années sida, une ode à l’amour sous toutes ses formes, aux gens qui doutent, qui tremblent et qui paniquent. Hier, Cannes était sous le signe  d’un cinéma générationnel qui fait du bien à l’âme, d’un cinéma qui nous plait et que l’on aime tellement qu’on a envie de courir vite pour le découvrir. Hier, Christophe Honoré, à qui l’on doit déjà de très beaux moments de cinéma, n’en déplaisent à ses détracteurs, présentait son dernier film en compétition PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE et c’est une merveille.

Dès le générique le décor est planté. Un Paris vif, rapide, kaléidoscopique. Des personnages qui se mêlent sans s’être encore rencontrés. Et puis la caméra se pose sur Jacques, écrivain atteint du sida. Il vit au-dessus de chez Mathieu, journaliste homo plutôt ronchon mais pas mauvais bougre. L’ami de toujours. Jacques doit travailler, n’importe quoi lui ira pourvu qu’il n’ait pas à réfléchir. Invité en Bretagne autour d’un de ses livres, il rencontre Arthur étudiant rennais qui ne sent pas la crêpe au citron comme Gregoire Leprince Ringuet dans Les chansons d’amour. Il sent plutôt le chouchen, le vent de liberté, le poète Whitman et l’amour décomplexé. Arthur aime les hommes mais ne tombe amoureux que des femmes. Pourtant, il sent qu’avec Jacques ses sentiments l’emportent. Jacques de son côté se sait condamné et ne veut ni souffrir, ni s’emballer ni faire souffrir. Dilemne de la sagesse versus la fougue de la jeunesse. Entre eux rien d’impossible si ce n’est un compte à rebours inéluctable. Mais comment s’aimer quand on doit s’aimer vite ?

S’il y a un cinéaste en France dont le coeur flanche entre Godard et Truffaut, entre Demy et Eustache, c’est bien Christophe Honoré qui, depuis Ma mère ou Dans Paris jusqu’aux Métamorphoses, a toujours oscillé entre les genres, s’est même parfois un peu réfugié derrière une certaine frivolité faussement assumée. Avec Plaire, aimer et courir vite, Christophe Honoré devient au générique à l’instar de tous ses techniciens “Honoré“ tout court et c’est peut être dans ce film qu’il s’accorde à son tour à faire ce qui lui plait. Pour le meilleur. Car Plaire, aimer et courir vite est aussi son film le plus personnel.

Comment ne pas voir en Arthur, étudiant breton et cinéaste en devenir qui se cherche sexuellement  un double d’Honoré ? Le film nous plonge dans les années 90, les années sida et rappelle en cela le film de Robin Campillo 120 battements.  La comparaison s’arrête pourtant là, le film d’Honoré dressant avant tout le portrait d’un amour condamné, très 19ème (siècle pas arrondissement !) qui flirte davantage du côté de Truffaut et évoque d’autres films générationnels plus récents tels le mélancolique Eden de Mia Hansen Love ou Théo et Hugo dans le même bateau de Ducastel et Martineau pour son traitement du désir comme préliminaire à l’amour. Mais au-delà des références générationnelles, de la bande son fabuleuse (Les gens qui doutent  d’Anne Sylvestre à Massive Attack ou Marrs), Plaire, aimer et courir vite fourmille de clins d’oeil, de Hervé Guibert en photo chez Arthur à Querelle de Fassbinder en passant par l’éblouissante et atemporelle Isabelle Huppert (qu’Honoré a fait tourner dans Ma mère) dont on aperçoit la silhouette sur l’affiche d’Orlando à l’Odéon ou Koltès cité par un ami d’Arthur (« la vraie et terrible cruauté est celle de l’homme qui rend l’homme inachevé… »). Honoré se révèle derrière chacun de ces clins d’oeil et semble affronter sa propre histoire sans détour. Les liens au sein de sa filmographie sont pourtant évidents et Jacques pourrait être le grand frère d’Ismael (Les chansons d’amour), Arthur celui d’Erwann ou de Jonathan (Dans Paris). Les personnages de Christophe Honoré ont en effet en commun de se plier à leur désir pour mieux le repousser ou l’embrasser. Le désir comme prémisse de l’amour,  comme vecteur de la vie.  Ce n’est plus seulement le désir qu’il interroge, fragile et éphémère, déchirant ou léger mais le moment de bascule, l’urgence qui ressemble à une baise dans des chiottes pour reprendre les mots sous chouchen d’Arthur qui préfère se sentir vivant coûte que coûte.

Au-delà de la sexualité crue, Honoré filme les corps d’avant et après l’amour, dans les draps blancs ou la baignoire bleue, quand les êtres se retrouvent face à eux-mêmes. Vincent Lacoste n’a jamais été aussi attirant, s’élançant dans l’amour comme dans Paris, sans foi ni loi, du haut de sa belle jeunesse qui découvre l’amour au masculin pour la première fois. Quant à Pierre Deladonchamps, magnifique dans ce rôle, il incarne de son large sourire à sa sage résignation un Jacques tout en nuances. Et comme chez Honoré il n’y a jamais deux sans trois, Denis Podalydès rejoint ce duo et est à son habitude absolument formidable. Les scènes à trois sont d’ailleurs parmi les plus réjouissantes et ouvrent un épilogue très émouvant.

Plaire, aimer et courir vite est aussi un film sur la transmission, sur ce qu’on laisse derrière soi et qui construit les autres. Il y a les auteurs souvent cités bien sûr (Christophe Honoré est aussi écrivain et on le sent dans ses dialogues), les « grands frères », les amants perdus, et les doutes qui assaillent qui nous font faire demi tour ou ne pas décrocher le téléphone, les lits qu’on déserte. Et il y a l’enfant de Jacques, Loulou qui sera un jour peut être fier de son père (« même si c’est con de dire ça ») et les femmes, en retrait dans ce film, gardiennes bienveillantes, compréhensives, généreuses, présentes.

Filmé dans une lumière bleue onirique (sublime photographie de Remy Chevrin), le dernier film de Christophe Honoré est sûrement sa plus belle histoire d’amour.

 

EVERYBODY KNOWS, un huis clos qui porte bien son titre

Le 71ème festival de Cannes s’est ouvert mardi soir sous le signe de la légèreté, de la beauté et de l’humour avec un Edouard Baer en maitre de cérémonie à qui l’on aimerait attribuer la palme d’or dans ce rôle là tant il l’a campé avec la poésie et la liberté qu’on lui connait dans Plus près de toi (sur radio Nova). La soirée s’est clôturée avec Everybody knows, le film du grand cinéaste iranien et habitué de Cannes, Asghar Farhadi. Grosse déception.

Everybody knows. Voilà un titre qui porte bien son nom. On pourrait même dire de ce huis clos que tout le monde savait (everybody knew). Laura (Penelope Cruz) revient dans son village natal en Espagne pour assister avec ses deux enfants au mariage de sa soeur. Son mari (Ricardo Darin) est resté en Argentine où ils vivent pour des raisons professionnelles. La voilà donc seule au milieu des siens : son vieux père, sa soeur ainée, sa cadette et Paco (Javier Bardem) son amour de toujours. Mais en plein coeur de cette soirée festive, Irene, sa fougueuse adolescente, disparait.

Asghar Farhadi est un cinéaste impressionnant. Le monde entier l’a découvert avec A propos d’Elly ours d’argent à Berlin en 2009 puis vint le couronnement avec son chef d’oeuvre Une séparation, film unanimement plébiscité et récompensé. Suivirent Le passé, formidable film tourné en France avec Bérénice Béjo et Le client en 2016 qui déjà flirtait du côté du polar. On attendait donc beaucoup de ce film d’ouverture au casting très glamour : le couple Cruz-Bardem. Rien que ça. Pourtant dès les premiers plans le doute nous assaille. La mise en place des personnages (ils sont nombreux) et du décor donne un peu l’impression d’une publicité Barilla avec tous les clichés des pays méditerranéens (linge pendu aux fenêtres, petites places ensoleillées, embrassades)  là où pourtant Farhadi s’était complètement approprié la banlieue parisienne dans Le passé. Quand arrive enfin la scène du mariage et le talent de Farhadi à filmer la vie, les accidents (pour reprendre Pierrot le fou), le verre de trop, la coupure d’électricité, les gens qui continuent de chanter, le père ivre. Nous voici à nouveau plongés au coeur de leur vie, de leur joie jusqu’à la découverte du lit vide dans lequel Irene s’est réfugiée pour se remettre de son décalage horaire et de sa fougue amoureuse.

L’intérêt du film ne repose évidemment pas sur l’intrigue attendue mais sur les rapports entre les personnages filmé dans le huis clos d’un village où tout se sait. Difficile en effet de ne pas suspecter les invités du mariage au cours duquel s’est passé le drame. Chacun cherche à retracer la vérité avant que cela ne soit trop tard, les secrets de famille remontent à la surface et dans l’attente insupportable que traverse Laura-Penelope Cruz, peu d’autres solutions que de tenter le tout pour le tout au risque de tout perdre.

Mais si Farhadi sait parfaitement filmer les tensions, les non dits, les frôlements, le désarroi, il convainc nettement moins dans ce genre du polar malgré ses clins d’oeil au clocher de Vertigo  qui annoncent le drame à suivre. Certes Farhadi reste un grand directeur d’acteurs mais lui qui nous avait habitués à une mise en scène souvent prodigieuse et incarnée déçoit ici par un retournement facile et paresseux. Le couple star ne relève en rien nos attentes, en particulier Penelope Cruz qui surjoue les mères épleurées. Reste Javier Bardem plutôt touchant et juste mais leur présence interroge sur la pertinence et l’intérêt des cinéastes étrangers à tourner avec des stars hollywoodiennes.

Edouard Baer a ouvert cette 71ème cérémonie sur la fameuse scène de Pierrot le fou de Jean-Luc Godard (affiche du festival cette année) où la magnifique Anna Karina fredonne les pieds dans l’eau « Qu’est ce que je peux faire, je sais pas quoi faire », et s’en est emparé pour dire combien le cinéma c’était aussi l’art d’improviser avec la vie, les producteurs, les festivals… Espérons que le cinéaste iranien saura pour son prochain film tourner sans trop savoir quoi faire.