ARRAS FILM FESTIVAL #J2

Le ARRAS FILM FESTIVAL entame sa deuxième journée sous une pluie fine qui ne peut que nous encourager davantage à aller nous réfugier dans l’une des six salles du Cinemovida. Et quoi de mieux pour démarrer ce Festival que de réviser nos classiques ! Mission accomplie avec notre première séance, L’assassin habite au 21 d’Henri-Georges Clouzot.

 

L’ASSASSIN HABITE AU 21 d’Henri-Georges Clouzot.

La séance est précédée d’un court film présentant le mystérieux Clouzot si malmené par la Nouvelle vague qui lui reprochait son académisme et réhabilite un cinéaste bien plus audacieux que l’on a voulu le croire à cette époque, toujours en quête de recherche formelle et inspirateur de bon nombres de cinéastes dont Hitchcock (pour Psychose) et Friedkin qui adaptera à son tour Le salaire de la peur avec son excellent Sorcerer.

L’assassin habite au 21 est le premier film de Clouzot. On est en 1942 et le film est produit par la société allemande Continental. Adapté d’un roman belge, le film raconte une série de meurtres commis dans PAris par un dénommé Monsieur Durand qui prend soin de laisser sa signature après avoir dérobé et tué ses victimes. Le commissaire Wens (Pierre Fresnay dans un de ses premiers grands rôles) s’infiltre au 21 avenue Junot dans une pension où serait l’assassin selon ses sources. Commence alors un huis clos pour démasquer le meurtrier.

Si ce film n’est pas le plus réussi de la filmographie de Clouzot, il reste néanmoins un classique aux dialogues formidables avec une Suzy Delair en enquiquineuse de premier ordre tout à fait réjouissante. La scène de meurtre en ouverture filmée en caméra subjective et plus largement les scènes d’extérieur annoncent déjà la naissance d’un maitre du suspens. Une belle entrée en matière dans la sélection Whodunit !


LA DOULEUR d’Emmanuel Finkiel

Juin 1944. Alors que la France est encore occupée par les allemands, Marguerite (Mélanie Thierry) attend désespérément des nouvelles de son mari, écrivain et résistant déporté.  Maitresse de leur ami Dionys (Benjamin Biolay), Marguerite est hantée par ses questionnements mais n’hésite pas à se rapprocher de Rabier (Benoit Magimel), agent français de la guestapo, seul à pouvoir l’aider à retrouver Robert. Quand elle réalise que ce dernier s’appuie autant sur elle que elle sur lui pour avoir des informations sur leur groupe de résistance, Marguerite s’éloigne et retourne à son attente.

Adapté du roman éponyme de Marguerite Duras, La douleur raconte l’interminable attente de Marguerite Duras alors que son mari, le résistant Robert Antelme a été déporté à Buchenwald. Duras a tenu un journal de ces longs mois de souffrance, et lorsqu’elle le retrouve des années après, écrit La douleur dans un état déjà loin de ce temps-là. Duras et Antelme divorcèrent en 1945 et Duras épousa Dionys, son amant en 1947.

La douleur relate donc de façon imaginaire une période révolue et en cela le film de Finkiel est formidablement réussi, mêlant le monologue intérieur de Duras à des faits historiques qui ne semblent jamais complètement réels. Le réel est ici en effet suranné, fantasmé pour mieux servir la douleur décriée de l’écrivaine. La mise en scène virtuose traduit ce monologue intérieur par des arrière-plans flous qui semble brouiller les présences et les rendre fantomatiques. Les mouvements de caméra invitent à suivre Marguerite dans ses pensées, ses errances, son intériorité et Finkiel a la bonne idée d’introduire un double de Marguerite qui l’observe du coin de l’oeil, symbolisant ainsi à la fois la distance de Duras sur son passé et la double temporalité du présent de l’écriture et de celui des évènements relatés,  vacillant entre vérité et mémoire.

Finkiel rend formidablement compte de ce temps suspendu où les pensées, les peurs se bousculent. Duras attend son mari mais en aime un autre et sa douleur incommensurable et indicible semble incomprise. Mélanie Thierry est épatante en Duras. Elle est sans cesse en suspension entre la vie et la mort, enchainant ses cigarettes et trainant son regard triste. L’image est magnifique, parfois onirique, presque irréelle et l’on retrouve bien le style de Finkiel qui décidément depuis Voyages est un cinéaste de la suggestion hors pair. Et un grand cinéaste tout court.


Rencontre avec Lio et Helena Noguerra

Retour au Village du Festival sous le chapiteau pour assister à la rencontre avec les soeurs Noguerra venues présenter deux films qu’elles interprètent : Belgian disaster de Patrick Glotz pour Lio et La clinique de l’amour d’Artus de Penguern pour Héléna. La salle est comble et l’on est contraint de suivre la rencontre animée par Jean-Marc Lalanne sur l’un des écrans. Les deux soeurs très complices se racontent volontiers : leurs débuts, leur amour du cinéma, leur envie de jouer qui précéda leurs carrières de chanteuse et puis les rencontres cinématographiques. A 10 ans, Lio entrainait sa soeur Héléna de 7 ans sa cadette dans ses jeux et ses imitations en chansons. Cela allait de Godard à Demy avec bien sûr la chanson des soeurs jumelles. Car malgré la différence d’âge entre les deux, on sent que ces deux-là ont une proximité gémellaire.

La rencontre laisse place à la musique mais toujours sous le signe du cinéma car les soeurs Noguerra reprennent spécialement pour nous des titres célèbres du 7ème art. Elles commencent avec le réjouissant Ma ligne de chance de Serge Rezvani interprété par Anna Karina dans Pierrot le fou avant de nous embarquer chez Almodovar avec Piensa en mi et chez Carlos Saura avec Porque te vas. Suit le mythique My heart belongs to Daddy de Marilyn Monroe et un hommage à la regrettée Jeanne Moreau avec J‘ai la mémoire qui flanche. Le show case s’achève presque naturellement sur la chanson des jumelles des Demoiselles de Rochefort. La boucle est bouclée.


JE VAIS MIEUX de Jean-Pierre Améris

Après Une famille à louer, Jean-Pierre Améris reste dans la comédie sociale  avec son nouveau film Je vais mieux, adapté librement du livre de David Foenkinos, décidément à l’honneur de cette édition puisque le Festival s’est ouvert vendredi soir avec Jalouse

Je vais mieux c’est l’histoire presque banale de Laurent, quinquagénaire travaillant dans un cabinet d’architecte, qui souffre atrocement d’un mal de dos. Ni les radiologues ni les magnétiseurs ne parviennent à le soigner. Et pour cause, comme la plupart des maux de dos, celui de Laurent relève de problèmes psychologiques. Le voici donc en quête de renouveau dans sa vie afin d’enfin curer son mal.  Bravant sa timidité et son incapacité à dire les choses, Laurent va affronter ses parents (quel plaisir de retrouver Henri Guybet !), son supérieur qui le harcèle depuis des années, sa femme et même la coiffeuse qui avait raté sa coupe en 1991.

On connait le penchant sentimental de Jean-Pierre Améris et on l’aime bien aussi pour ça. Améris se plait à évoquer nos travers, nos souffrances, notre humanité un peu bancale et c’est ce qui rend certains de ses films touchants et drôles. Ici aussi, le film à la tonalité de comédie douce amère, bascule du côté des émotions et même de la comédie romantique. Le film souffre pourtant de ce mélange des genres auquel s’ajoute un autre côté décalé, presque absurde qui finit par surcharger un peu le récit.

Si la première partie est assez réjouissante (François Berléand s’énervant sur sa cigarette électronique, Eric Elmosnino en caleçon et chaussettes dans les différents cabinet médicaux) et donne lieu à quelques scènes désopilantes où il n’est pas difficile de se reconnaitre, la suite est un peu plus inégale malgré la présence d’Alice Pol.

Le film s’est poursuivi par une rencontre avec le public et le show ne faisait que commencer. Jean-Pierre Améris est volubile et malgré son extrême « porosité » (pour reprendre le mot de l’ostéopathe qui soigne Laurent), il n’hésite pas à se dévoiler avec un humour décapant qui a réjoui l’assemblée. Et qui l’eut cru, les deux intervenants (dont la directrice Nadia Paschetto) ont même eu bien du mal à reprendre la parole à cet ancien émotif anonyme ! A l’entendre, on se dit que non seulement son film relève de l’autobiographie à peine déguisée mais qu’il lui sert de thérapie à ses propres maux. Un mal pour un bien.

 

JE NE SUIS PAS UN SALAUD

Alors qu’il est victime d’une agression, Eddie Moreau désigne un faux coupable idéal lors d’un interrogatoire. Il reprend peu à peu une vie normale, retrouve un travail, sa femme Karine et leur fils Noam. Mais habité par les remords, Eddie cherche à rétablir la vérité coûte que coûte. Le dernier film d’Emmanuel Finkiel, Je ne suis pas un salaud, dresse le portrait d’un homme à la dérive dans une société formatée. Ni un salaud, ni un brave type. Un des meilleurs films de ce début d’année avec un Nicolas Duvauchelle magistral.

Le film démarre sur un gros plan de Duvauchelle de dos, il se retourne, lance un regard caméra et d’emblée nous interpelle. Finkiel ne lâche pas d’une semelle son protagoniste comme pour mieux le cerner.
Eddie est beau et banal à la fois. Il va chercher son fils à l’école et refuse de l’emmener au cinéma comme il avait promis. Le plan d’après ils mangent des popcorns devant le film. On le connait ce père pas fiable qui ne sait pas dire non et qui a l’air d’avoir l’âge de son gamin. Eddie boit pas mal, sûrement pour oublier qu’il a décroché. Il n’a ni boulot, ni appart, ni nana alors il essaye d’en draguer une dans un bar. En la raccompagnant, il se fait agressé par une bande de voyous et se réveille à l’hôpital avec une blessure profonde. Son ex-femme Karine (Mélanie Thierry) l’accueille chez elle, lui donnant ainsi une seconde chance. Elle insiste même auprès de son patron pour qu’il lui trouve un boulot chez Homea (un Ikea plus vrai que nature). Eddie devient donc cariste au smic et sa réintégration du monde normal semble satisfaire tout le monde. Tout le monde sauf Ahmed qui se retrouve injustement accusé par Eddie comme étant l’un de ses agresseurs. Ahmed a beau nier, il se retrouve derrière les barreaux. A l’inverse du Faux coupable d’Hitchcock, on reste du point de vue de celui qui accuse et non de l’accusé. Eddie est une victime qui devient le bourreau de celui qu’il désigne à tort. Mais bientôt Eddie se lasse de ses mensonges et est prêt à aller jusqu’au bout pour les réparer.

Nicoduvo

Duvauchelle joue en finesse ce personnage d’Eddie, écorché vif entre révolte et insoumission, capable du meilleur comme du pire. Et c’est bien là où Finkiel nous embarque, sur le terrain glissant du hors normes. Eddie ne supporte pas d’être l’esclave d’un type qui en plus de draguer sa femme, se comporte comme un sale con tout en revendiquant d’être un type bien capable de « filer des coups de pouce ». Mais de quel coup de pouce parle-t-on ? Rester sur la route est parfois plus compliqué que prendre la tangente et la frontière se brouille comme toutes les vitres derrière lesquelles Finkiel filme Eddie. Il garde un écran, un filtre comme pour tenir à distance Eddie l’indomptable, comme pour mieux le maitriser et le décrire. Rien n’est blanc ou noir. Eddie n’est pas vraiment un salaud (d’ailleurs au départ ne s’était-il pas juste trompé en désignant Ahmed qu’il avait déjà croisé chez Pole emploi ?). Pas un mec bien non plus quand il déborde de violence envers sa femme ou son fils. Il est à cran et c’est justement quand il souhaite être dans le vrai qu’il bascule dans l’horreur, vers un point de non retour. Finkiel bouscule toute forme de manichéisme et traduit avec subtilité les nuances du mécanisme irréversible que génère la violence sociale. Un film puissant et haletant.