LES ETATS GENERAUX DU FILM DOCUMENTAIRE : suite et fin

Plus de 600 personnes étaient réuniEs dans le champ du plein air de Lussas mercredi soir dernier pour découvrir le film de Mariana Otéro sur Nuit Debout, L’assemblée déjà présenté à Cannes à l’ACID.

L’Assemblée de Mariana Otéro

En mars 2016, alors que le projet de loi El Khomri engendre des mouvements de contestation, le mouvement Nuit Debout nait place de la République, initié par François Ruffin, réalisateur de Merci Patron ! Mariana Otéro, réalisatrice du très beau Histoire d’un secret et de Entre nos mains, a suivi le mouvement pendant trois mois et son film L’assemblée en constitue un fervent témoignage. Le 31 mars, alors que les mobilisations se font de plus en plus nombreuses, la foule se réunit place de la République, les personnes décident d’occuper la rue dans cette place hautement symbolique. Réinvestir la place publique pour mieux repenser le monde, résister et réfléchir à des alternatives de façon horizontale et démocratique.

Mariana Otéro suit au départ le mouvement en tant que citoyenne et activiste. Elle commence à filmer quelques images en papillonnant sur ce lieu mais très vite réalise qu’il faut aller plus loin et raconter l’évolution de ce mouvement et leur organisation. Elle s’y rend tous les jours sans financement, mobilise un ingénieur du son jusqu’au moment où le producteur Pascal Deux la suit dans ce projet. Le film a également financé de façon participative via la plateforme KissKissBankBank.

L’assemblée c’est donc des hommes et des femmes, de tout âge réunis par la même ambition folle de changer le monde et mettre fin aux injustices sociales, économiques et écologiques. Mais par où commencer ? Comment construire un mouvement qui laisse la parole à chacun ? Comment s’accorder sur les actions à mener ? Comment communiquer et faire face à un traitement médiatique qui sert le capital ? Mariana Otéro s’évertue à la fois à filmer ce mouvement collectif de ses balbutiements à une organisation quotidienne. Elle raconte avant tout l’élan magnifique qui les relie et leur soif de démocratie insatiable. Les conférences s’improvisent jour après jour avec des figures connues comme Monique Pinçon-Charlot ou Frédéric Lordon. On aperçoit rapidement François Ruffin tenant un parapluie pour couvrir la sociologue des riches, Monique Pinçon-Charlot, en plein discours. Il faut dire qu’il a plu pendant ces semaines de rassemblement. « La météo est de droite, c’est obligé », plaisante une activiste.

Au début, il a donc fallu leur apprendre le langage de modération. Agiter les mains pour signaler son accord avec ce qui ce dit, taper sur sa tête qu’on en ne comprend pas, croiser ses mains pour s’opposer. Les modérateurs doivent s’y tenir pour garder un semblant de cohésion et de respect mutuel. Pour la même raison, ils instaurent un temps de parole limité à trois minutes ce que ne manque pas de regretter un vieux monsieur à l’accent italien qui déplore ce temps limité à la « twitter ».

Quand Mariana Otéro évoque ses six mois de montage, on ne s’étonne pas de cette durée tant il a du être ardu de tisser un récit à partir de ces nombreuses heures de rushes. L’assemblée réussit formidablement à retranscrire cette aventure démocratique entre improvisation et organisation au fil de l’eau. La cinéaste suit les mêmes personnages et montre l’évolution, l’élan quotidien, le work in progress, les micro potagers dans des bouteilles d’eau, les conflits entre activistes pas toujours d’accord, les curieux qui s’approchent et interviennent, les manifestations et la violence policière (dont la réalisatrice a d’ailleurs été victime à plusieurs reprises se voyant confisquer sa caméra). Et c’est là que se dessine peut être la limite d’un mouvement trop intellectualisant qui à force de vouloir chercher le meilleur moyen de bousculer le système, finit par s’épuiser. Il y a ceux qui prônent des solutions plus radicales et violentes, les pacifistes et les suiveurs. Reste à trouver une unité plus rassembleuse. La place de la République finit par se vider petit à petit, et en juillet Manuel Valls fait passer la loi El Khomri de force avec le 49.3. Nuit Debout ne s’est pourtant pas aplati et continue mais interroge sur le manque de réveil des consciences et on ne peut s’empêcher de ressentir un sentiment d’impuissance face à un système qui nous broie dans une indifférence qui semble générale. La route va être longue avant d’être tous debout mais l’espoir demeure face à cet élan collectif qu’on n’avait pas vu depuis longtemps. La résistance est en marche, le vent se lève et il faut tenter de vivre. Un film nécessaire.

Petite pause hors de Lussas jeudi et retour en salles vendredi pour découvrir La place d’un homme de Coline Grando qui donne la parole à des hommes sur leur ressenti suite à la grossesse non désirée de leur compagne et le très bon film de la bulgare Elitza Gueorguieva, Chaque mur est une porte où la cinéaste évoque la chute du mur de Berlin et son impact sur la Bulgarie en s’appuyant sur les archives de sa mère, alors présentatrice TV.

La Nuit de la radio

Vendredi soir, direction Saint Laurent sous Coiron, petit village en hauteur à quelques kilomètres de Lussas, pour la toujours excellente Nuit de la radio organisée par la SCAM, l’INA et France Culture. Le principe est le suivant : un programme sonore en écoute collective. Nous étions plus de 600 à nous diriger sur la grande terrasse de la place du village face à la vallée et le soleil couchant. Déjà pas mal de personnes à notre arrivée sur des nattes en plastique en train de pique niquer. D’autres assis confortablement dans les transats de la SCAM. Soudain, un groupe chante « joyeux anniversaire » à l’une d’entre eux, repris par toute la terrasse qui se met à scander l’air en choeur.

Pour cette 17ème Nuit de la radio concoctée par Carole Pither, le thème proposé était « Liberté(s) ». Chacun muni d’un casque sur les oreilles se laisse guider par cette balade sonore, tour à tour, drôle, édifiante, émouvante, qui compile des extraits allant des MLF à la libération de Paris en passant par la libération des menhirs ou Fernandel s’exprimant sur l’apparition du monikini. On y apprend que les suédoises ont connu une libération sexuelle fascinante, on y entend le son des barricades de 1968, on y parle d’esclavage et de Nelson Mandela et on écoute pétrifiés Gaston Monnerville conclure que la liberté ne peut exister sans l’égalité. Une évidence qu’il est délicieux de se rappeler pour clore un festival décidément sous le signe de la résistance, de l’humanisme et de l’espoir à en croire cette réunion collective qui s’achève autour d’un buffet convivial et d’un verre de vin. Toujours sous un ciel étoilé.

 

LES ETATS GENERAUX DU FILM DOCUMENTAIRE #J3

La nuit fut courte et c’est avec les yeux picotants que nous nous sommes rendus à la rencontre matinale avec la réalisatrice Marie Dumora pour son film Belinda présenté hier soir en plein air.

Belinda de Marie Dumora

Belinda est une jeune femme presque comme les autres. Elle aime Thierry et planifie leur mariage. Une calèche tirée par un cheval, une robe et des chaussures dorées pour rappeler le motif de sa robe. Mais la vie de Belinda est parcourue d’embuches, Thierry est en prison, son père y fait des séjours réguliers, sa mère élève de nombreux enfants et tout semble autour d’elle lui mettre des bâtons dans les roues de sa vie qu’elle aimerait libre. Enfant, Belinda a grandi dans un foyer de l’est de la France, séparée de sa soeur Sabrina, a fugué à maintes reprises, a évité de devenir vendeuse de chaussures, est revenue aider sa mère puis s’est installée avec son père en attendant la libération de son amoureux incarcéré. Belinda a une confiance inouïe dans la vie. C’est ce qui la tient et ce qui porte ce très beau film, véritable hymne à tous ceux qui restent dans l’ombre à cause de leur vie « moche ».

« Je me situe du côté de la littérature, de Faulkner et de Proust »

Marie Dumora est une tisseuse. Elle tourne ses films en les reliant un à un, en y ajoutant les fils du temps. Elle a rencontré Sabrina et Belinda alors qu’elle filmait un foyer dans Avec ou sans toi. Puis elle a continué à suivre ces deux jeunes femmes de leur enfance à leur âge adulte. Belinda  démarre d’ailleurs sur des extraits de Avec ou sans toi où l’on voit les deux fillettes récupérées par leur éducateur et second père, Monsieur Gersheimer, après avoir fugué. Quand on lui demande comment a t-elle su éviter un certain voyeurisme, Marie Dumora explique s’être placée du côté romanesque de leur histoire. Ce portrait de cette famille Yeniche de l’est a en effet des airs de saga et Belinda incarne une héroïne moderne avec une force de vie incroyable que Marie Dumora aime comparer à Silvana Mangano dans les films de Pasolini.  « Bon j’exagère un peu ».

L’une des grandes forces du film est de nous faire parvenir à regarder différemment ces personnages abimés et en rupture, souvent montrés ailleurs à travers le truchement d’une problématique sociale ou économique. « Ces films-là aussi sont nécessaires, mais ce n’était pas mon positionnement ». Marie Dumora filme la vie de Belinda qui vaut d’être vécue, coûte que coûte, quelques soient les obstacles, les séjours en prison et le manque d’argent. On pourrait y voir aussi une forme de déterminisme, que la cinéaste réfute, tant leur histoire se répète, mais la réalisatrice souligne à juste titre que quelque soit le milieu, la vie se répète. Pour le meilleur comme pour le pire.

Dans une des très belles scènes finales, toujours filmée avec une distance à la fois respectueuse et non sournoise, le père de Belinda raconte la photo familiale (« On dirait du Walker Evans »), le camp de concentration par lequel sont passés ses parents, la ferme avec les poules, et soudain se met à jouer avec deux fourchettes et battre le rythme d’une musique tsigane. Et là dans cet appartement, renait ce qui les relie et les rattache, loin des mots vains et du quotidien parfois sordide. Car ce qui les sauve, ce qui sauve Belinda c’est bien cet amour inconditionnel, maladroit et chaotique qui les unit.

Marie Dumora fait surgir la beauté là où on ne l’attend plus et Belinda est une pousse au milieu du béton, vivace et vivante. Notre coup de coeur.

Histoire du Doc : La Pologne

Direction salle Joncas pour la première séance de la journée avec le programme Histoire du Doc qui cette année nous emmène en Pologne. Présenté par Federico Rossin, ce programme rassemble huit films courts des années 70 et 80 dont le formidable film de Krzysztof Kieślowski Le point de vue d’un gardien de nuit (1977), sorte de « portrait humaniste d’un facho », pour reprendre les mots de Rossin. Filmé en 35 mm, Le point de vue d’un gardien de nuit dresse le portrait d’un homme obsédé par le contrôle. « Tout le monde a une passion, la mienne c’est le contrôle ». Filmé dans son environnement de travail, en train de surveiller des pêcheurs sans permis de pêche, ou en train de dresser son berger allemand, le gardien évoque en voix off ses convictions, son amour de l’ordre et son besoin maladif de tout contrôler. Loin de juger son personnage, Kieślowski s’intéresse davantage à lui donner la parole, parole libre et décomplexée d’un fasciste ordinaire.

La séance de l’après-midi Fragment d’une oeuvre de Peter Nestler étant complète, on s’est replié vers la vidéothèque pour des séances de rattrapage version petit écran. On a arrêté notre choix sur le film de Joseph Truflandier Ca parle d’amour de la sélection Expérience du regard, projeté hier.

Ca parle d’amour de Joseph Truflandier (2016)

Joseph et Carlos décident de tomber amoureux et expérimenter l’amour à travers trois phases : la passion, l’intimité et l’engagement. Pendant un an les deux hommes vivent ensemble et sondent l’amour au sein de leurs propre expérience mais aussi celles de leurs amis que le réalisateur interroge au cours de soirées ou via skype.

Qu’est-ce que l’amour ? Du cul, du confort, de la passion, du désir, des peurs qui nous confondent, de la destruction ou de la sérénité ? Chacun y va de sa définition, son ressenti, ses déceptions et ses croyances. « C’est comme un entretien d’embauche, parfois on est choisi mais on n’aime pas et parfois c’est l’inverse. »

Joseph Truflandier filme leurs deux corps, le sien et celui de Carlos, morcelés, une paire de fesse, un bout de cuisse, leurs pieds et leurs visages comme s’is n’arrivaient pas à être entier dans cette relation presque forcée par le procédé. L’amour peut s’inventer mais peut être pas se commander.

Cette génération de trentenaires semble pour certains assez désabusée et pas décidée à s’aventurer vers une possible souffrance. D’autres au contraire n’envisagent pas une relation sans sentiment profond, de ceux qui nous font devenir qu’un avec l’autre. D’autres encore hésitent, ont peur et croient que l’amour n’est que pure invention. Quant à Joseph et Carlos, ils se rapprochent dans ce mouvement initié par ce projet, s’aiment physiquement, doutent, s’éloignent puis se rapprochent dans une autre forme d’intimité avant de s’engager en se pacsant. Ca parle d’amour parle avant tout de ce besoin irrépressible de se sentir exister, de s’unir à l’autre, pour une heure, pour une vie. Sur Skype le cinéaste demande à des personnes rencontrées de lui chanter une chanson d’amour, celle qui peut-être définirait le mieux leur rapport à l’amour. A travers les mots des autres comme à travers les siens, Joseph Truflandier explore les méandres amoureux. Cela pourrait être une performance, un work in progress. C’est très certainement une éducation sentimentale à ne pas bouder.

 

 

 

LES ETATS GENERAUX DU FILM DOCUMENTAIRE #J1

Le soleil a chassé la fraicheur de la veille, les festivaliers arrivent tout doucement et de plus en plus nombreux pour se rendre dans une des quatre salles. Pour nous, ce sera direction la salle des fêtes pour l’Atelier « Mémoires des territoires » animé et articulé par Alice Leroy.

C’est en découvrant le livre de Jean-Christophe Bailly, Dépaysement, que les deux délégués artistiques du Festival Christophe Postic et Pascale Paulat ont décidé de se pencher sur cette réflexion des territoires comme autant de lieux porteurs d’une mémoire collective qui dépassent l’idée de frontières. Bailly de passage à New York et n’arrivant pas à dormir, regarde La règle du jeu de Renoir à la télévision. Il réalise combien ce film porte en lui quelque chose qui lui est familier et le renvoie à un sentiment d’appartenance. Chaque territoire a en effet sa propre mémoire, peu importe qui le traverse. Cet atelier invoque donc les empreintes collectives et singulières que laissent en nous les territoires à travers une sélection d’oeuvres explorant les espaces urbains autour de Berlin et Rome et les territoires abandonnés. Et comme toujours à Lussas, loin d’être un cours magistral, ces ateliers proposent un véritable échange avec le public averti qui n’hésite pas à poser son propre regard et analyse.

Couleur du temps : Berlin, août 1945 de Jean Rouch

La séance démarre avec le film de Jean Rouch réalisé en 1988 mais qui aurait pu être son premier film comme le précise Alice Leroy. Rouch découvre en effet Berlin en 1945 alors qu’il n’est pas encore cinéaste et l’idée de ce film lui vient à ce moment-là. Il écrira un poème sur Berlin suite à son passage, poème que l’on entend d’ailleurs dans le film tourné plus de 40 ans après. Couleur du temps est donc à la fois une déambulation dans un Berlin qui n’est plus celui de 1945 et le voyage de Rouch à l’intérieur du souvenir de ce voyage avorté. Jean Rouch filme les façades qui portent encore les traces de la guerre, les vitrines des magasins, les rues et superpose à cette balade un texte en voix off évoquant ses propres souvenirs et en fond musical, la voix de Marlène Dietrich. Rouch met aussi en scène deux jeunes femmes (Katharina Thalbach, Margit Groich) vêtues d’habits d’époque mêlant ainsi la fiction à ces images anachroniques, comme pour palier à l’impossibilité de retrouver ce temps perdu. Une balade mémorielle et nostalgique à la recherche d’un temps perdu.

Retour à Berlin d’Arnaud Lambert

Ce deuxième documentaire s’intéresse à revivre l’expérience vécue par Jean-Michel Palmier, spécialiste de l’expressionnisme allemand des années 20-30 et relatée dans son ouvrage éponyme. Arnaud Lambert en voyage à Berlin raconte s’être précipité à la librairie française acheter le dernier exemplaire de Retour à Berlin. Il découvre donc Berlin à travers les mots de Palmier et s’en empare dans ce film en alternant les plans fixes et les travellings et en insérant des extraits d’interviews de Palmier évoquant ses longs séjours à Berlin. Dans sa recherche des lieux évoqués par Palmier, Arnaud Lambert convoque d’autres lieux et superpose son propre imaginaire en reconstituant certains lieux, certaines ruines à l’occasion d’un autre voyage (le film est filmé à Berlin mais aussi à Detroit). Là encore, peu importe le lieu en soi, c’est bel et bien la trace laissée en nous, la puissance évocatrice des espaces et leur impact sur nous qui importe. Filmé dans une lumière hivernale, Retour à Berlin est un voyage expérimental dans une ville entre histoire, imaginaire collectif et impressions personnelles de Palmier. Que ce soit les ruines de Berlin ou Detroit, l’histoire circule et les traces laissées, elles aussi, migrent vers d’autres espaces qui les raniment. Les plans fixes, captures lentes d’un temps suspendu, convient notre propre expérience de spectateur, que ce soit dans cette ville ou ailleurs, et nous invitent à retrouver des émotions universelles, celles que produisent sur nous certains lieux. En cela, cette mémoire de ce territoire meurtri est formidablement réussie. Certains plans nous traversent avec force et mélancolie dans un autre lieu encore, celui de notre propre histoire. Le geste filmique d’Arnaud Lambert relie de façon organique l’Histoire et les histoires individuelles dans ce mouvement incessant que la mémoire essaye en vain d’arrêter. Un film fascinant.

Fragment d’une oeuvre : Guy Sherwin

Courte pause où l’on croise les festivaliers discutant des films vus, puis direction salle Joncas pour découvrir la deuxième sélection du jour des films expérimentaux de l’anglais Guy Sherwin présentée par Federico Rossin. Formé à la Chelsea School of Arts, Guy Sherwin appartient à cette génération de cinéastes expérimentaux des années 70. L’auteur du célèbre Man with mirror (performance où le cinéaste se met en scène avec son miroir et questionne la perception et le rapport au temps), filme les paysages et la lumière. La texture et le grain de la pellicule semble répondre parfaitement à sa recherche sur les éléments, sur les jeux d’ombre et de lumière et sur le filmage du temps qui passe. Dans Beds filters, Sherwin trouve dans les brindilles, les branches et autres fils de fer suspendus, un autre cadre dans le cadre filtrant la lumière qui les traverse.  Dans Views from home, Sherwin filme depuis son appartement londonien, la lumière pénétrant et se posant sur ses meubles, ses murs, le tout sur une musique jazz improvisée et d’autres musiques glanées dans ses errances urbaines. Tout est lumière, matière vivante, rien n’est immuable et nous rappelle que même quand il s’agit d’un monticule de pierre ou de paille (dans Connemara), le temps dépose son empreinte et ses couleurs à qui sait regarder.

Enfin pour clore cette journée, le dernier film de Pierre-Yves Vandeweerd, grand habitué de Lussas, Les Eternels toujours dans le cadre de l’Atelier Mémoires des territoires.

Les éternels de Pierre-Yves Vandeweerd

En 1994, à la chute de l’Empire soviétique, le Karabagh, petite enclave arménienne en Azerbaïdjan, déclare son indépendance mais le conflit reste ouvert et les hommes prêts à se défendre. Le génocide arménien n’a épargné que peu d’entre eux et les rescapés se voient condamnés à errer en attendant une mort libératrice. Ce sont les « éternels », ceux qui ne peuvent disparaitre à l’instar du mythe du dernier homme, celui contraint à revivre en boucle sa vie à l’infini. En se rendant sur place, Pierre-Yves Vandeweerd raconte qu’il a eu la chance de rencontrer un officier qui lui a remis un journal de bord où celui-ci a écrit ses impressions quotidiennes de ce conflit interminable. Le cinéaste les reprend en filmant ces hommes errants, pris de panique et habités par la « mélancolie d’éternité ». Pour rendre compte de leur syndrome, le cinéaste filme en caméra subjective se transposant (peut être ?) au fantôme de ce dernier homme éternel qui les poursuit sans fin. Le résultat est étonnant, envoûtant. Il filme les pas des hommes, leur course effrénée, l’alignement chaotique des soldats, les fusils prêts à tirer sur fond des mots de l’officier et de cet éternel fantôme. Le procédé étonne d’autant plus que le travail du son vient bousculer ce récit en mettant en premier plan leur respiration, leur souffle, leur cri. Un film cathartique et puissant.