MEXICO MEXICO, un voyage hors des sentiers battus

La Cinémathèque française programme jusqu’au 23 février une rétrospective du cinéaste François Reichenbach. En partenariat avec la Cinémathèque, le Fresnoy projetait hier soir Mexico Mexico, documentaire réalisé en 1968 au coeur d’un Mexique rythmé par ses fêtes populaires et sacrées.« Le Mexique commence là où les routes s’arrêtent » nous dit l’écrivain Carlos Fuentes. Véritable plongée dans l’histoire du Mexique, le film de Reichenbach est avant tout un hymne à la vie et au voyage. Un film indispensable.

De longs travellings balaient le paysage, les lacs, les montagnes, la caméra suit les visages des indiens du Mexique trottant sur leurs chevaux, au rythme de la musique mexicaine omniprésente. François Reichenbach nous immerge immédiatement dans la beauté de ce pays qu’il vénère en posant la question suivante : « Si le Mexique disparaissait, de quoi se souviendrait-on ? »

Ils furent des milliers d’indiens contraints par les colons de quitter leur terre. Cette terre sacrée que l’homme blanc occupe sans se soucier de son histoire. Acapulco et ses plages, vernis d’un Mexique pour touristes, carte postale parfaite d’une destination rêvée. Des jeunes garçons font le saut de l’ange du haut des falaises au risque de leur vie pour aller pêcher quelques pièces au fond de l’eau. Les villes s’érigent avec des bâtiments toujours plus hauts, tels des babels en verre, où trouver sa place relève de la loterie. Le voyage continue cadencé par les fêtes qui se succèdent comme ailleurs se succèdent les jours. Les fêtes servent autant à oublier qu’à se souvenir. Les coras rejouent des morceaux de leur histoire pour conjurer le sort, les tarasques portent et brûlent des masques symbole des dictateurs, des ennemis, de Dieu et du Diable, d’autres célèbrent la terre féconde, ou se transforment en oiseaux pour appeler la pluie. Tous ces rituels entre sacré et profane ponctuent la vie des habitants et Reichenbach nous donne à voir une nature d’une infinie beauté. Chaque visage est un paysage, filmé dans ce qu’il a de plus fragile. D’ailleurs Fuentes dans son très beau texte et reprenant les paroles ancestrales définit le bonheur comme le corps à corps harmonieux et fragile des hommes et de la terre.

François Reichenbach filmait comme d’autres respirent. Sa caméra le suivait partout et on lui doit un bon nombre de documentaires et de portraits (Rubinstein, Orson Welles ou Yehudi Menuhin) qu’il finançait en vendant les toiles de maitres, héritées de sa famille. Mexico Mexico est un vibrant hommage au peuple et à la terre, celle qui peut être, comme le croient certains indiens, revient aux morts.

EVERYONE ELSE : sous le soleil exactement

Lundi soir au programme de la Cinéthèque du Fresnoy, était projeté le film allemand de Maren Ade, Everyone else, récit estival d’une crise conjugale en Sardaigne.

 

 

Chris est architecte un peu idéaliste, de ceux qui ne veulent réaliser que des grands projets tandis que sa nouvelle amie, Gitti, est attachée de presse pour un label de musique. Ils profitent de l’été en Sardaigne où les parents de Chris ont une maison secondaire. La soeur de Chris et ses enfants sont sur le point de repartir et le film commence par une scène au bord de la piscine où Gitti apprend à la fillette à exprimer sa colère, à crier haut et fort qu’elle la déteste jusqu’à lui demander de la tuer. Gitti feignant d’être morte se jette à l’eau comme elle se jettera plus tard dans le jardin.

Restés seuls, leur huis clos conjugal démarre et les confronte aux premiers doutes, ceux qui arrivent juste après l’idylle. Gitti et Chris ne se connaissent pas depuis très longtemps et déjà le décalage amoureux se fait sentir comme la preuve d’un équilibre fragile entre la passion des débuts et les désillusions du quotidien. Chris ne veut pas la décevoir mais parait toujours assez lointain et plus réservé. Il invente un petit personnage en tête de gingembre qui pourrait le relayer pour faire l’amour à Gitti et même pour lui parler. Seulement Gitti n’a pas les mêmes envies. Elle a envie de lui quand il lit son livre, veut aller danser quand lui préfère rester à la maison, et malgré toute l’énergie qu’elle met à le convaincre, c’est finalement son non-désir à lui qui l’emporte. On dépend toujours de l’absence de désir de l’autre. Gitti veut aimer Chris entièrement, même ses défauts, sa distance, ses actes (il part rejoindre un de ses amis la laissant seule à la maison malgré sa résistance) tant qu’elle sent que lui aussi l’aime comme elle est, libre.

Mais lors d’un diner chez des amis de Chris également en Sardaigne, l’harmonie vole en éclats et les tensions latentes se réveillent. Le couple d’hôtes devient le miroir de ce qu’ils n’osaient pas voir chez l’autre. Gitti s’en prend à Hans pour défendre Chris mais sa colère n’est que le reflet de son désamour. Elle pensait aimer un homme, elle en découvre un autre.

Elle attend des mots, des promesses, la preuve qu’il ne la quittera pas, mais Chris est bien trop rattrapé par ses doutes, ses inquiétudes. Et quand il se confie à elle, elle l’interrompt et termine sa phrase en interprétant trop vite son propos. « Je ne voulais pas dire ça, tu crois tellement me connaitre », lui dit-il avant de s’en aller. Voilà toute leur différence, et peut être une différence quasi universelle entre les hommes et les femmes : elle pense « nous », il pense « je » et « tu ».

Gitti est pourtant prête à tout par amour, même à l’inciter à ne pas porter de préservatif ou à lui pardonner ses silences et ses maladresses. Elle lui murmure des mots d’amour, il lui répond par des baisers. Il se sait aimé et désiré et cela lui suffit. Elle expose ses sentiments comme elle expose son corps sous ce soleil sarde. Avec un naturel presque dérangeant. Chris, quant à lui, est bien plus conformiste, il répète les mêmes gestes que Hans jetant sa femme dans la piscine et se met à fuir lors d’une randonnée pour finalement n’échapper qu’à lui même. Il y a parfois quelque chose qui relève de l’ennui dans ce chassé croisé, et Maren Ade ne cherche pas à y échapper, prenant ce temps-là à témoin de leur confusion.

Les plus belles scènes se situent dans une des pièces de la maison, consacrée à la rêverie (ringarde) de la mère avec au milieu un faux arbre recouvert d’oiseaux en verre. Chris joue Cat Stevens sur la chaine et se met à danser à la demande de Gitti. La décoration de la pièce ajoutée à la musique rend leur amour à nouveau possible, loin de la réalité de leurs questionnements. L’amour a-t-il besoin d’artifice pour se ranimer ? Ne serait-il qu’un jeu, qu’une illusion ? Maren Ade y répond à sa manière à la fin du film où Gitti feint à nouveau d’être morte. Comme pour mieux renaitre. Ou pour réveiller l’autre.