SEULE SUR LA PLAGE LA NUIT, le dernier film sublime de Hong San Soo

Une femme, deux villes, des retrouvailles et l’amour adultère en suspens. Hong san soo continue son exploration vertigineuse de l’amour et du hasard au goût de soju. Magique !

Younghee revient d’Europe où elle s’est réfugié quelques années laissant derrière elle une histoire d’amour avec un réalisateur marié. Le film démarre en Allemagne avec son amie Jeeyoung qui est partie elle aussi pour fuir un mari volage. « Il avait du désir, pas moi. Je l’espère heureux aujourd’hui ». Du désir Younghee en a encore pour l’homme marié censé la rejoindre là-bas. Une promenade dans un parc où elle rend hommage à celle qu’elle a envie d’être sans plus jamais se renier, une balade au bord de la mer avec un couple d’amis allemands et une disparition soudaine qui se termine par un générique de film (un classique chez Hong Sansoo qui nous a déjà fait le coup dans Un jour avec un jour sans) avant de reprendre dans une salle de cinéma avec Younghee. Encore une fameuse mise en abyme chère au cinéaste mais cette fois il va encore plus loin, brouillant davantage les frontières du film dans le film.  Un  nouveau chapitre s’ouvre en Corée du sud à Gangneung où Younghee retrouve ses vieux amis. Réapparait l’homme fantôme qui l’emporte sur la plage en Allemagne et que l’on retrouve en train de nettoyer une baie vitrée. Est-il le reflet de son âme, celui qui la ramène chez elle et qui l’oblige à y voir clair ?

« Mourir avec élégance »

Younghee (sublime Kim Minhee, Prix d’interprétation féminine à Berlin) est fatiguée par l’amour, le cinéma, les hommes. Dans un moment d’ivresse attablée avec ses amis, elle s’emporte, leur reproche de n’être pas qualifiés pour l’amour, de n’être pas digne d’aimer ou d’être aimés. « Il faut mourir avec élégance » scande-t-elle. Pour Younghee, l’amour se place très haut mais ses désillusions et ses échecs la rendent aussi plus clairvoyante. Qu’est ce que l’amour finalement ? Une assurance contre la solitude ? Younghee refuse d’attendre le réalisateur avec qui elle a vécu une romance. Elle préfère le hasard à l’attente. Le même hasard qui la fait croiser sur une plage son équipe de tournage. Et dans cette solitude, lovée sur le sable froid de l’hiver, elle retrouve l’homme aimé sans plus le reconnaitre. Le temps est cruel, il a vieilli et en perdant sa muse a perdu aussi son inspiration. Car une autre des questions de Hong San Soo est bien le rapport au temps qui passe, à la vieillesse inéluctable. Même la très belle Younghee a changé, « a mûri » disent ses amis. Le cinéaste ne s’épargne pas à travers le portrait en écho d’un réalisateur vieillissant qui a créé le scandale en trompant sa femme. Toute ressemblance avec des faits réels n’est évidemment pas fortuite quand on connait l’histoire qui lie Hong San Soo à la jeune Kim Minhee. De la même manière, Younghee interroge son viel amant sur les raisons pour lesquelles il l’aimait et l’aime encore. La jolie assistante à sa gauche aussi est belle. Cela ne suffit pas à la rassurer. Dans la multitude des possibles, qu’est ce qui fait qu’un être en aime un seul autre ? Vaste question à laquelle le cinéaste tente toujours de répondre.

Seule sur la plage la nuit évoque sans cesse l’empreinte du temps à travers les dialogues entre les personnages (« tu as mauvaise mine, tu as pris un coup de vieux, tu as changé, tu as quel âge ?… ») mais aussi à travers les paysages d’automne, les cafés défraichis, les rengaines chantées sur le pas de la porte en fumant sa cigarette ou les soirées entre amis qui s’enchainent avec la même sonorité. Chez Hong San Soo tout semble pareil et pourtant tout nous surprend. Ainsi va la vie.

Younghee en revenant en Corée comprend qu’on ne laisse jamais les choses derrière nous. Fuir ne sert à rien et à l’instar d’une autre héroïne d’Hong San Soo, Sunhi, Younghee doit suivre sa voie coûte que coûte. Pour tenter de vivre. Et mourir avec élégance.

Date de sortie : 10 janvier 2018
Durée : 1h41
Distribution : Capricci

LE JOUR D’APRES : un conte moral signé Hong Sang-Soo

Sélectionné à Cannes et injustement boudé par le jury, Le jour d’après, nouvel opus du prolifique Hong Sang-Soo, prolonge sa fresque des vertiges de l’amour. Film aux accents de conte moral rohmérien, Le jour d’après est peut être son film le plus sombre.

Un homme attablé avale son bol de soupe. Sa femme s’assoit en face de lui et l’interroge.  Pourquoi part-il toujours à l’aube ainsi ? Elle le trouve amaigri et le soupçonne d’avoir une maitresse. L’homme, au départ surpris, ne répond pas. Le silence presque insoutenable devant l’insistance de la femme qui attend sa réponse vient clore ce premier plan. La caméra cadre ce face à face en plan fixe, s’accordant quelques plans zoomés pour s’approcher tour à tour des personnages, sondant leurs tourments, leurs réactions, leurs gestes, résumant ainsi toute la magie de Hong Sang-Soo en un plan simple et immense.

Bongwan (Hae-hyo Kwon) est éditeur et accueille Areum (Kim Min-hee) qui vient pour le poste d’assistante, tout juste libéré par son ancienne maitresse. S’ensuit un tête à tête impudique où les questions intimes fusent entrecoupées de silence et d’émotion. On est bien chez Hong Sang-Soo, plus proche de la rencontre amoureuse que de l’entretien d’embauche. La scène est d’ailleurs rejouée quasiment à l’identique à la fin, non pas comme une subtile variation qui rappellerait son précédent Un jour avec un jour sans, mais plutôt comme un train qu’on manquerait. Deux fois.

« Je crois aussi que rien n’est vraiment grave, tout est merveilleux ».

Hong Sang-Soo aime raconter la naissance de l’amour, les triangles amoureux, les trahisons et l’ivresse salvatrice. Mais ici, si ivresse il y a (à son habitude, toutes les scènes ou presque se passent à table autour d’un verre), elle traduit davantage la confusion des sentiments qu’un échappatoire au réel. Bongwan est coincé entre sa femme et sa maitresse, l’une lui reprochant ses mensonges, l’autre sa lâcheté. Quand Areum  arrive dans sa maison d’édition, il n’a d’yeux que pour cette troisième femme (et nous aussi). Il l’emmène déjeuner au restaurant, il la questionne, est curieux de sa belle personne. Elle lui avoue ne pas croire au réel. Comment sait-on d’ailleurs ce qui est réel ou non ? « Je crois aussi que rien n’est vraiment grave, tout est merveilleux ».

Bongwan la regarde, touché par cette apparition apaisante au coeur de son désordre amoureux. Le temps s’étire, les bouteilles se vident. Areum ne boit pas, elle ne sait pas boire sans devenir toute rouge. Il boit seul, l’écoute lui dire son admiration pour son écriture, son étonnement sur son absence de rides dans le cou pour son âge (« c’est de famille », plaisante t-il), sa foi en Dieu. Areum poursuit : « Vous savez pourquoi vous vivez ? ». Il hésite. « Pour l’amour ». La femme de Bongwan vient interrompre cette douce parenthèse et accuse à tort Areum de lui voler son mari, bientôt suivie de la maitresse qui ressurgit pour récupérer sa place. LE JOUR D’APRES se déroule en une journée mais peu importe le temps, cela pourrait être des semaines, des mois, le temps lui-même n’est plus réel et importe peu. Les scènes s’enchainent tels des tableaux, dans un noir et blanc hivernal, nous perdant parfois un peu comme pour nous obliger à mieux ressentir l’essentiel, la vie qui les traverse, le trouble qui les habite.

Difficile de ne pas voir la mise en abyme flagrante dans ce film. Hong Sang-Soo, déjà habitué à choisir des personnages qui font écho à sa vie (souvent des réalisateurs) semble ici se livrer encore davantage quand on sait le scandale que sa relation avec la comédienne Kim Min-hee a suscité en Corée (il a quitté sa femme pour elle). Sauf que là, Kim Min-hee n’est ni la femme ni la maitresse. Elle est le train manqué. La réponse à la question d’Areum (Pourquoi vous vivez ?) serait-elle finalement du côté de la vie ?

Date de sortie : 7 juin 2017
Distribution : Capricci
Durée : 1h32