LE SENS DE LA FÊTE : enfin une bonne comédie made in France !

Grand retour au cinéma du duo gagnant Eric Toledano et Olivier Nakache avec Le sens de la fête, comédie chorale réjouissante et bien rythmée. Un feel good movie à ne pas bouder loin des comédies médiocres dont le cinéma français regorge.

Max (Jean-Pierre Bacri à son meilleur) n’en est pas à son premier mariage. Et pour cause, il est traiteur et coordonne les événements du repas jusqu’aux menus détails. Si Max aime son métier, il commence à fatiguer et pense à se retirer. Cette fois, la fête a lieu dans un magnifique château du 17ème ambiance « sobre, chic et élégant » mais évidemment rien ne va se passer comme prévu et Max va devoir « s’adapter » plus que d’habitude pour faire face aux imprévus. Il faut dire qu’il n’est pas vraiment aidé par son équipe : un beau frère dépressif (Vincent Macaigne), un extra un peu simplet (Alban Ivanov), un DJ qui détonne avec le décor (Gilles Lellouche), un photographe pique-assiette (Jean-Paul Rouve) et un bras droit trop imprévisible (Eye Haidara). Ajoutez à cela un marié très irritant et mégalo et vous aurez le cocktail parfait de la fête qui ne promet pas que des belles surprises.

Pour Le sens de la fête, les réalisateurs Eric Toledano et Olivier Nakache ont opté pour l’unité de lieu et de temps. Le pari de maintenir la cadence dans un seul lieu et sur une nuit était donc risqué. Pari réussi tant le film est formidablement bien rythmé et servi par de bons dialogues et une mise en scène efficace. Loin de la caricature grotesque et des blagues tartes à la crème, Le sens de la fête évite tous les pièges dans lesquels il eut été facile de tomber. On est avant tout ici dans une comédie humaine et non dans une farce, le chaos servant davantage à peindre cette galerie de personnages qu’à titiller nos zygomatiques. Le sens de la fête n’en demeure pas moins une bonne comédie et offre quelques scènes vraiment réjouissantes, notamment autour des personnages de Bacri, Macaigne et Lellouche, très en forme.

“Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer.”

– Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais cité par le marié dans son interminable discours –

Les cinéastes ne se contentent pas de tout miser sur Jean-Pierre Bacri et offrent la part belle aux seconds rôles. A ce récit mêlant harmonieusement humour, émotion et sens du rythme, s’ajoute en effet un casting d’acteurs plus rares dans ce genre-là, comme Judith Chemla, la star du film indé Vincent Macaigne, Antoine Chappey ou Kevin Azais.

Répondant au principe de la comédie chorale, Le sens de la fête laisse exister chacun de ses personnages qui nous rappellent forcément quelqu’un, quand ce n’est pas nous-mêmes. Les seconds rôles (à part peut être celui d’Alban Ivanov qui joue le con de service) sont tous plus vrais que nature, et échappent à la satire potache. Le photographe n’est pas qu’un beauf paresseux et pique assiette, c’est aussi un loser touchant qui cherche à se faire mousser auprès de son stagiaire pas dupe du tout. De même, le DJ qui chauffe sa voix en se prenant pour Barry White et inquiète le marié, finit lui aussi par montrer un autre visage. Car dans ce chaos festif, où les uns et les autres travaillent à faire de cette soirée le plus beau jour de la vie des mariés, jaillit un élan humain entre solidarité et bienveillance qui ne peut qu’émouvoir. Les personnages évoluent au fil de la nuit, laissant de côté leur travers au profit du groupe et du travail d’équipe. Certains diront que c’est un peu facile et plein de bons sentiments. Ce qui est sûr c’est qu’à lorgner du côté du succès de certaines comédies ineptes (Camping, Les Tuche ou l’affligeant Alibi.com pour ne citer qu’eux), on se dit que c’est peut être là le secret de la réussite du duo Toledano-Nakache : laisser opérer la magie du vivant. Force est de constater que ce n’est pas donné à tous. Si en plus ça nous fait marrer, pas de quoi les bouder.

Durée : 1h57
Date de sortie : 4 octobre 2017

 

LA VIE TRES PRIVEE DE MONSIEUR SIM, un road movie mélancolique et joyeux

Après Le nom des gens, comédie déjantée sur une femme qui s’efforce de convertir des hommes de droite à voter à gauche, Michel Leclerc revient avec une comédie douce amère, presque désespérée, sur un quinquagénaire en pleine dépression qui retrouve un nouvel emploi de commercial pour une marque de brosse à dent bio. A bord de sa voiture hybride, il part direction la Provence-Alpes-Côte d’azur et commence pour lui un road movie initiatique, entre solitude, passé retrouvé et futur à dessiner.

François Sim (très touchant Jean-Pierre Bacri) revient d’un voyage dans un club Lookea. C’est sa femme Caroline qui l’avait organisé il y a quelques mois, avant de le quitter. Il y est donc allé tout seul mais comme il l’avoue à son voisin dans l’avion « ce n’est pas fait pour les gens seuls ». On se demande d’ailleurs ce qui est fait pour les gens seuls dans notre société où le bonheur familial est érigé en mode de vie sans que grand monde n’y parvienne. « On passe notre vie à éviter les contacts avec les autres, à se frôler ». C’est dans ce territoire du frôlement que Michel Leclerc place son film et parvient à dessiner les contours sensibles d’une souffrance quasi universelle, celle de la solitude du coureur de fond.

Rien de moins naturel que la solitude. Rien de moins naturel que la promiscuité forcée non plus. Les paysages que parcourt François Sim sont le reflet même de cette vacuité contemporaine. Il traverse des lieux défigurés par des enseignes criardes réunies dans des zones à rond-point comme autant de promesses d’un bonheur préconçu et formaté auxquelles nous nous devons d’adhérer avec le même sourire figé qu’arborent les quatre commerciaux élus et « happy » par Bio Buccal pour aller semer leurs brosses à dents dans la France entière. Sim est envoyé en région PACA et lui qui vient de connaitre une période de chômage, feint un enthousiasme pour ce produit « révolutionnaire » : la brosse à dent en poil de sanglier.

Sans rien préméditer, François Sim est déjà parti sur une autre route. En chemin, il s’arrête rendre visite à sa fille qu’il ne connait même plus, bien qu’il soit parvenu à glaner quelques informations auprès de son ex femme en se faisant passer pour une copine virtuelle d’au féminin.com (quand je vous dis que c’est un film sur la solitude !). Il parle à tout le monde qu’il croise, semble encore croire en l’humain. Il parle à son voisin dans l’avion, au type dans la queue du self service d’un Autogrill, à  Popi (Vimala Pons), la fille qui pêche des sons à l’aéroport pour servir de couverture aux maris adultères. Il parle même à son GPS qu’il va rebaptiser Emmanuelle. Difficile de connecter avec ses pairs. Parfois ça fonctionne comme avec Popi qui, loin d’être indifférente, l’invite à diner et lui présente son oncle Samuel (Mathieu Amalric qu’on ne se lasse jamais de retrouver). Samuel lui raconte l’histoire de ce navigateur parti en course en solitaire qui, coincé par son propre mensonge et son échec, se laissa dériver jusqu’à sa mort. Ce récit, comme un écho à sa propre solitude, va accompagner François dans sa quête sans nom, et peut être lui éviter de courir à sa perte. Car François ne renonce pas, c’est ce qui fait de lui un dépressif joyeux. Il poursuit sa tournée hors des sentiers battus, renoue avec le passé et des amours anciennes, retrouve son père distant et découvre une histoire engloutie qui réapparait à la surface telle l’épave du navigateur sur la plage en Sicile.

Le film de Leclerc, bien au-delà des quelques sourires qu’il nous décroche, est un road movie poético-mélancolique. Bacri est en dépression, « comme tous les gens sains » ajoute Popi (c’est vrai qu’il faut être drôlement malsain pour trouver notre monde normal et pas sujet à déprimer), mais c’est en s’égarant davantage, en tournant sans fin autour de rond points pour entendre la voix de son GPS recalculer à l’infini l’itinéraire à prendre, c’est en se perdant sur les petites routes, en traversant la mer, en s’enfonçant dans la neige ou dans un champ de patates qu’il trouvera la paix.

La vie très privée de Monsieur Sim prouve que pour mieux se retrouver il faut aussi savoir mieux se perdre. Voilà de quoi nous rassurer.