MAYA, un film lumineux sur la résilience

Partir pour mieux renaitre au monde, tel est le point de départ de Maya de Mia Hansen Løve. Sur fond de rencontre lumineuse, Maya est un grand film vibratoire sur la résilience et le recommencement.

Gabriel (Roman Kolilnka) est grand reporter et vient d’être libéré après avoir été détenu en Syrie pendant plusieurs mois. Il revient à Paris, retrouve sa famille, son ex petite amie (Judith Chemla), ses amis. La vie reprend tant bien que mal mais bientôt Gabriel projette un voyage en Inde où il a grandi et possède encore une maison pour se reconnecter au monde et se retrouver. A Goa il retrouve son parrain Monty et fait la rencontre de sa fille, Maya (Aarshi Banerjee).

L’Inde semble avoir toujours fasciné les réalisateurs, et pas les moindres. On pense au Fleuve de Jean Renoir bien sûr ou au film de Louis Malle mais surtout  à Inde, terre mère de Rosselini, documentaire poétique dont le titre aurait pu être celui de Maya. Pour Gabriel, l’Inde n’est pas une terre inconnue mais un retour aux sources, à ses origines et l’occasion de revoir sa mère (Johanna Ter Steege) qui y vit toujours depuis qu’elle s’est choisi une autre famille. Mia Hansen Løve filme l’Inde avec un regard neuf, loin de tous les clichés du genre. « J’entends toujours dire que Goa n’est pas vraiment l’Inde. C’est un des aspects que je voulais utiliser pour sortir d’une vision schématique de l’Inde, partagée entre splendeurs et misères, et tenter de filmer une Inde plus complexe, peut être impure, mais contemporaine. » Les voyages ont cette vertu d’arrêter le temps, de le réinventer comme un présent simple, loin d’une réalité passée ou de projets futurs. C’est aussi ce présent-là que filme la cinéaste en nous immergeant aux côtés de ce héros secret et meurtri.

Et puis il y a Maya, la fille de son parrain Monty. Malgré son jeune âge, Maya dégage une sagesse, une sérénité et une intelligence humaine déconcertante. Gabriel se sent détaché de tout mais va trouver en elle une complice salvatrice pour le remettre sur le chemin de la vie et de l’amour. Maya est prête à le suivre partout mais cet amour semble impossible tant Gabriel, malgré sa récente captivité, ne souhaite pas remettre en question son métier de reporter de guerre. Sa vie est sur les terrains minés et cette parenthèse indienne, un refuge temporaire pour renaitre de ses cendres.

Mia Hansen Løve est une cinéaste de la parole et ses films sont souvent bavards et profonds. Ici, si l’on retrouve les thèmes chers à la cinéaste (le renouveau, la résilience), la profondeur émane des corps et c’est l’intériorité de chacun qui nous est révélée à travers leur déambulation, leurs déplacements, leurs regards. Maya est un film éminemment sensuel et lumineux et Gabriel en chevalier solitaire et impénétrable rappelle les héros de western au coeur endurci qui finissent par se raccrocher au monde par la main tendue d’une femme. Maya est aussi son film le plus romanesque, et peut être le plus vibrant, le plus gracieux. Notre regard se confond tour à tour avec celui de Maya et de Gabriel, et nous transporte au cœur de leur voyage, et finalement, au coeur de nous-mêmes.

Qu’elle filme Paris ou Goa, Mia Hansen Løve sait capturer l’essence des lieux, la grâce du mouvement, l’instantanée magie et la force humaine qui nous rassemble. Il suffit de voir la scène où Judith Chemla chante le Lied de Schubert dans un bar parisien où tous les amis de Gabriel sont réunis et fêtent son retour pour s’en convaincre.

Filmé en 35 mm par la directrice de la photographie Hélène Louvart (Heureux comme Lazzaro), Maya offre des plans sublimes, oniriques et solaires, et la caméra, fluide, capture les présences des personnages (en arrière plan comme au premier plan) dans ce qu’ils ont de plus vivant, de plus incarné.  Roman Kolinka est parfait dans ce premier grand rôle et confirme son talent après les deux précédents films de Mia Hansen Løve (L’avenir et Eden). Quant à la jeune Aarshi Banerjee, elle rappelle combien Mia Hansen Løve a raison de dénicher des inconnues même si cela rend plus difficile le montage financier de ses films. C’est ainsi que naissent les miracles et sa présence en est un à l’écran. 

Date de sortie : 19 décembre 2018
Durée : 1h47
Distributeur : Les Films du Losange 

 

 

IL ETAIT UNE FOIS UN FILM ET SON EPOQUE, la série de Serge July et Marie Genin en coffret DVD

On ne présente plus les Editions Montparnasse, célèbre éditeur DVD depuis près de 30 ans et son catalogue riche de magnifiques titres parmi lesquels les classiques hollywoodiens de la RKO (malheureusement cédés depuis), les classiques italiens (L’avventura de Antonioni c’est chez eux !), de grands documentaires (Wiseman et Rossif pour ne citer qu’eux) mais aussi des captations de théâtre inédites. Toujours dans cette ligne éditoriale à la fois documentaire et cinéphilique, les Editions Montparnasse nous font un beau cadeau pour les fêtes : la sortie d’un coffret de 20 films de la série documentaire Il était une fois… un film et son époque initiée par Serge July et Marie Genin pour Arte qui parcourent 70 ans de cinéma.
circa 1945: Full-length portrait of French film director Jean Renoir (1894-1979), sitting on a film set with his legs spread apart. There is a camera behind him. (Photo by Hulton Archive/Getty Images)

Parmi la sélection, on retrouve Jules et Jim de Truffaut, Le mépris de Godard, Les enfants du paradis de Marcel Carné, Les trois jours du condor de Sydney Pollack, Le charme discret de la bourgeoisie de Luis Bunuel, A nos amours de Maurice Pialat, La Reine Margot de Patrice Chéreau, Tout sur ma mère d’Almodovar et, plus étonnant, Le père noël est une ordure. Chaque épisode présente la genèse du film à travers le portrait d’une époque, celle qui entoure le film, les interviews des membres de l’équipe, de sociologues, d’historiens ou de cinéastes, le tout ponctué d’images d’archives souvent renversantes. Le fil conducteur est mené par la narration discrète de Serge July et s’articule autour de l’histoire du tournage, celle du cinéaste et met en lumière le film en le replaçant dans son contexte temporel et artistique. Loin d’être une analyse filmique, Il était une fois… un film et son époque nous raconte donc avant tout les coulisses de ces films, pour la plupart cultes.

Les années guerre

Lorsque Jean Renoir filme La règle du jeu (indéniablement son chef d’oeuvre), nous sommes à la veille de la seconde guerre mondiale. Renoir vient de remporter deux succès consécutifs avec La bête humaine et La grande illusion, et s’attelle avec audace à La règle du jeu, film qui peint une aristocratie de province déclinante et qui n’épargne personne (pas même lui dans le rôle d’Octave qu’il interprète lui-même). Le génie de Renoir est de parvenir à dresser un portrait nuancé, fin, et néanmoins burlesque d’une société en trompe l’oeil. Le film sera incompris jusqu’à ce que Jean Gaborit retrouve des bobines de scènes entières et les remonte. La règle du jeu sera enfin réhabilité et triomphera en 1959 à La Mostra de Venise.

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Le tournage des Enfants du Paradis de Marcel Carné fut largement contrarié par la guerre. Le film se tourne sous l’Occupation et contraint Alexandre Trauner (célèbre chef décorateur) et Joseph Cosma qui compose la musique à se cacher et travailler à distance. Le film sortira à la Libération et remportera un grand succès. Bertrand Tavernier raconte une anecdote savoureuse à ce propos : les deux grands amis Trauner et Jacques Prévert se paient un homard dans un bon restaurant, deux allemands entrent et voyant les homards en commandent à leur tour. Le patron annonce que c’était les deux derniers et Prévert d’ajouter « c’est que la guerre est bientôt finie ». Aussi se rappelle-t-on qu’Arletty ne put être présente lors de la première étant emprisonnée pour avoir eu une relation avec un allemand pendant la guerre.

La nouvelle vague

La Nouvelle vague (mot inventé par Françoise Giroud) est arrivée comme un nouveau souffle dans le paysage du cinéma français. Comme le rappelle Arnaud Desplechin, elle a avant tout déplacé la fiction dans la rue, en décor naturel ce qui était totalement inédit. Le coffret ne passe évidemment pas à côté des deux plus importantes figures de la Nouvelle vague : Truffaut et Godard.
François Truffaut raconte qu’il a réalisé Jules et Jim après avoir découvert par hasard le livre éponyme de Henri-Pierre Roché étant gamin. Il avoue avec ce film rendre hommage à la liberté des femmes et donc aussi à sa mère qu’il n’avait pas épargnée dans ses 400 coups et qui en avait souffert. Elle mourra avant de voir le film. On découvre aussi Stéphane Hessel qui est en quelque sorte la « Sabine » du film puisque l’histoire s’inspire de la vie de sa mère et de son père (le troisième étant l’auteur). Le film fut un temps suspendu faute de moyen et reprendra grâce à Jeanne Moreau qui co-financera le tournage.
A propos du Mépris, le film évoque les années 50-60 comme celles de la crise du cinéma hollywoodien à laquelle Godard se réfère en faisant apparaitre Fritz Lang dans son film. Si l’anecdote sur la genèse de la scène de nu du Mépris n’est plus un secret, elle reste formidablement racontée ici par le maitre lui-même.

Jules et Jim de FrancoisTruffaut avec Jeanne Moreau, Henri Serre et Oskar Werner 1961
Jules et Jim de FrancoisTruffaut avec Jeanne Moreau, Henri Serre et Oskar Werner 1961

Les années 70-80

Imaginez le choc que fut la sortie de L’empire des sens en 1976 ! Si nous sommes en plein dans la libération sexuelle, le film fut néanmoins compliqué à produire et Anatole Dauman le producteur profite de l’essor du film pornographique pour s’en rapprocher tout en s’appuyant sur le génie d’Oshima. Le film ne laissera personne indifférent, y compris la jeune actrice qui disparait un temps, probablement pour éviter les insultes qui fusent de la part du public qui la croise. L’empire des sens reste le premier film d’auteur à montrer la sexualité de façon aussi explicite et inspirera une génération de cinéastes tels que Catherine Breillat.

Après Certains l’aiment chaud et Les tontons flingueurs, nous retrouvons une autre comédie cultissime en France : Le père noël est une ordure. La troupe du splendid, fort de leur succès au théâtre de leur pièce – pièce qui rappelons-le a démarré presque comme une plaisanterie entre amis – décident de l’adapter au cinéma. Ce sera sous la direction bienveillante de Jean-Marie Poiré. S’ils avouent avoir énormément ri sur le tournage, chacun explique toutefois combien c’était risqué de se moquer des « gentils bénévoles » dans une France qui venait tout juste de passer à gauche.

Quand Maurice Pialat tourne A nos amours avec sa nouvelle recrue Sandrine Bonnaire, il a 58 ans et vient de remporter un grand succès avec Loulou. Sur le conseil de sa scénariste et première femme Arlette Langmann, il interprète lui-même le rôle du père de Suzanne. On connait le penchant parfois tyrannique de Pialat pour extraire de ses acteurs leur vérité. Elle nous est ici racontée notamment à travers le personnage de la mère (Evelyne Ker) qui ira jusqu’à se cogner vraiment dans une des scènes et en tomber malade. La scène est grandiose et restera une des scènes fortes du cinéma de Pialat.

On pourrait continuer longtemps tant ce coffret fourmille d’histoires. Il était une fois…un film et son époque est une série de documentaires passionnante, mêlant des archives parfois inédites, les souvenirs de l’équipe mais aussi d’autres cinéastes pour qui ces films ont compté. Le coffret s’arrête en 2011 avec Une séparation d’Asghar Farhadi et le poétique Le Havre d’Aki Kaurismaki et traverse aussi le cinéma de Michael Haneke (Le ruban blanc), Mathieu Kassowitz (La Haine), des frères Dardenne (Rosetta) ou d’Almodovar (Tout sur ma mère). Un régal absolu pour tous les cinéphiles qui comme moi se délectent des bonus dans les DVD. Ce coffret est un bonus de 20 fois 52 minutes !

COFFRET IL ETAIT UNE FOIS UN FILM ET SON EPOQUE

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DVD 1 : LA RÈGLE DU JEU / LES ENFANTS DU PARADIS
 DVD 2 : LE PETIT MONDE DE DON CAMILLO / CERTAINS L'AIMENT CHAUD
 DVD 3 : JULES ET JIM / LE MEPRIS
 DVD 4 : LES TONTONS FLINGUEURS / LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE
 DVD 5 : VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOU / LES TROIS JOURS DU CONDOR
 DVD 6 : L'EMPIRE DES SENS / LE PERE NOEL EST UNE ORDURE
 DVD 7 : A NOS AMOURS / LA REINE MARGOT
 DVD 8 : LA HAINE / TOUT SUR MA MÈRE
 DVD 9 : ROSETTA / LE RUBAN BLANC
 DVD 10 : UNE SEPARATION / LE HAVRE

Coffret disponible aux Editions Montparnasse

ARRAS FILM FESTIVAL : une programmation réjouissante et éclectique

Mercredi 9 novembre : J6 du Festival

L’arrivée ce matin en gare d’Arras était pour le moins contrariée par les nouvelles toutes fraîches américaines ainsi qu’une pluie battante. Heureusement l’accueil du Village des Festivals nous plonge d’emblée dans une autre ambiance : celle d’un événement mettant les films à l’honneur et par là, une autre vision du monde nécessaire et réconfortante.

Le premier film au programme du jour était une avant-première en résonance avec l’actualité puisqu’il s’agit d’un thriller politique se déroulant en pleine période pré-électorale. LA MECANIQUE DE L’OMBRE, réalisé par Thomas Kruithof avec François Cluzet et Denis Podalydès.

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Duval, un comptable au chômage ex-alcoolique est embauché par un mystérieux Clément (Denis Podalydès) pour retranscrire des écoutes téléphoniques. Le voici donc enfermé seul dans un appartement, respectant à la lettre des consignes précises. Acculé, Duval accepte cette mission mais très vite se retrouve au centre d’un complot politique cynique et dangereux.

LA MECANIQUE DE L’OMBRE s’inscrit dans le film de genre et prolonge la tradition de thrillers politiques machiavéliques à l’instar de Ghost writer de Polanski. La mise en scène un peu trop appuyée par moment reste néanmoins efficace et François Cluzet porte le film à lui seul. Pas un plan sans son visage à l’expression inquiète. L’intrigue elle-même nous maintient en haleine sans être pour autant très alambiquée. De son côté, Podalydès est formidable en homme d’affaire impitoyable.


Courte pause le temps d’un café avant la deuxième séance : LE TROU (1960) de Jacques Becker en version restaurée dans le cadre de la sélection « Films d’évasion », avec une belle surprise en avant programme, une archive de l’INA d’une interview de José Giovanni – l’auteur du livre éponyme adapté par Becker – par Bertrand Tavernier. Ce dernier vient d’ailleurs de rendre un vibrant hommage à Becker dans son Voyage à travers le cinéma français. La boucle est bouclée !

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LE TROU c’est l’histoire vraie de quatre prisonniers bientôt rejoint par un nouveau, Gaspard, préparant méticuleusement leur évasion. Co-écrit par José Giovanni, le film est un hymne au désir de liberté des hommes et à leur humanité. La mise en scène est prodigieuse et Becker filme chacun des gestes avec soin et authenticité. Chaque étape de leur tentative d’évasion est relayée de façon quasi documentaire. Ainsi voit-on Geo, Monseigneur, Manu, Roland et Gaspard dans leur quotidien carcéral, partager leur repas, enchaîner les cigarettes (sauf Manu qui ne fume pas), s’atteler à creuser un tunnel, scier les barreaux, inventer un sablier… La notion de temps semble alors aussi se dissiper pour nous spectateurs. Et les protagonistes font preuve d’une telle ingéniosité et d’une telle obstination qu’on est terrifié à chaque fois que les matons s’approchent de la cellule.

Mais LE TROU c’est aussi l’histoire d’une amitié hasardeuse, d’une confiance fragile et jamais certaine, d’une solidarité dans l’épreuve de la captivité. Les acteurs sont tous formidables et le talent incontestable de Becker pour nous attacher à chacun des personnages nous plonge complètement dans leur univers. A cela ajoutons les gros plans très utilisés visant à la fois à rendre compte de chaque geste, chaque expression mais aussi à traduire ce sentiment d’étouffement, de surveillance et d’angoisse. Un chef d’oeuvre absolu à voir ou revoir !


Sous les arcades d’Arras se nichent de nombreux restaurants et le Village des Festivals propose une restauration sur place. Ca tombe bien la pause repas s’impose. Une salade, un éclair, un café et c’est reparti ! La troisième séance de la journée était l’avant-première d’une comédie de Maxime Motte, réalisateur originaire du nord, COMMENT J’AI RENCONTRÉ MON PÈRE avec Isabelle Carré et François-Xavier Demaison.

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Elliot et Ava sont les parents adoptifs du petit Enguerrand. Ce dernier passe son temps à rêvasser le retour improbable de son père biologique décédé. Quand un jour, il découvre sur la plage un immigré fraichement débarqué, il reconnait en lui son père et le ramène chez lui. Elliot, toujours désireux de satisfaire son fils et de gagner sa reconnaissance accepte de le cacher. Il enchaîne maladresses sur maladresses pour tenter d’aider Kwabéna avec l’aide de son père (Albert Delpy), tout aussi irresponsable que lui.

Les nombreux rebondissements sont assez réjouissants et donnent lieu à des scènes bien rythmées et des personnages hauts en couleur. COMMENT J’AI RENCONTRÉ MON PÈRE est une comédie plutôt réussie qui parvient à nous amuser tout en abordant des sujets graves comme celui du sort des migrants ou de la quête d’origine. Un feel good movie à ne pas bouder !


Notre première journée s’est terminée en beauté avec le ciné-concert de LE FANTOME QUI NE REVIENT PAS de Abram Broom, film muet russe de 1929, programmé dans les « films d’évasion ». Le film était mis en musique et interprété devant les festivaliers par de jeunes musiciens de la région sur une composition improvisée collectivement, et orchestrée par Jacques Cambra.

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L’histoire se situe dans une prison panoptique où sont incarcérés des prisonniers condamnés à perpétuité. José Real en fait partie depuis dix ans mais lorsqu’il incite les autres à se révolter, le directeur de la prison décide de lui accorder une journée de liberté que lui octroie la loi pour l’abattre. José part en route pour retrouver les siens mais le chemin est long et plein d’embûches.

Il y aurait beaucoup à dire sur ce film méconnu et néanmoins d’une puissance visuelle étonnante. La scène de début où les prisonniers se révoltent est d’une modernité absolue tant dans la mise en scène, que le découpage et les plans choisis. Ceux de la femme de José courant annoncer à tout le village le retour de son mari sont également renversants. La caméra la précède, tout aussi chancelante qu’elle. Les choix de cadrage et de décor (le directeur de la prison difforme ressemble à un cafard minuscule sur son fauteuil démesurément grand pour lui) comme les effets utilisés (dont le célèbre effet Koulechov) traduisent formidablement les différentes notions d’espace abordées, de la captivité impitoyable aux grands espaces prometteurs de liberté. Dehors comme dedans, José est poursuivi par ses fantômes, réels ou oniriques. LE FANTÔME QUI NE REVIENT PAS est un film d’une force inouïe. Un grand film à découvrir absolument !


Jeudi 10 novembre : J7 du Festival
Un beau soleil ce matin illumait la ville d’Arras, vite balayé par une pluie diluvienne. Pas grave étant donné le programme de la journée qui se déroule principalement dans les salles obscures et au Village des Festivals sur la Grand place pour les conférences de presse, les pauses cafés ou déjeuner, les rencontres avec les festivaliers et les concerts du soir.

La première projection du jour était on ne peut plus réjouissante puisqu’il s’agissait du film d’Edouard Baer, OUVERT LA NUIT. Le film raconte la folle nuit de Luigi (interprété par Edouard Baer), directeur d’un théâtre à la dérive faute de moyens. Une nuit pour trouver de l’argent et payer les salaires de ses techniciens qui menacent de grève, un singe pour la première du lendemain et avant tout regagner la confiance de ses collaborateurs. Il embarque dans son épique traversée de Paris la stagiaire de Sciences Po (Sabrina Ouazani) aussi droite que lui est désinvolte.

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Luigi est agaçant autant qu’il est touchant. Mondain un peu cynique, il est aussi capable d’aider les autres, de s’entourer de belles personnes dévouées dont sa collaboratrice et meilleure amie Nawel (Audrey Tautou) ou d’un grand metteur en scène japonais. Car Luigi envisage la vie comme une suite d’aventures inconnues, de possibles surprises, de hasards heureux et sait rester positif coûte que coûte. Irresponsable, flegmatique, immature ou simplement perdu ? Exubérant et volubile, Luigi prend la vie telle qu’elle vient, s’arrête boire des coups dans des bars, parle à tout le monde et parvient à ses fins. Il charme et rebute mais toujours rassemble. Sa déambulation nous fait traverser des bars à l’ambiance enflammée, la maison montreuilloise de Marcel et sa grande famille, un zoo et nous embarque au milieu d’une galerie de personnages rocambolesques (le regretté Michel Galabru, Lionel Abelansky, Grégory Gadebois pour ne citer qu’eux). C’est foutraque, drôle, touchant et clairement réjouissant. La rencontre presse s’annonce bien !


Changement de registre avec la deuxième séance presse de la matinée enchaînant la précédente : UNE VIE de Stéphane Brizé présenté en avant-première et dans le cadre d’un hommage rendu au réalisateur. Adapté du roman éponyme de Guy de Maupassant, UNE VIE retrace l’histoire de Jeanne (formidable Judith Chemla) de son mariage avec Julien de Lamare (Swann Arlaud) à sa fin de vie.

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Jeanne a hérité du Château normand de ses parents où elle s’installe avec son mari Julien. Très vite elle découvre ses travers, son avarice et surtout ses infidélités. Elevée par des parents aimants (Jean-Pierre Daroussin et Yolande Moreau), elle a appris à pardonner et accepte le retour de Julien auprès d’elle. Elle qui est pure et ne conçoit que la vérité se retrouve à vivre au coeur même du mensonge. Lorsqu’elle découvre que Julien la trompe avec sa fidèle amie Madame de Fourville (la trop rare Clotilde Hesme), elle est anéantie mais ne se décide pas à l’avouer à Monsieur de Fourville pour lui épargner sa peine. Il l’apprend malgré tout et élimine les amants adultères avant de se suicider. Jeanne se retrouve seule avec ses parents, son fils Paul étant envoyé en internat.

UNE VIE se situe du point de vue de Jeanne et filme les personnages au plus près, ne laissant rien au hasard, ni le vent sur les feuillages, ni une mèche de cheveu qui retombe, avec une délicatesse chère à Stéphane Brizé. Magnifiquement éclairé par Antoine Héberlé, UNE VIE traduit avant tout l’extrême solitude des êtres, la simplicité des gestes qui se rejouent à l’infini, la fatalité des actes qui se suivent avec ironie et l’inexorabilité du temps. La vie de Jeanne est faite de souffrance mais aussi de joies que le cinéaste fait surgir dans des flash backs muets comme autant de fulgurances. Jeanne se raccroche à la douceur de ses souvenirs les plus beaux comme sa mère Adélaide se raccroche à ses souvenirs passés en relisant ses lettres. Ainsi revoit elle son fils Paul devenu un jeune homme dilapidant toute sa fortune sous les traits du petit enfant rouquin qu’elle promenait en bord de mer, ou Julien comme l’homme qui lui promettait de l’aimer toute sa vie. UNE VIE est une ode à l’amour inconditionnel, à la quête de vérité, à la pureté de l’âme et des rêves. Un film magnifique à ne manquer sous aucun prétexte !

A 16h30 commence une autre projection de la sélection « films d’évasion », véritable chef d’oeuvre du cinéma français, LA GRANDE ILLUSION de Jean Renoir. Immanquable même si on l’a vu des dizaines de fois ne serait-ce que pour le découvrir sur grand écran.

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Nous sommes en pleine guerre avec l’Allemagne en 1916. Maréchal (Jean Gabin) et le Capitaine de Boeldieu (Pierre Fresnay) sont retenus prisonniers en par le Capitaine Von Rauffenstein (Erich Von Stroheim) qui les traite avec le plus grand soin. Ils sont ensuite transférés dans un autre camp de prisonniers où ils rencontrent d’autres compatriotes dont Rosenthal, un lieutenant qui partage tous ses colis de nourriture avec ses nouveaux comparses. Ensemble ils creusent un tunnel pour s’évader mais le jour de leur tentative, ils sont à nouveau transférés dans une forteresse tenue par Von Rauffenstein. Leur désir d’évasion reprend et Boeldieu met en place un plan pour assurer cette seconde tentative.

LA GRANDE ILLUSION est l’un des plus beaux films de camaraderie, de solidarité et d’intégrité qui existe. Jean Renoir au sommet de son art rend hommage aux trois fondements de la devise républicaine en s’attachant à réunir des personnages de classe sociale différente mais unis par le même désir de liberté et de fraternité. La scène du spectacle bousculée par la nouvelle de la bataille de Douaumont où tous se mettent à chanter la marseillaise est tout simplement bouleversante tout comme la scène qui succède où Gabin enfermé au cachot explose en colère d’une façon effroyable. Gabin est incroyablement juste et touchant, très beau aussi dans ce plan en plongée, ses yeux bleus semblant déjà dériver vers la folie. Le maton allemand lui tend alors des cigarettes et un harmonica et on entend en off Gabin jouant l’air de « Froufrou ». Dans une autre scène, ils reçoivent des malles d’habits de femmes et se ruent dessus pour imaginer leur spectacle et pour rêver un temps à la présence d’une femme. « Arrête tu vas nous enlever l’imagination“ dit Maréchal. Le silence saisissant quand l’un d’entre eux réapparait déguisé en femme est inoubliable. Les acteurs livrent des performances inoubliables elles aussi (n’oublions pas Carette et Marcel Dalio). Un des plus beaux films qu’on ne se lassera jamais de revoir.


Une tarte chèvre basilic et une bière avant d’attaquer la dernière séance de cette deuxième journée : un film en compétition européenne dont le jury est présidé par Jean-Pierre Améris, ANNA’S LIFE de la georgienne Nino Basilia.

Anna, mère célibataire élève seule son fils autiste Sandro. L’établissement spécialisé qui accueille Sandro coûte cher et Anna enchaine les petits boulots pour arriver à survivre. Son projet : émigrer aux Etats Unis pour enfin s’en sortir. Mais la course au visa s’avère un calvaire, le salaire d’Anna étant jugé trop faible pour le consul et trop élevé pour obtenir des aides. Elle rencontre Otto qui lui propose moyennant beaucoup d’argent de lui fournir un visa. Anna fera tout son possible pour réunir la somme jusqu’à faire des choix discutables.

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ANNA’S LIFE est un film fort sur la condition des femmes qui paient cher leur désir d’indépendance. Anna rencontre de nombreux obstacles et tente de les dépasser un à un même lorsque c’est elle qui les provoque. Car comment ne pas craquer ou se tromper en situation de désespoir ? Quelle force faut-il trouver en soi pour continuer à avancer ? La mise en scène est soignée tout comme les cadres aux profondeurs de champ très dessinées tel ce plan d’Anna en arrière plan dans son lit. L’actrice principale (Eka Demetradze) y est épatante. Un premier film réussi.


 Vendredi 11 novembre : J8 du festival
Grand soleil ce matin sur Arras où l’on a pu entendre les cloches tinter en ce jour du 11 novembre. Les ruelles n’étaient pour autant pas désertes et les nombreux festivaliers réunis malgré le froid sur la place du Beffroi où se jouait un spectacle de rue ambiance chevaliers des temps modernes et combat à l’épée.

Direction le Cinemovida pour une première séance de la sélection « Visions de l’est », NIGHT’S LIFE du slovène Nocno Zivljenje. Basé sur un fait divers, le film retrace en quasi temps réel les minutes succédant la découverte par trois jeunes en vélo du corps gisant et nu de Milan, un avocat impliqué en politique. L’ambulance arrive, procure des premiers soins avant d’alerter la police et de l’emmener à l’hôpital bientôt rejoint par sa femme Léa avertie du drame. L’homme a été grièvement mordu par des chiens et dans les pièces à conviction se trouve un gode miché.

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La temporalité réaliste du film nous saisit et nous embarque au coeur d’une sombre histoire jamais élucidée. Le cinéaste convoque l’imaginaire du spectateur en ne donnant jamais de réponse. Léa comme le collègue de Milan craignent que la presse ne s’empare de l’affaire. Quelles sont leurs raisons ? Léa en sait-elle plus qu’elle ne l’affirme ?

S’appuyant sur une mise en scène très maitrisée, NIGHT’S LIFE dérange et secoue en ne s’attachant qu’à filmer ces minutes avec un souci réaliste percutant. Un film puissant qui montre que les réponses ont parfois moins d’intérêt que les questions.


Un repas sur le pouce au Village du Festival avant la prochaine séance du film de Marco Bellocchio, FAIS DE BEAUX REVES, présenté en avant-première. Massimo perd subitement sa mère d’une soi disant crise cardiaque foudroyante. L’enfant grandit et devient journaliste sportif mais reste néanmoins torturé par cette disparition jamais éclaircie.

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On ne présente plus le cinéaste italien Marco Bellocchio, auteur de Les poings dans les poches, Le sourire de ma mère ou encore Vincere. FAIS DE BEAUX REVES ne tient malheureusement pas les promesses de mise en scène à laquelle le cinéaste avait pu nous habituer. Le récit traverse les différentes périodes de vie de Massimo (Valerio Mastandrea) de façon déconstruite et sans pertinence apparente. On passe de l’enfance à l’âge adulte et inversement avec davantage l’impression de tourner en rond que d’avancer, puisqu’au final ne reste qu’une seule et même question à résoudre pour Massimo : comprendre réellement comment est morte sa mère. Nous sommes du coup laissés à distance et chaque scène qui relate un évènement différent de la vie de Massimo semble vain et presque inutile.

Loin d’être une fresque, le film fait des digressions qui sonnent creux et qui ne s’inscrivent pas réellement dans le récit comme les scènes où Massimo part en Bosnie en grand reporter ou son aventure avec Bérénice Béjo auquel on a du mal à croire. Le sommet de ces flash backs d’enfance réside dans une scène où Massimo ado se retrouve chez l’un de ses amis, accueilli par une mère envahissante (Emmanuelle Devos) dont la présence ne fait que raviver l’absence de sa mère disparue. Elle se met à entonner « Colchique dans les prés“, ce qui laisse Massimo rêveur. N’y avait-il pas de conseiller musical dans le budget du film pour éviter cette scène aussi absurde que ridicule ?

On notera malgré tout quelques beaux moments, notamment les scènes avec Massimo enfant formidablement interprété par Nicolo Cabras. Un film décevant qui ne laissera pas un souvenir impérissable dans cette édition 2016.


Petit tour sur la place du Beffroi histoire de profiter des derniers rayons de soleil hivernal avant de s’enfermer à nouveau en salles et découvrir le film israélien de Asaph Polonsky UNE SEMAINE ET UN JOUR programmé dans la section « Cinémas du monde ».

Cette comédie douce amère aborde le sujet du deuil en relevant le pari de rester léger et grave à la fois. Le film se déroule le temps d’une journée, celle qui suit Shiv’ah (les 7 jours de deuil de la tradition juive). Alors qu’ils viennent d’enterrer leur fils unique, Elyal et Vicky (Shai Avivi et Evgenia Dodina) doivent continuer d’avancer, retourner travailler, gérer les dernières formalités liées aux obsèques. Mais plutôt que de s’atteler à ses taches, Elyal, sorte de Ben Stiller version grisonnante, s’accorde une dernière journée d’errance et se rend à l’hôpital récupérer la couverture de son fils décédé Ronnie. Pas de couverture mais à la place un sac de marijuana médicinale. Eyal essaye en vain de rouler un joint et finit par solliciter le fils de ses voisins avec lesquels il est fâché. Cette première journée s’annonce donc un peu chaotique, salvatrice et donne lieu à des scènes aussi cocasses qu’émouvantes.

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En abordant la question du deuil, UNE SEMAINE ET UN JOUR soulève d’autres questions. Comment peut-on apprendre à revivre à nouveau ? Quel temps s’accorder pour peu à peu se relever ? Comment renouer avec ceux qui restent ? Un film poétique, drôle et touchant.


Trente minutes de courte pause avant la deuxième séance « Visions de l’est » de la journée avec le film du tchécoslovaque Ivan Passer, ECLAIRAGE INTIME réalisé en 1965.

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Petr passe le week end chez Bambas, un de ses amis musiciens comme lui, pour donner un concert dans une petite ville de Bohème. Filmé dans des décors naturels avec des acteurs non professionnels, ECLAIRAGE INTIME dresse le portrait de gens ordinaires avec un ton qui oscille entre burlesque et documentaire. Ivan Passer filme tous les petits gestes, les repas, les pleurs, les chamailleries, les retrouvailles. C’est simple et beau. Souvent drôle aussi comme la scène de fou rire de Stepa ou la répétition des quatre amis musiciens. « C’est plus facile de pleurer que de rire » dit l’un d’eux. Les deux ne sont jamais bien loin chez Passer. Un des films référence de la Nouvelle vague tchèque.

Comme tous les soirs, un concert nous attendait au Village après les dernières projections : une fanfare qu’on avait déjà croisée itinérante dans les rues d’Arras pendant la journée et qui est apparue comme un joli clin d’oeil au film d’Ivan Passer !

Au final cette 17ème édition du Arras Film Festival nous aura séduit par sa belle programmation qui traduit toute la diversité du cinéma français, européen et international. L’occasion aussi de revoir des classiques dans des copies magnifiquement restaurées et de confirmer le talent des cinéastes de d’Europe de l’est. On retiendra aussi le formidable accueil que nous ont réservé l’équipe et ses nombreux bénévoles. Vivement l’édition 2017 !

BETRAND TAVERNIER, l’homme qui aimait les films

A l’instar d’un autre grand réalisateur-cinéphile, Martin Scorsese, Bertrand Tavernier nous livre avec Voyage à travers le cinéma français un document exceptionnel qui revisite cinquante ans de cinéma français en suivant le fil de sa cinéphilie. Après son livre “50 ans de cinéma américain“, véritable bible des cinéphiles, il était donc légitime que Tavernier se penche sur le cinéma français pour lui rendre un vibrant hommage et continuer ce qu’il a toujours fait : défendre et réhabiliter les cinéastes qui le touchent dont certains parfois oubliés, voire reniés. Le film déjà présenté à Cannes en mai dernier à Cannes Classics sort en salles le 12 octobre et c’est la promesse de trois heures de bonheur pur. Pas de quoi se priver !

Bertrand Tavernier est peut être l’un des derniers grands conteurs et amoureux du cinéma. De ceux qui peuvent vous raconter un film de sa genèse à ses moindres répliques en passant par l’analyse de ses plans et les anecdotes croustillantes du tournage. Tavernier est né à Lyon, berceau du premier film de l’histoire du cinéma signé les Frères Lumières (il est d’ailleurs président de l’indispensable Institut Lumière que dirige son complice Thierry Frémaux). Alors signe prémonitoire de sa passion pour les films ? Si Lyon jouera toujours un rôle important dans sa vie, c’est à Paris que ce cinéphile passionné commence ses débuts auprès de Jean Pierre Melville dont il est l’assistant “médiocre“ et qui lui conseillera de changer de métier. Quinze minutes plus tard, après un coup de fil de recommandation de Melville à Beauregard, Tavernier devient attaché de presse chez Rome-Paris Films, société co-fondée par Carlo Ponti. Beauregard vient de financer l’audacieux A bout de souffle et fort de ce succès inédit, produit d’autres jeunes cinéastes tel Jacques Rozier, Claude Chabrol, Jacques Demy, Agnès Varda ou Jacques Rivette.

Avec ses amis Bernard Martinand et Yves Martin, ils fondent un ciné club, le Nickel Odéon, et projettent des films introuvables et parfois improbables. Il contribue à réhabiliter des réalisateurs majeurs tel Delmer Daves, André De Toth ou Abraham Polonsky. Tavernier et ses camarades dénichent des bobines de films jamais montrées jusqu’alors. Loin des querelles de chapelles qu’il déteste, Tavernier est un “orpailleur“ de films, tous genres confondus. Plus tard à l’Institut Lumière, il diffusera des films trop méconnus (on lui doit d’avoir permis de redécouvrir les films de Michael Powell et Pressburger entre autres) et co-éditera plusieurs ouvrages d’entretiens qui à eux seuls constituent une bonne partie de la mémoire du cinéma. On se souvient évidemment aussi de son film Laissez-passer, fresque sur le cinéma sous l’occupation où il rend hommage à tous ces réalisateurs, scénaristes, artisans qui ont continué à faire des films pendant la guerre sous l’oeil des allemands. Nombre d’entre eux ont été (trop) vite balayés par la Nouvelle Vague et Tavernier s’est toujours insurgé contre cette idée, lui qui a d’ailleurs collaboré avec des scénaristes “bannis“ comme Jean Aurenche et Pierre Bost.

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Bertrand Tavernier est encore jeune quand il éprouve l’un de ses premiers chocs cinématographiques en le film de Jacques Becker, Casque d’or avec la lumineuse Simone Signoret. De Falbalas au Trou en s’arrêtant à cette formidable scène “purement française“ de Touchez pas au Grisbi où Gabin en pyjama propose une brosse à dent à son acolyte, Tavernier évoque ce cinéaste avec beaucoup d’émotion et rappelle combien Becker était un grand metteur en scène, celui de sa génération qui a peut être le mieux compris le cinéma américain et son sens du rythme à l’image d’un Lubitsch ou d’un Hawks.

“Loin d’être une leçon de cinéma académique, Voyage à travers le cinéma français est probablement l’un des films les plus personnels de Bertrand Tavernier et un hommage émouvant au septième art.“

Son second choc est La grande illusion de Jean Renoir avec le même Gabin à qui il rend un très bel hommage. Il a rencontré Gabin à la fin de sa vie et loue son talent d’acteur capable de tout interpréter contrairement à ce qu’on a pu dire. Il incarnait véritablement ses personnages, jusqu’à adopter la justesse de leurs gestes, de leur rythme. Il raconte aussi que dans Le chat de Granier-Deferre aux côtés de Simone Signoret, Gabin, qui préservait son coeur et refusait de monter les escaliers, les monta en hors champ tandis que la caméra était sur le visage de Simone et lui demanda après la prise « Ca t’a aidé pour le regard ?“.

Des histoires comme ça, le film de Bertrand Tavernier en regorge. A propos de Jean Renoir à qui il consacre un chapitre entier, Tavernier raconte que ce dernier se mit dans une colère terrible lorsque son chef op souhaita déplacer Jean Gabin pour une histoire de lumière. “Ce n’est pas Monsieur Gabin qui doit bouger, c’est vous qui devez aller chercher la lumière sur lui !“. S’il analyse la perfection de mise en scène de Renoir, ses profondeurs de champ et son génie à filmer des scènes impliquant beaucoup de personnages, il dévoile aussi une partie plus sombre du réalisateur au moment de son exil américain, le côté “pute“ qu’évoque Gabin. Il n’hésite pas non plus à évoquer les célèbres colères de Jean-Pierre Melville, l’un de ses deux parrains de cinéma ni à avouer qu’il préfère ses adaptations plutôt que ses scénarii originaux. Il compare l’épure de Melville à celle de Bresson et magnifie la grâce de Léon Morin prêtreson film préféré de Melville (et l’un de mes premiers chocs cinématographiques).

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Les extraits s’enchainent avec une fluidité incroyable suivant le fil narratif et ô combien personnel de Tavernier, laissant place à la magie de certains plans, à l’émotion qu’ils suscitent et à l’analyse qu’il en fait. Son voyage fait escale chez Marcel Carné (je vous laisse découvrir comment le célèbre dialogue d’Arletty et sa gueule d’atmosphère est né, c’est hilarant), Jean Sacha, Jean Vigo, Julien Duvivier, Robert Bresson, Max Ophuls, René Clair, Henri Decoin, Gilles Grangier, Edmond T. Gréville à qui il offrira avec ses camarades du Nickel Odéon, sa tombe quand celui disparait brutalement sans un sou. Tavernier évoque aussi Jean-Luc Godard, l’autre enfant de la Libération et de la Cinémathèque d’Henri Langlois. Tavernier a d’abord été attaché de presse pour Godard. C’est d’ailleurs lui qui amène Samuel Fuller dans le film Pierrot le fou. Lui aussi qui à l’idée d’inviter Aragon, que son père René Tavernier ancien résistant avait hébergé pendant la guerre, à une projection de Pierrot le fou. Aragon écrira : “Je ne voyais qu’une chose, une seule, et c’est que c’était beau. D’une beauté surhumaine. Physique jusque dans l’âme et l’imagination.“

Bertrand Tavernier n’est pas qu’une encyclopédie du cinéma, c’est aussi un fervent amateur de musique. Il convoque dans son film Joseph Kosma, Miles Davis, Georges Delerue mais surtout Maurice Jaubert le compositeur de René Clair et de la magnifique partition de L’ Atalante de Jean Vigo, disparu très jeune tout comme ses enregistrements aujourd’hui introuvables. Il faudra attendre Adèle H. pour que François Truffaut réorchestre et ressuscite cette partition.

Ce premier volet s’achève par un hommage absolument bouleversant à son ami et deuxième parrain de cinéma, Claude Sautet. Il le rencontre sur Classe tous risques, lorsqu’il travaille chez Rome-Paris Films. Bertrand Tavernier souligne le talent de Sautet pour révéler la vérité de ses personnages ainsi que sa capacité à réunir des acteurs au jeu pourtant très différent que sont Lino Ventura et Jean-Paul Belmondo. Souvent taxé à tort de faire un “cinéma de papa“, Sautet était aussi un “ressemelleur“ de scénarios pour reprendre le mot de Truffaut. Tavernier continuera d’ailleurs toujours de le consulter pour ses propres films. Lors du montage de Capitaine Conan, Sautet dira à Bertrand : « Si tu touches un seul plan de ce montage, je ne te parle plus ».

On ressort rempli, ému de ce voyage qui fourmille d’évocations sensibles, d’histoires passionnantes, d’analyses brillantes. Loin d’être une leçon de cinéma académique, Voyage à travers le cinéma français est probablement l’un des films les plus personnels de Bertrand Tavernier et un hommage émouvant au septième art. Et bonne nouvelle, le générique de fin promet une suite (apparemment neuf heures de bonheur en plus nous attendent) ! Vivement le prochain voyage !