JEUNE FEMME : un portrait de femme percutant, fantasque et revivifiant

Caméra d’or à Cannes, Jeune femme dresse le parcours initiatique de Paula d’animal sauvage à femme libre dans un Paris où elle n’est pas la bienvenue. Un film signé Léonor Serraille, une cinéaste à suivre résolument.

Fraichement débarquée à Paris après des années au Mexique, Paula se retrouve à la porte de chez son amant (son ancien professeur et artiste renommé). Le premier plan de Jeune femme annonce la couleur : filmée de dos, Paula (époustouflante Laetitia Dosch) cogne de toutes ses forces sur la porte jusqu’à tomber à la renverse et se blesser à la tête. Le plan d’après, on la retrouve face caméra, un pansement sur le front, dans une sorte de monologue en roue libre où elle passe par toutes les émotions. Le médecin qui la reçoit cherche juste à comprendre si elle se met en danger et s’il doit ou non l’interner pour dépression nerveuse. Car oui, la colère comme la détresse effraye dans notre monde où il est plus facile de condamner quelqu’un à l’enfermement que de le laisser craquer à un moment où il est impossible de faire autrement. Paula n’a plus rien, ni argent, ni logement, ni amis. Elle n’a que le chat de son ex qu’elle trimballe dans un carton en errant dans le quartier Montparnasse en quête de renouveau.

Bien sûr au début on pense à Sue perdue dans Manhattan d’Amos Kolek. Mais très vite l’énergie débordante et la spontanéité de Paula nous fait basculer du côté de la vie, coûte que coûte. Paula ne renonce jamais, erre dans les rues avec son manteau couleur brique jusqu’à retrouver un logement (une chambre de bonne en échange de garde d’enfant), un boulot de vendeuse de lingerie, et avant tout sa liberté de femme. Sur son chemin elle croise un vigile sur-diplômé, une lesbienne qui la reconnait comme son amie d’enfance, une femme médecin fragile et déconcertée et son ex qui revient vers elle en rampant quand il la sait enceinte. Paula avec son franc-parler est aussi capable de mensonges lorsqu’il s’agit de sauver sa peau et son « boulot de merde » qui elle, lui convient bien. Elle s’adapte, grandit, gagne en sérénité mais ne se renie jamais. Déjantée et imprévisible, Paula parvient même à rendre son sourire à Lila, la petite fille boudeuse dont elle s’occupe, quitte à se faire virer par la mère qui n’apprécie pas de voir sa file trainer dans les centres commerciaux à se gaver de barbe à papa. Pas grave, Paula comme son chat, retombe sur ses pattes et décide pour elle la vie qu’elle se choisit, promenant sa solitude dans une ville « qui n’aime pas les gens ».

Léonor Serraille s’agaçe quand on la taxe de faire un « film de femmes ». Pourtant, les femmes sont partout dans Jeune femme. Derrière la caméra, à la musique, au montage et bien sûr devant la caméra où l’on retrouve la trop rare et excellente Nathalie Richard qui joue la mère de Paula, Léonie Simaga (qu’on avait découvert dans Trépalium) ou encore Audrey Bonnet (Personal shoper d’Olivier Assayas, De la guerre de Bertrand Bonello).

Laetitia Dosch est de tous les plans, effaçant presque les autres personnages par sa présence charismatique et ses yeux vairons (et bipolaires), et Léonor Serraille livre un film tour à tour drôle, émouvant et libre, véritable hymne aux excentriques et aux losers qui n’ont pas dit leur dernier mot. Bonne nouvelle : Léonor Serraille à l’instar de ces femmes cinéastes, Rachel Lang et son formidable Baden Baden, Justine Triet (Victoria, La bataille de Solférino où on avait pu découvrir Laetitia Dosch) ou encore Marie Dumora et sa Belinda décapante n’ont pas dit leur dernier mot non plus.

Date de sortie : 1er novembre 2017
Distribution : Shellac
Durée : 1h37