ARRAS FILM FESTIVAL : Chris the swiss, Sunset et The reports on Sarah and Saleem

Pour la troisième année consécutive, je me rends au Arras Film Festival pour sa 19ème édition. Rendez-vous cinéphilique de la région Hauts de France désormais incontournable, le Arras Film Festival a démarré le 2 novembre et se prolonge jusqu’à dimanche prochain. Retour sur cette première journée.

CHRIS THE SWISS d’Anja Kofmel

Cette année la sélection Découvertes européennes offre un focus sur le cinéma d’animation et ce matin nous avons pu découvrir le film de la suissesse Anja Kofmel, Chris the swiss. Le film a déjà été présenté au dernier Festival d’Annecy et est sorti en salles début octobre. Anja Kofmel est encore une enfant quand elle apprend le décès de son cousin Christian, grand reporter de guerre, parti en Croatie couvrir la guerre d’ex-Yougoslavie.

Sous forme d’enquête journalistique mêlant l’animation noir et blanc aux images d’archives, Anja Kofmel tente de trouver des éléments de réponse à l’assassinat de son cousin. Partant des carnets de notes de Christian, elle retrace son parcours de son engagement à 17 ans dans l’armée sud africaine à son départ en Croatie à 26 ans. Là ils rencontrent d’autres grands reporters et depuis l’hôtel Continental, ils observent une guerre abominable. Parmi ses collègues, Christian se lie d’amitié avec Chico, un bolivien qui troque son brassard de presse pour celui de mercenaire volontaire, rattachés à l’Opus Dei et l’extrême droite. Qu’est donc allé faire Christian auprès de ce groupuscule ? Chris the swiss sonde un passé ambigu où de nombreuses questions restent sans réponse. Au delà de cette investigation familiale, Anja Kofmel imagine ce qu’a été cette guerre et ses dessins magnifiques sont un reflet à la fois onirique et percutant de l’ineffable horreur des guerres et de l’impact irréversible qu’elles ont sur les Hommes. Un film qu’on imagine ô combien cathartique pour son auteur.

THE REPORTS ON SARAH AND SALEEM de Muayad Alayan

Inspiré d’une histoire vraie, The reports on Sarah and Saleem est le récit d’un adultère entre une israélienne et un palestinien aux conséquences dramatiques pour leurs familles. Sarah est mariée à un colonel de l’armée israelienne. Elle tient un café quand elle n’est pas obligée de déménager pour la énième fois pour suivre son mari envoyé en mission. Saleem vit à Jérusalem avec sa femme Bissan, qui se refuse à lui craignant pour son bébé à naitre. Sallem est chauffeur livreur le jour et son beau frère lui propose de faire des livraisons de nuit dans les zones occupées pour gagner un peu plus d’argent. Lors d’une de ses tournées, Sarah l’accompagne mais alors qu’ils vont boire un verre ensemble, Saleem se retrouve impliqué dans une baston et dénoncé comme étant un potentiel terroriste.

Le scénario trop alambiqué est doublé d’une mise en scène laborieuse et un réel manque de rythme. Le film dure plus de deux heures et on peut dire qu’on les sent passer. C’est dommage, le sujet était intéressant mais le réalisateur ne parvient pas à nous atteindre, semblant trop s’efforcer de rendre une bonne copie et oubliant qu’un bon film c’est aussi avant tout un film traversé par la vie.

SUNSET de Laszlò Nemes, un film crépusculaire

En avant-première française exclusive, le dernier film de Laszlo Nemes était projeté ce soir après une présentation par le célèbre critique Michel Ciment, également invité dans le cadre de sa carte blanche. En guise d’introduction Michel Ciment évoque la fin du monde et le « pessimisme moral » comme fil conducteur à ces grands films de l’est de l’époque de la fin de l’empire austro-hongrois et précise que si le film n’a pas remporté de prix du jury,  il a en revanche remporté le prix de la critique (Fipresci) à la Mostra de Venise.

1913. Irisz Leiter revient à Budapest après des années éloignée de sa ville natale. Elle postule comme modiste dans le magasin de chapeaux que tenaient autrefois ses parents avant qu’ils ne périssent dans les flammes. On lui refuse la place déjà pourvue en l’invitant à quitter la ville mais lorsqu’elle découvre l’existence de son frère, elle se met en tête de le rechercher à tout prix malgré les rumeurs monstrueuses à son encontre. S’ensuit une quête sans fin dans une ville au bord du chaos.

Sunset ressemble à un mauvais rêve éveillé où les sourires auraient disparu des visages. Irisz (Juli Jakab) ne semble pas pouvoir s’échapper de ce huis clos dans lequel elle s’enferme elle-même. La caméra la suit de tout près pour ne plus la quitter. Sa nuque nous guide dans sa course effrénée, pour mieux nous dévoiler au détour de son chemin un arrière plan apocalyptique. Tout parait presque irréel et le regard déterminé mais apeuré du personnage renforce cette impression de fin du monde évoquée par Ciment. Le spectateur découvre dans un second temps ce qu’Irisz voit, créant ainsi un léger décalage certes haletant au début mais plus le film avance, plus ce procédé devient excluant. On finit par ne plus très bien comprendre les enjeux et il faut regarder Sunset en se laissant happer par l’atmosphère plus que par l’intrigue.

Sunset ressemble sur bien des points à son excellent film précédent, Le fils de Saul : un personnage prêt à tout pour arriver à leurs fins, une photographie sublime, une longue focale ouvrant sur des arrières plans flous et énigmatiques et une caméra subjective qui nous plonge dans l’intériorité du protagoniste. Pourtant, si le film est visuellement magnifique, on regrette de se lasser devant ce tourbillon de péripéties troubles. Sunset finit par ressembler à un rêve qui ne nous appartient plus.

Le fils de Saul, un film en apnée dans l’enfer des camps nazis

Auswitz-Birkenau. Saul est un déporté hongrois réquisitionné dans le sonderkommando autrement dit les unités de travail où certains prisonniers participaient de force à la solution finale. Peut-on imaginer plus machiavélique que de demander à des prisonniers de ramasser les corps de leurs propres frères pour les brûler, désinfecter les chambres à gaz, trier leurs affaires et annihiler la moindre trace de leur existence ? Peut-on tout simplement mettre en image cette infinie horreur ? László Nemes (ancien assistant de Bela Tarr) nous prouve que c’est possible avec ce premier film à la maitrise digne des plus grands metteurs en scène.

C’était pour le moins risqué de se lancer dans un énième film sur la Shoah. Car depuis Shoah le film de Lanzmann, on s’était dit qu’aucune fiction ne pourrait raconter la vie des camps de façon pertinente, fidèle et apportant une pierre à l’édifice de la mémoire collective de ce génocide.
Comment en effet une fiction pourrait-elle raconter le quotidien des camps après les mots de Primo Levi ? Comment avoir envie de reproduire les images que nous avons tous gravés en nous après Nuit et brouillard de Resnais ? Tout cela ne pourrait que sonner faux et pencher vers une reconstitution obscène et vaine. Ce n’est pourtant pas la première fiction sur le sujet (Spielberg, Benigni, Pakula pour ne citer qu’eux se sont emparés de cet épisode tragique).

L’intelligence de Nemes est de choisir un sujet original (un père qui tente d’offrir une sépulture à son fils mort) et de filmer en prenant le point de vue de son personnage. Le film est donc tourné en une suite de plans séquence où l’on suit Saul (formidable Geza Rohrig) dans ses tous ses gestes, ses déplacements. Une focale longue laisse deviner en arrière plan flou toute l’horreur des camps, des chambres à gaz, de leur aliénation de façon suggérée et presque plus éloquente que si elle nous était donnée à voir. Dans Le fils de Saul, on entend plus qu’on ne voit. Des cris, des beuglements allemands (« Arbeit », « Schneller », « Schweine »), des crissements, des coups, des bruits métalliques.

La force du film repose sur la façon que Nemes a de nous embarquer dans la course effrénée et absurde de Saul. On ne le quitte pas un instant dans cet enfer oppressant (le mot est faible), inhumain, désincarné. Les hommes transformés en silhouettes assujetties semblent malgré tout encore vivants. Saul leur rétorque qu’ils sont « déjà morts » mais certains résistent de manière organisée (ils préparent une mutinerie, d’autres prennent des photos pour témoigner de leur enfer). Et Saul résiste à sa manière en s’obstinant à vouloir enterrer le corps du garçon dans ce contexte concentrationnaire. Le flou titille notre imaginaire collectif mais aussi nos propres émotions, et nous plonge dans un état proche du personnage de Saul entre hallucination, temps annihilé, suffocation et chaos. Dans cette usine exterminatrice, le jour et la nuit se confonde, le travail ne s’arrête jamais et les cadavres se multiplient sans fin. On n’est plus sûrs de rien mais au moins d’une chose : un grand cinéaste est né.