SERIES MANIA, le festival 100% séries est de retour !

Pour la deuxième année consécutive le Festival Séries Mania entièrement dédié aux séries se tiendra à Lille du 22 au 30 mars prochain et je n’allais pas manquer ça !

Créé à Paris en 2010 par Laurence Herszberg l’ex directrice du Forum des images, le Festival présente en avant-premières les plus grandes séries du monde entier et accueille trois compétitions : officielle, française et formats courts. Un panorama international vient compléter la programmation ainsi que des nouvelles saisons inédites. Alors partants pour découvrir la programmation riche de 70 séries ?

La Compétition officielle

Parmi les dix films sélectionnés cette année, trois nous viennent du Royaume Uni : Baghdad Central de Stephen Butchard sur les évenements en Irak suite à la chute de Saddam Hussein, Chimerica de Lucy Kirkwood un polar géopolitique et le prometteur The Virtues de Shane Meadows (à qui l’on doit l’excellent This is England) qui dresse le portrait d’un homme dont les sombres souvenirs d’enfance ressurgissent. La bo est signée PJ Harvey et le personnage principal est interprété par le formidable Stephen Graham (Al Capone dans Boardwalk empire). Les Etats Unis sont quant à eux représentés par la série Netflix Chambers de Leah Rachel avec Uma Thurman qui nous fait l’honneur de sa présence à Lille où elle donnera également une masterclass. Chambers raconte l’histoire d’une femme ayant subi une transplantation cardiaque et qui se met à la recherche du passé de sa donneuse. Intrigant !

The virtues de Shane Meadows

La France n’est pas en reste avec deux séries, Eden de Dominik Moll, le réalisateur de Harry un ami qui vous veut du bien qui aborde le thème des migrants et Mytho de Fabrice Gobert, l’auteur des plebiscités Revenants, avec la talentueuse et trop rare Marina Hands et Mathieu Demy. Le titre parle de lui même.

Sont également représentés la Russie avec Identification de Valery Fedorovich et Evgeny Nikishov, Israël avec Just for Today de Nir Bergman et Ram Nehari, La Norvège avec Twin de Kristoffer Metcalfe et l’Australie avec Lambs of God de Marele Day.

Le jury de cette compétition est présidé par Marty Noxon la scénariste-productrice  de Sharps objects (HBO) et Dietland (AMC). Elle sera accompagnée par “The Good wife“ Julianna Margulies, l’actrice Audrey Fleurot, l’écrivaine Delphine de Vigan et le réalisateur Thomas Litli (Première année).

La compétition française

Au programme de cette compétition française, des séries explorant plusieurs genres : futuriste (Osmosis avec Agathe Bonitzer), fantastique (Une ile avec Laetitia Casta), apocalyptique (La dernière vague de Raphaëlle Roudaut et Alexis Le Sec), policière (Soupçons avec Julie Gayet et Double je) et enfin une comédie qui a l’air tout à fait réjouissante, Le grand bazar de Baya Kasmi co-écrit avec son binôme Michel Leclerc. On y retrouvera Grégory Montel (alias Gabriel de Dix pour cent) dans une histoire de famille mixte et recomposée.

Le grand bazar de Baya Kasmi

Les nouvelles saisons inédites

Vous êtes fans de The OA ou The Good doctor ? Séries Mania propose de découvrir en exclusivité les premiers épisodes des saisons à venir de ces deux séries cultes mais aussi ceux des séries françaises Irresponsable, Clem (la série de TF1) et Mission. Mais la vraie bonne nouvelle (en tout cas pour moi !), c’est la perspective de découvrir la saison 2 de la série britannique désopilante Fleabag qui sera bientôt adaptée en France et campée par Camille Cottin (qui décidément est partout !).

Panorama international

Pas moins de quinze séries du monde entier ont été retenues dans cette sélection qui dessine un beau paysage mondial des séries. Ainsi pourra t-on découvrir MotherFatherSon écrit par Tom Rob Smith, le scénariste de American story II (Gianni Versace), Success la série du croate Danis Tanović (No man’s land), le film israélien Asylum city, Les misérables revisités pour la BBC, une série coréenne d’horreur The guest et Monzon, série argentine tirée d’une histoire vraie sur un boxer célèbre dont la femme est retrouvée morte.

Une autre série anglaise a également attiré notre attention : Flack d’Anna Paquin (X-Men, True Blood). Flack met en scène une femme successful le jour, en vrac la nuit. Si elle excelle dans son job de chargée de relations publiques, Robyn a une vie personnelle proche du naufrage. Interprété par sa créatrice Anna Paquin, Flack rejoint la liste des séries drôles et sensibles autour d’un portrait de femme sans fard.

Flack d’Anna Pakin

Rencontres et autres réjouissances

Et ce n’est pas tout ! Le Festival Séries Mania propose aussi une nuit Game of Thrones avec la diffusion d’un épisode phare de chaque saison, un “Best of USA“ où l’on pourra voir des épisodes de Sharp objects de Jean-Marc Vallée, The twilight zone, Black Monday, Warrior, I am the Night de Sam Sheridan ou la série d’Amazon Homecoming avec Julia Roberts. Les fans de Twilight zone auront même la surprise de pouvoir rencontrer Adam Scott, présent pour l’occasion.

Côté rencontres, Séries Mania nous gâte. Les invités d’honneur de cette édition ne sont autres que Uma Thurman (la classe !), Freddie Highmore (Bates hotel et The good doctor), Eric Rochant et Hugo Blick pour un dialogue croisé sur les séries d’espionnage et Yves renier (célèbre Commissaire Moulin) qui présentera Pour tout l’or du Transvaal.

Une édition très prometteuse donc qui n’oublie pas les professionnels avec  SERIES MANIA FORUM. Rappelons que ce festival est ouvert au public et entièrement gratuit. Vivement le printemps qui cette année sonnera le début des festivités !

Tous les détails à retrouver sur le site de SERIES MANIA

RENCONTRE AVEC BERTRAND TAVERNIER

(c) Max Rosereau

Il est arrivé mardi dernier à l’hôtel où se tenait la conférence de presse avec sa démarche si singulière, son allure un peu gauche, ses bras pendant le long du corps et son écharpe bleue assortie à sa tenue. Bertrand Tavernier nous touche d’emblée peut être parce qu’il semble pouvoir vaciller à chaque instant. C’est son côté Gary Cooper, fort et fragile à la fois. Il s’est assis, attendant nos directives, a commandé un thé et s’est immédiatement mis à parler pour combler les quelques secondes de trouble que provoque son arrivée. Car Bertrand Tavernier impressionne, intimide. J’ai travaillé à ses côtés pendant quatre années ce qui me donne une longueur d’avance pour le décrypter. Je sais donc aussi qu’il peut facilement s’irriter face aux questions ou remarques ineptes. Aussi doux, tendre, attentionné envers ses collaborateurs que fougueux, passionné et parfois colérique, Bertrand Tavernier est imprévisible. Généreux aussi. Il aime partager ses coups de coeur (disques, livres, dvds) comme les spécialités culinaires et autres friandises qu’il ramène au fil de ses voyages et distribue à qui se trouve sur son chemin. C’est un peu d’ailleurs ce qu’il fait avec ce Voyage à travers le cinéma français en partageant avec nous les films qui l’ont marqués. Bertrand Tavernier aime raconter, défendre les films et pourrait parler sans s’arrêter, multiplier les digressions. .J’avais le droit à une demi heure en tête à tête. C’est beaucoup (et pas assez). J’aurais aimé évoquer avec lui tant d’autres films, les siens comme ceux des autres. Retour sur mon entretien avec lui.

On a l’impression que tu portes ce film depuis toujours. Y a-t-il eu un élément déclencheur, une urgence de transmission ? Qu’est ce qui a été possible ou différent et qui ne l’était pas avant ?

J’avais eu une ou deux fois une proposition de la BBC mais je n’arrivais pas à trouver l’angle. Et puis il y avait cette contrainte de format (52’) qui me paraissait impossible. C’est en me disant qu’il fallait que j’en parle de façon personnelle que petit à petit le projet a grandi dans ma tête et s’est imposé. Je ne peux pas dire s’il y a eu un élément déclencheur sinon que cela devenait une urgence car je voyais des institutions chargées de diffuser, de protéger ou de vanter le patrimoine qui ne le faisaient plus, qui abandonnaient leurs taches et qui traitait ça de la même manière que quand avec Thierry (Frémaux) on voulait monter le projet du Festival Lumière. On nous rigolait au nez en nous disant : “vous revenez au temps du ciné club“. Ce Festival est aujourd’hui un énorme succès et je me suis dit qu’il fallait y aller car ce cinéma français n’était pas dépassé, qu’il était très divers, bourré d’énergie de vitalité, de passion et que je pouvais en parler à travers des bouts de ma vie. La conjonction de tout ça est devenue imparable.

Le cinéma chez toi pourrait être une histoire sans fin. Une suite pour la télévision est attendue. Comment as tu dessiné les contours de ce voyage qui n’est ni chronologique ni exhaustif ? Où l’arrête-t-on ?

C’est très difficile. Je savais que j’avais envie de démarrer avec le sanatorium ce qui me faisait partir de Jacques Becker et de mon premier choc, Dernier atout, que j’ai mis 30 ans à identifier. Après, c’est le fruit d’un énorme travail avec des liaisons qui se sont imposées naturellement, de Becker on est arrivé rapidement à Renoir puisque je les ai découverts à peu près en même temps. Ensuite il a fallu jongler, faire plein d’essais et abandonner certains quand on se rendait compte qu’ils ne s’ancraient pas dans la dramaturgie. Et je ne parle pas ici des films qu’on a du abandonner faute de matériel ou de problèmes de droits d’auteur.

falbalas
Falbalas de Jacques Becker

Choisir c’est renoncer. N’y a t-il pas des frustrations ou des regrets à ne pas être exhaustif dans ses coups de cœur quand il s’agit de transmettre et de partager comme tu le fais ?

Je pensais toujours qu’il y aurait une suite derrière, on en avait parlé très tôt avec les producteurs. Je savais donc que je pouvais compter sur la série (NB : une suite de huit épisodes pour la télévision est attendue) qui je le rappelle ne sera pas une version longue du film mais une prolongation. Donc je savais qu’en éliminant Max Ophuls, Guitry ou Pagnol, je pourrais leur consacrer une autre place ailleurs. C’est la dramaturgie qui a imposé l’élimination de certains, et non une question de supériorité des œuvres.

Toi qui détestes les querelles de chapelle, qui es capable d’aimer des films et des cinéastes très différents, vois tu un point commun à tous ces films qui tisseraient le fil invisible de ta cinéphilie ? Qu’est ce que possède un film qu’on a envie de transmettre ?

Non il n’y a pas de point commun. Le propre c’est d’admirer des œuvres totalement diverses, très différentes, de cinéastes parfois qui ne s’appréciaient pas les uns les autres. L’émotion ou le choc ressenti est lui-même très différent. Je ne ressens pas devant Octobre à Paris la même chose que devant un film de Becker, Renoir ou Sautet. Octobre à Paris est un documentaire important sur un évènement terrible même s’il n’est pas toujours réussi. Jacques Panijel est d’ailleurs le seul cinéaste contemporain de ces évènements à faire un film sur cette répression de manifestation. Pour voir le film on a du fuir la police toute une nuit. Je ne mets pas ces films sur le même plan… C’est peut être parce que je suis d’une grande curiosité et que ce qui m’intéressait c’était de montrer l’extraordinaire diversité des talents et casser un peu ces “boites“. L’histoire montre qu’on a parfois essayé de regrouper des gens qui n’ont rien à voir ! Carné dans sa manière de mettre en scène n’a rien à voir avec Grémillon et pourtant ils sont rassemblés sous l’étiquette “réalisme poétique“. De la même manière je trouve l’étiquette “Nouvelle Vague“ complètement creuse ! Il suffit de voir des extraits de Pierrot le fou ou du Mépris à côté d’extraits de Chabrol pour se rendre compte que le cinéma de Chabrol n’a absolument aucun rapport avec celui de Godard.

A propos de la Nouvelle Vague, tu racontes d’ailleurs combien tu as été proche d’eux en tant qu’attaché de presse ou défenseur de la Cinémathèque d’Henri Langlois. Qu’est ce qui t’a éloigné ou rapproché d’eux ?

J’étais très proche d’eux, je trouvais d’ailleurs qu’ils innovaient beaucoup et que certains imposaient un cinéma à la première personne qui venait casser les conventions du cinéma français qui à partir du milieu des années 50 devenait guindé, raide, statique. Ce n’était pas le cas de tous les films mais il y avait cette tendance-là. Ils amenaient des choses personnelles qui trouvaient racines dans un cinéma d’avant. Le côté autobiographique de Truffaut par exemple trouve ses racines dans un film comme Premières armes de René Wheeler. D’ailleurs Truffaut revendiquera son influence. J’aime moins en revanche certaines déclarations de leurs défenseurs qui font table rase de tout un cinéma, ce qui n’était pas le cas de Truffaut ou Chabrol. Chabrol aimait beaucoup les films de Duvivier, Truffaut a défendu des films d’Autant Lara et de Duvivier, il en a beaucoup cassés mais en a défendu d’autres. Malheureusement après on a eu affaire à des disciples plus intransigeants que leurs maitres qui appliquent une forme d’intégrisme auquel je m’oppose.

En défenseur d’un certain cinéma, tu “réhabilites“ plusieurs cinéastes oubliés ou méprisés. A l’inverse tu n’oublies pas de dévoiler le passé obscur de Jean Renoir, l’un des maitres incontestables du cinéma français. Est-ce une manière de rééquilibrer tout cela ?

Non mais de prendre en compte le paysage du cinéma français qui est extrêmement varié, accidenté et comprend énormément de choses différentes. Il faut essayer de faire table rase de querelles complètement idiotes et d’observer les faits. Saluer les qualités de la Nouvelle Vague par exemple, il suffit de voir la photo couleur de Pierrot le fou ou du Mépris pour voir la différence immense avec les films français en couleur des années 50. Si vous comparez avec Le Rouge et le noir ou Les régates de San Fransisco d’Autant-Lara ou avec la plupart des films français de l’époque, vous réalisez qu’ils sont horribles, sur-éclairés. C’est incroyable la mocheté des films en couleur français ! Il y a très peu d’exception jusqu’au moment où Henri Decae va trouver des choses intéressantes et où Raoul Coutard va amener dans la couleur ce qu’on ne voyait pas dans les films de Christian-Jaque ou de Richard Pottier.
La Nouvelle vague a permis de casser la dictature de ce cinéma en couleur sur-éclairé là où les chefs opérateurs des années 50 avaient 10 ans de retard sur les anglais ou les américains. De temps en temps, on tombe sur quelques surprises comme certaines scènes nocturnes de La Caraque blonde de Jacqueline Audry, et ses plans du cavalier sous un ciel d’orage photographié par Marcel Weiss qui reste sans comparaison dans le cinéma français. Mais la Nouvelle vague va aussi faire disparaître les extérieurs très populaires du cinéma français qu’on trouve par exemple dans les films de Henri Verneuil, (Des gens sans importance). On se promène à Saint-Germain des prés, sur les Champs Elysées. La banlieue est absente, tout comme les classes populaires ou la classe ouvrière. Les films historiques vont disparaître aussi et ce n’est que très tardivement, avec la couleur que Truffaut va réaliser Adèle H. Un petit détail encore, à la fin des années 50, les deux seuls films qui constituent des défenses de l’avortement sont deux films d’Autant-Lara très ignorés, Journal d’une femme en blanc et Le nouveau journal d’une femme en blanc. Ce sont des films incroyablement en avance sur leur époque, audacieux et féministes. Ce sujet est complètement ignoré par la Nouvelle vague.

Le mépris de Jean-Luc Godard
Le mépris de Jean-Luc Godard

Tu es un conteur hors pair. Comment parviens-tu à retenir autant d’anecdotes, de détails, de citations avec cette précision ?

Je ne note rien, je m’en souviens. On retient en racontant souvent. Puis je suis très marqué par des épisodes de ma vie que je n’oublie jamais. Par exemple, les déclarations de Gabin lors de nos rencontres, je les connaissais presque mot à mot. Je me souvenais des expressions peut être aussi parce que je suis metteur en scène et que tout d’un coup je repère ce qui m’intéresse et me dis “c’est comme ça qu’il faudrait le tourner“. Mais des expressions comme “ le lapin des flandres“ de Gabin…. c’est totalement inouï cette manière de parler !

Tu consacres un chapitre à Gabin et à pas mal de cinéastes ou compositeurs. Que des hommes. N’as-tu pas de passion pour une actrice, comme Paul Vecchialli peut l’avoir pour Danielle Darrieux ?

Je me suis dit que j’aurai droit à la question ! Je ne trouve pas d’exemple comme Gabin. Au niveau de la qualité, si, c’est Darrieux mais elle n’a jamais initié un film. Gabin achetait les droits d’un livre avec Duvivier, créait une coopérative pour aider à démarrer La grande illusion, achetait les droits de La traversée de Paris (Marcel Aymé) avec Jean Aurenche. Il n’existe pas d’exemples dans le cinéma français de gens qui s’investissent autant. Gabin co-produit Le chat (Granier-Deferre). Cet engagement me touche. En plus dans les années 30, Gabin ne s’est pas beaucoup “gouré“ ! L’équivalent féminin de Gabin aujourd’hui c’est Catherine Deneuve ou peut être aussi Jeanne Moreau. Dans l’époque que je traite, il y a évidemment plein d’actrices géniales comme Mireille Balin, bien plus moderne qu’on ne l’imagine dans Menaces (de Edmond T. Greville), ou la très sous-estimée Annabella ou encore Blanchette Brunoy qui est une comédienne prodigieusement juste dans tous ses films.

jean-gabin
Jean Gabin dans « Le jour se lève » de Marcel Carné

Tu es passé de spectateur à cinéphile puis d’assistant réalisateur à attaché de presse avant de devenir le cinéaste que l’on connaît. La magie du cinéma à laquelle tu rends hommage est-elle intacte, est-elle la même sur un film que l’on découvre en spectateur que sur un film sur lequel on a travaillé ?

Oui la magie continue sur tous ces films. Quand j’ai revu Le mépris ou Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda), j’étais complètement bouleversé. La 317ème section (Pierre Schoendoerffer) est une des plus grandes séances que j’ai pu avoir en revoyant tous les films. C’est un film “génialissime“. Je continue d’avoir des chocs énormes. Là récemment, j’ai revu La tête d’un homme de Julien Duvivier et je l’ai revu une deuxième fois de suite tant le choc a été grand. C’est inouï d’audace. J’ai d’ailleurs essayé de noter toutes les audaces mais il y en a tellement dans la narration, dans la mise en scène… Et cette magnifique chanson écrite par Duvivier et interprétée par Damia est d’une beauté extraordinaire.

Photo de couverture (c) Max Rosereau

RENDEZ-VOUS GARE DE L’EST

Une femme seule en scène raconte son quotidien entre son travail, son mari, ses petites nièces et sa folie. Pour ce spectacle créé à la Comédie de Reims en 2013 et repris en 2015 aux Bouffes du Nord, Guillaume Vincent a enregistré ses échanges avec une femme atteinte de maniaco-dépression pendant six mois lors de leurs rendez-vous Gare de l’est. La retranscription du texte traduit les ressorts mêmes de la dépression et dresse le portrait d’une femme dans son  intimité, ses questionnements et l’emprise de la maladie.

La femme  a environ 30 ans. Elle est mariée à un homme doux et aimant. Il s’appelle Fabien et elle l’aime plus que tout au monde. Car Fabien la comprend, la connait. Oh bien sûr ce n’est pas simple tous les jours. Faut dire que la dépression altère drôlement la libido. Elle, elle préfère les câlins. Elle travaille dans un magasin de déco. Elle aime bien ce qu’elle fait, surtout les enfants qui accompagnent leurs parents. Elle adore les enfants, en particulier Elisa sa petite nièce. Ca lui fait peur aussi. Ca lui rappelle qu’elle aura du mal à en avoir. Oui à cause des médicaments. Il lui faudrait arrêter le traitement et ça, elle en est incapable. Elle avale des tonnes de médicaments pour rester de debout et ne pas succomber à sa folie. Elle en rit aussi même si elle a pris beaucoup de poids. Un jour, elle s’est retrouvée à Sainte Anne, attachée, c’est horrible d’être attachée, surtout les poignets, on ne peut rien faire. Aujourd’hui, elle préfère décider seule de son internement, parce qu’on ne le sait pas, mais seule la personne commanditaire de l’hospitalisation a le pouvoir d’y mettre fin. Ce qu’il se passe au moment du basculement… c’est compliqué à expliquer, on le sent dans tout son corps, on imagine des choses, on se sent partir… et puis parfois on parvient à remonter à la surface.

Elle va mieux, elle le sent. Elle a diminué le traitement. Peut être même qu’elle va faire un enfant avec Fabien. Sa mère est de passage à Paris, elle va essayer de la voir, d’être forte et de l’écouter se plaindre. Sinon, elle s’est fait virée à cause de la petite stagiaire, enfin pas vraiment à cause d’elle, à cause de sa dépression aussi. Depuis, Fabien lui parle moins, il n’y arrive plus. Elle ne recherche pas encore un travail, elle sait qu’elle n’y arriverait pas là. Heureusement elle a ses rendez-vous Gare de l’est le mardi matin, un espace où se raconter, où nous raconter.

« Au fur et à mesure de nos « rendez-vous », en retranscrivant méticuleusement ses mots, je me suis rendu compte que le sujet c’était bien elle et non sa maladie » explique Guillaume Vincent l’auteur et metteur en scène. Le texte reprend les hésitations, les digressions, les pensées immédiates, les peurs et décortique les mécanismes d’une mélancolie incontôlable.

« Je voulais que ce monologue retranscrive le mouvement même de sa maladie » précise Guillaume Vincent. Le portrait de cette femme formidablement interprétée par Emilie Incerti Formentini se dessine donc derrière ce récit spontané, intime, d’une lucidité déconcertante et pleine d’humour, vient nous bousculer, interroger notre propre folie, et témoigner de la difficulté de vivre au quotidien avec ce mal. Nous, spectateurs, sommes laissés dans la lumière et littéralement pris à témoin et embarqués pour un voyage vers la folie ordinaire que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

Pour prolonger ces « rendez-vous », le Théâtre du Nord propose une rencontre-discussion ce vendredi à 18h et un café philo demain à 16h autour de la mélancolie.

Plus d’infos par là

IDOMENEO, un opéra initiatique

Vendredi soir à l’Opéra de Lille, se jouait la dernière d’Idoménéo, opéra seria de Mozart, mis en scène  par Jean Yves Ruf et dirigé par Emmanuelle Haim (avec le Concert d’Astrée). Un Idoménée magistral et tout en nuances dans une mise en scène puissante et subtile.

Le roi de Crète Idoménée de retour de la guerre de Troie doit affronter une terrible tempête. Il implore la clémence du Dieu de la mer Neptune et lui promet de sacrifier la première personne qu’il rencontrera sur la terre ferme. Mais cruelle ironie du sort, c’est Idamante, son propre fils, qui l’accueille en premier, laissant Idoménee désespéré. Le roi ne pouvant tenir sa promesse, oblige son fils à quitter la Crète avec Electre, éprise d’Idamante. Une terrible tempête se soulève et Idoménée avouant qu’il n’a pu honorer sa promesse, se désigne en victime expiatoire. Idamante vient au secours de son père et vainc le monstre marin avant de s’offrir en sacrifice. Ilia, prisonnière troyenne éprise d’Idamante, s’offre à son tour pour épargner son bien-aimé. Devant tant de courage et d’amour Neptune met fin à sa malediction et contraint Idomenée à laisser son trône à Idamante et Ilia. Electre sombrera, comme son frère Oreste, dans la folie.

Composé par Mozart tout juste âgé de 25 ans, cet opéra à la fois dramatique et au dénouement heureux alterne les airs et les récitatifs au lyrisme poignant. Un père tiraillé par une promesse insoluble, un fils prêt à mourir pour son père, une femme amoureuse du fils de son bourreau (Ilia a perdu toute sa famille dans la guerre menée contre Troie par Idoménée), une autre femme humiliée de n’être pas aimée en retour, un choeur qui souligne la puissance dramatique, Idomeneo a tout d’une tragédie grecque à la différence près du happy ending, propre à l’opéra seria.

Idomenée est un valeureux guerrier mais redevient un simple humain redoutant la mort et prêt à sacrifier un autre homme pour lui éviter un destin fatal alors que son fils Idamante fait preuve d’une résignation mêlée de courage, et c’est justement son courage et son amour, comme celui d’Ilia, qui les sauvera tous.  En ce sens Idomeneo est éminemment atemporel dans l’idée que seul l’amour permet de vaincre nos peurs.

La voix du ténor Kresimir Spicer retranscrit parfaitement la gamme d’émotions contradictoires, le poids du secret et des non-dits et la souffrance inhérente à cette malediction. Il semble par moment presque murmurer dans une inflexion émouvante où l’on ressent tout son desespoir pour ensuite reprendre toute sa puissance et sa vergogne. La jeune soprano Rosa Feola campe une Ilia bouleversante et la mezzo israelienne Rachel Frenkel transmet à Idamante toute sa fougue.  La célèbre Patrizia Ciofi qui avait déjà interprété Ilia à la Scala, incarne pour la première fois une Electre aussi pétrifiante que convaincante.

Jean-Yves Ruf, plutôt que de représenter Neptune préfère évoquer sa présence dans une mise en scène allusive en s’appuyant sur une très belle scénographie et des lumières à la symbolique forte, qui vient titiller l’imaginaire des spectateurs, les bousculer et leur donner à voir l’invisible. C’est très réussi, on sent formidablement bien l’angoisse de la tempête, le tourment d’Idomenée, comme la menace sanglante ou l’amour brûlant d’Idamante et d’Ilia autour du chêne.

Magnifiquement dirigé par Emmanuelle Haim et son Concert d’Astrée (choeur et orchestre),Idomeneo est un spectacle merveilleux qu’on n’est pas prêt d’oublier.

Petite dédicace spéciale à Kresimir : Hvala lijepa et pusa.