TROIS NUITS AVEC CHRISTOPHE HONORE

« Un voyage au doux pays de Christophe Honoré à travers des installations vidéos reprenant les scènes de ses films cultes, des lectures par des acteurs de pièces de théâtre ainsi que du roman « Le Livre pour enfants » de Christophe Honoré, des performances sensuelles, une cantatrice, des crêpes aux couleurs bretonnes, des envolées survoltées avec des concerts et des DJ sets envoûtants, des lives , le tout dans une atmosphère lunaire, entre fiction et réalité ».  Voilà de quoi réjouir tous ceux qui aiment le cinéaste, écrivain, metteur en scène, dramaturge et scénariste Christophe Honoré qui s’installe pour trois soirs les 9, 10 et 11 février au Club Salò (successeur du Social Club) dans le 2ème arrondissement de Paris. Retour sur ce touche à tout aussi fécond que talentueux.

Christophe Honoré, un breton qui sent la pluie, l’océan et les crêpes au citron

Né dans le Finistère, Christophe Honoré commence très jeune à écrire et se fait rapidement remarquer pour ses romans jeunesse percutants et pour son premier roman, L’infamille qui le fera connaitre. En 1995, il quitte sa Bretagne natale et s’installe à Paris. Il devient critique pour Les Cahiers du cinéma et rédige un article polémique sur un certain cinéma français qui « l’emmerde » et qu’il juge moralisateur et complaisant (il s’adresse notamment à Robert Guédiguian et Anne Fontaine qui viennent de remporter un succès public avec Marius et Jeannette et Nettoyage à sec). On l’aura compris, Honoré n’a pas sa langue dans sa poche.

Ancien étudiant en Lettres et cinéma, il réalise un premier film 17 fois Cécile Cassard en compétition à Cannes (Un certain regard) avant de s’attaquer à l’adaptation ambitieuse d’un livre de Bataille. Ce sera Ma mère ou l’histoire incestueuse entre Isabelle Huppert et son « fils » Louis Garrel (qui deviendra son acteur fétiche). Le résultat est puissant, subversif et étonnant. Mais ce n’est qu’en 2006 qu’il déploie davantage ce qui nous touche dans son cinéma, mélange d’impertinence subtile, d’effronterie, de mélancolie euphorisante, avec peut être son plus beau film, Dans Paris avec Romain Duris, Joanna Preiss et l’irrésistible Guy Marchand. Un grand cinéaste est né, loué comme un des héritiers de la Nouvelle Vague. Christophe Honoré ne rentrera pas pour autant dans une case et continue de nous surprendre en passant de la comédie musicale à l’adaptation littéraire avec La belle personne (adaptation contemporaine de La princesse de Clèves avec Louis Garrel et Léa Seydoux, et clin d’oeil à Nicolas Sarkozy qui avait jugé l’oeuvre désuette) et tout récemment Les malheurs de Sophie. Il mêle les genres mais s’affirme déjà par un style singulier.

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Bien avant Lalaland…

A l’instar du duo Olivier Ducastel et Jacques Martineau, Christophe Honoré revisite à son tour la comédie musicale avec Les Chansons d’amour et Les biens aimés. Lui préfère parler de « films à chansons » que de comédies musicales. Ses films évoquent souvent la rupture (amoureuse ou d’anévrisme), l’errance, la famille, l’amour sous toutes ses formes, et derrière une certaine gravité thématique dégagent une légèreté, une désinvolture fragile et enchanteresse qui le rapprochent parfois d’Alain Resnais.

Les Chansons d’amour déclinent l’amour à deux, à trois, entre hommes et femmes jusqu’à ce que l’une d’entre eux meurt brutalement. Comment se reconstruire, comment croire encore à l’amour, à la vie après le deuil ? Alex Beaupain, l’ami et compositeur de toujours créé une partition sur mesure pour ce film. Ce n’est pas leur première collaboration puisque déjà il faisait chanter Grégoire Leprince-Ringuet dans La belle personne et Romain Duris et Joanna Preiss dans Dans Paris (« Avant la haine »). Honoré réalisera un deuxième film chanté avec Les Biens aimés qui met en scène Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni dans une fresque familiale des années 60 à nos jours. Le cinéaste aime bien traverser les époques, extraire l’essence des rapports humains pour la retranscrire dans un autre espace temps et, loin d’un souci naturaliste, prouve, s’il est besoin, que l’amour est universel et atemporel.

Entre temps, Christophe Honoré réalise deux autres films, Non ma fille tu n’iras pas danser qui offre (enfin) un magnifique premier rôle à Chiara Mastrioanni et Homme au bain avec l’acteur porno gay François Sagat. Avec Non ma fille… le réalisateur de retour en Bretagne, signe un portrait poignant de femme perdue entre deux hommes et une famille aimante mais étouffante. Entre justesse réaliste et conte onirique, Non ma fille… glisse une fois de plus vers une universalité saisissante.

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Victor Hugo, le Nouveau Roman, Ovide et les autres

Christophe Honoré entretient une longue histoire avec le théâtre. Il est l’auteur de plusieurs pièces et en 2008, invité par le Festival d’Avignon, il met en scène Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Au théâtre aussi il retrouve ses acteurs fétiches : Clotilde Hesme (Les Chansons d’amour) et Martial di Fonzo Bo (Non ma fille...) et étonne encore. D’abord pour le choix de cette pièce peu connue d’Hugo, mais aussi par sa mise en scène sur trois niveaux (grâce à un système d’échafaudage ingénieux) qui permet de déstructurer la scène et recadrer les corps « comme au cinéma ». En 2012, il met en scène Nouveau roman au Théâtre de la Colline et ressuscite les écrivains emblématiques de ce mouvement littéraire, dans un spectacle d’écrivains qui s’invente au fil du jeu et qui convie aussi de « vrais » écrivains à sa troupe d’acteurs fidèles (Ludivine Sagnier, Isabelle Huppert ou Anais Demoustier).

Christophe Honoré n’a peur de rien, pas même d’adapter le poète latin Ovide et ses Métamorphoses en 2014. Le résultat très poétique et sensuel met en scène des acteurs inconnus où dieux modernes tombent amoureux de jeunes mortels. De quoi nous prendre à nouveau à rebrousse poils là où on l’attend le moins. On retrouve pourtant derrière ces récits mythologiques sa « patte » gracieuse et organique.

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Que ce soit par le biais de romans, de films, de théâtre ou même récemment d’opéra lyrique, Christophe Honoré semble finalement nous dire que l’art n’a pas de frontières ni dans sa forme ni dans ses thèmes, et s’il est souvent marqué chez lui d’un Paris fantasmé ou d’une nature magnifiée, il nous traverse, nous dépasse, nous révèle et parfois même nous métamorphose.

 

LES DEUX AMIS, un conte atemporel

Avec son premier long métrage, Les deux amis, Louis Garrel nous raconte un « trouple » moderne entre amitié faillible, amour impossible, trahison inéluctable et Désenchantement clownesque.

Dans la famille Garrel je demande le fils. Louis, le beau Louis que l’on découvrit tout jeune dans Les innocents de Bertolucci puis dans Les amants réguliers de son père, Philippe. Deux films sur mai 68 qui à défaut d’annoncer une révolution en marche, dévoilaient un jeune talent à la beauté singulière entre romantisme et tourment contemporain dans la lignée d’un Jean-Pierre Léaud (qui n’est autre que son parrain). Depuis on ne le présente plus, il est devenu une icone du cinéma français d’auteur se baladant chez Honoré (souvent), Doillon, Dolan, Bonello, Valeria Bruni-Tedeschi (son ex-compagne), Brigitte Sy (sa mère) et bien sûr chez Philippe Garrel.

Le cinéma de papa

Il y a des familles de cinéma qu’on aime tout particulièrement. Parce qu’elles nous sont familières d’emblée, évoquent un cinéma qu’on aime, nous convient à leur table d’un film à l’autre et tissent des liens dans nos vies qui nous (r)attachent et nous relient. En ce qui me concerne, la famille Garrel en fait partie. J’ai découvert le père Philippe quand j’allais visionner des films à ce qui s’appelait encore la Vidéotheque de Paris, entre deux séances du Quartier latin. Le premier film que je découvris fut J’entends plus la guitare. Puis ce fut Les baisers de secours  (déjà avec Louis enfant), La cicatrice intérieure, La naissance de l’amour, autant de titres à la poésie parfaite et révélateurs d’un cinéma intimiste dans lesquels on était heureux de croiser Lou Castel, Yann Collette, Brigitte Sy, Jean Pierre Léaud, Benoit Régent et le regretté Maurice Garrel (dans la famille Garrel, le grand père donc).
Louis Garrel est le fruit de cette génération underground qui a vécu les années 60, Nico (qui fut la compagne de Philippe) et les Velvet, mai 68, à l’aube de la Nouvelle vague et d’un cinéma plus expérimental et plus artisanal, comme le montre le dernier film de Philippe Garrel, L’ombre des femmes.

On pourrait lui opposer le privilège de sa naissance, car le petit Louis est tombé vite dans la marmite du cinéma d’auteur, mais ce qui émeut dans son film c’est bien sa façon de vouloir rendre hommage à cet héritage-là tout en s’en affranchissant (parfois maladroitement) et en affirmant ses différences. Vendredi dernier à la conférence de presse lilloise, il affirmait se référer autant à du cartoon, qu’à Michel Blanc ou Cassavetes. Ca en agace certains. Moi, ça me touche. Comme me touche son film dans sa velleité à trop vouloir raconter. Il y a quelque chose de très juvénile dans son film, de presque indigeste par moment, mais toujours plein de vivacité et de débordements.

« Leur seul but, c’est d’être aimé »

Difficile de résumer Les deux amis, tant les personnages courent tous dans tous les sens et nous perdent parfois un peu. Les deux amis peint la rencontre de trois jolis losers sans but ni ambition précise. Clément (Vincent Macaigne), figurant de cinéma est tombé fou amoureux de Mona (Golshifteh Farahani) qui travaille dans une sandwicherie à la gare du nord. Clément ne comprend pas que Mona le repousse et lui refuse une soirée. Mais ce qu’il ignore c’est que Mona est en semi-liberté et doit rentrer le soir en prison.  Quand Abel (Louis Garrel), le meilleur ami de Clément s’en mêle, le chassé croisé ressemble de loin à la course de Jules et Jim le long de la voie ferrée. De loin seulement, car dans ce film, si l’on n’ignore pas les références de Garrel (fils), on doute un peu de l’authenticité des caractères. A trop vouloir s’échapper et enchainer les actions, il s’éparpille et nous égare. C’est en effet dans les scènes les plus lentes, qu’il nous raccroche à nouveau. Le film fait donc yoyo entre de très beaux moments (la scène de danse de Mona dans le bar, le dialogue entre Clément et Abel dans la chambre d’hôtel où ils réalisent que leur amitié est dépourvue de sens) et des moments presque inutiles comme la scène initiale où Abel est entourée de deux prostituées asiatiques. Garrel multiplie les informations sur ses personnages semblant oublier que la simple évocation est souvent plus efficace. Pourtant il revendique la référence au clown (et à Pierre Etaix) qui aurait du le mettre sur cette voie plus allusive.

Louis Garrel s’est donné un rôle central non emprunt d’auto-dérision où il campe un écrivain raté assez égoiste et dont l’amitié envers Clément s’avère plutôt vaine. C’est d’ailleurs dans cette interrogation sur l’amitié que le film est le plus intéressant. Clément et Abel sont amis pour échapper à leurs solitudes et faire face à la vie main dans la main. A deux c’est plus facile. Mais sont-ils vraiment bienveillants l’un pour l’autre ? Clément voit Abel comme un modèle, un ami solide, capable de l’aider et le réconforter avant de réaliser qu’Abel ne fait que l’enfoncer dans sa fragilité et profite de sa vulnérabilité pour apparaitre fort. Leur rapport de force s’inverse dans un registre tragi-comique laissant place aux scènes burlesques de l’hôtel aux dialogues enlevés (le film est co-écrit avec l’excellent Christophe Honoré). Abel et Clément ne sont plus amis, ainsi en a décidé Clément. La différence ? « C’est que là, je ne te paie plus ton coup à boire ! ».
L’amitié n’est finalement pas très éloignée de l’amour, on y projette nos propres désirs, nos propres envies entre mise à nu et faux semblants et avant tout on répond à notre inexorable besoin d’être aimé.

Le charme de Louis Garrel et de son film réside dans l’atemporalité de son sujet comme de ses personnages. On sent qu’il est bercé entre l’héritage d’une génération révolue et celui d’une nouvelle génération. Christophe Honoré l’avait bien compris en le choisissant pour incarner Nemours dans son adaptation moderne de La princesse de Clèves, La belle personne.

Louis Garrel n’est pas un coureur de fond, il accélère pour mieux ralentir et son film me fait penser à mon ami Carel qui, en pleine embrouille avec un type du genre agressif, après une courte hésitation, lui avait écrasé sa glace en plein visage, m’avait attrapé la main et s’était mis à courir, m’embarquant dans sa fuite. Les deux amis c’est un peu un cornet de glace en pleine face.