MAYA, un film lumineux sur la résilience

Partir pour mieux renaitre au monde, tel est le point de départ de Maya de Mia Hansen Løve. Sur fond de rencontre lumineuse, Maya est un grand film vibratoire sur la résilience et le recommencement.

Gabriel (Roman Kolilnka) est grand reporter et vient d’être libéré après avoir été détenu en Syrie pendant plusieurs mois. Il revient à Paris, retrouve sa famille, son ex petite amie (Judith Chemla), ses amis. La vie reprend tant bien que mal mais bientôt Gabriel projette un voyage en Inde où il a grandi et possède encore une maison pour se reconnecter au monde et se retrouver. A Goa il retrouve son parrain Monty et fait la rencontre de sa fille, Maya (Aarshi Banerjee).

L’Inde semble avoir toujours fasciné les réalisateurs, et pas les moindres. On pense au Fleuve de Jean Renoir bien sûr ou au film de Louis Malle mais surtout  à Inde, terre mère de Rosselini, documentaire poétique dont le titre aurait pu être celui de Maya. Pour Gabriel, l’Inde n’est pas une terre inconnue mais un retour aux sources, à ses origines et l’occasion de revoir sa mère (Johanna Ter Steege) qui y vit toujours depuis qu’elle s’est choisi une autre famille. Mia Hansen Løve filme l’Inde avec un regard neuf, loin de tous les clichés du genre. « J’entends toujours dire que Goa n’est pas vraiment l’Inde. C’est un des aspects que je voulais utiliser pour sortir d’une vision schématique de l’Inde, partagée entre splendeurs et misères, et tenter de filmer une Inde plus complexe, peut être impure, mais contemporaine. » Les voyages ont cette vertu d’arrêter le temps, de le réinventer comme un présent simple, loin d’une réalité passée ou de projets futurs. C’est aussi ce présent-là que filme la cinéaste en nous immergeant aux côtés de ce héros secret et meurtri.

Et puis il y a Maya, la fille de son parrain Monty. Malgré son jeune âge, Maya dégage une sagesse, une sérénité et une intelligence humaine déconcertante. Gabriel se sent détaché de tout mais va trouver en elle une complice salvatrice pour le remettre sur le chemin de la vie et de l’amour. Maya est prête à le suivre partout mais cet amour semble impossible tant Gabriel, malgré sa récente captivité, ne souhaite pas remettre en question son métier de reporter de guerre. Sa vie est sur les terrains minés et cette parenthèse indienne, un refuge temporaire pour renaitre de ses cendres.

Mia Hansen Løve est une cinéaste de la parole et ses films sont souvent bavards et profonds. Ici, si l’on retrouve les thèmes chers à la cinéaste (le renouveau, la résilience), la profondeur émane des corps et c’est l’intériorité de chacun qui nous est révélée à travers leur déambulation, leurs déplacements, leurs regards. Maya est un film éminemment sensuel et lumineux et Gabriel en chevalier solitaire et impénétrable rappelle les héros de western au coeur endurci qui finissent par se raccrocher au monde par la main tendue d’une femme. Maya est aussi son film le plus romanesque, et peut être le plus vibrant, le plus gracieux. Notre regard se confond tour à tour avec celui de Maya et de Gabriel, et nous transporte au cœur de leur voyage, et finalement, au coeur de nous-mêmes.

Qu’elle filme Paris ou Goa, Mia Hansen Løve sait capturer l’essence des lieux, la grâce du mouvement, l’instantanée magie et la force humaine qui nous rassemble. Il suffit de voir la scène où Judith Chemla chante le Lied de Schubert dans un bar parisien où tous les amis de Gabriel sont réunis et fêtent son retour pour s’en convaincre.

Filmé en 35 mm par la directrice de la photographie Hélène Louvart (Heureux comme Lazzaro), Maya offre des plans sublimes, oniriques et solaires, et la caméra, fluide, capture les présences des personnages (en arrière plan comme au premier plan) dans ce qu’ils ont de plus vivant, de plus incarné.  Roman Kolinka est parfait dans ce premier grand rôle et confirme son talent après les deux précédents films de Mia Hansen Løve (L’avenir et Eden). Quant à la jeune Aarshi Banerjee, elle rappelle combien Mia Hansen Løve a raison de dénicher des inconnues même si cela rend plus difficile le montage financier de ses films. C’est ainsi que naissent les miracles et sa présence en est un à l’écran. 

Date de sortie : 19 décembre 2018
Durée : 1h47
Distributeur : Les Films du Losange 

 

 

JEANNE MOREAU : portrait d’une femme libre

Lundi dernier, l’explosive Jeanne Moreau s’est éteinte paisiblement. Un mythe s’en est allé, retour sur sa carrière impressionnante.

La fureur de jouer

Née à Paris en 1928, Jeanne Moreau passe son enfance à Vichy avant de rentrer à Paris finir ses études. Contre l’avis de ses parents, elle s’inscrit au conservatoire national d’art dramatique de Paris et participe au tout premier Festival d’Avignon. En 1947, elle devient pensionnaire de la Comédie française mais démissionne en 1952, pour rejoindre le TNP de Jean Vilar. A cette époque, elle se voit offrir ses premiers rôles au cinéma sous la caméra de Richard Pottier en 1950, puis de Jacques Becker avec Touchez pas au Grisbi en 1954.

Louis, François, Jacques et les autres

En 1956, Jeanne Moreau rencontre Louis Malle qui lui offre son premier grand rôle : Florence Carala dans Ascenseur pour l’échafaud. Le film précurseur de la Nouvelle Vague comptera parmi ses plus grands rôles. Comment en effet oublier son errance nocturne à la recherche de Julien, son amant et complice (sublime et regretté Maurice Ronet) coincé dans un ascenseur ? Sur la musique signée Miles Davis, Ascenseur pour l’échafaud révèle toute la modernité et le talent de Louis Malle dont c’est le premier film ainsi que la sensualité et le pouvoir évocateur de Jeanne Moreau. Louis Malle, qui sera un temps son amant, lui offre un second rôle l’année suivante (1958) avec Les amants où elle incarne une riche provinciale plongée dans l’ennui de sa vie futile et qui alors qu’elle tombe en panne, rencontre un homme (Jean Louis Bory) avec qui elle passe la nuit sous son propre toit. La scène d’amour des Amants fera scandale, mais n’empêchera pas le film de remporter le prix du jury à Venise.

Les années 60 sont fastes pour Jeanne Moreau qui tourne sous la caméra de Michelangelo Antonioni aux côtés de Marcello Mastroianni et Monica Vitti (La Notte), de Joseph Losey (Eva), d’Orson Welles (Le procès), de Jacques Demy (La baie des anges), de François Truffaut (Jules et Jim) ou de Luis Buñuel (Le journal dune femme de chambre). Femme fatale chez Losey (plus sensuelle que jamais dans cette scène où elle se déshabille sur du Billie Holiday), femme perdue chez Antonioni, joueuse infatigable chez Demy, indécise amoureuse chez Truffaut, justicière chez Buñuel, Jeanne Moreau se révèle inclassable et surprenante. Elle fait d’ailleurs de nombreux choix audacieux dans sa filmographie allant jusqu’à accepter de ne percevoir aucun cachet et même aider financièrement le film comme elle le fit pour Jules et Jim dont le tournage fut bloqué un temps.

Jeanne, libre et éclectique

La suite de sa carrière est telle qu’il est impossible de tout citer. Parmi sa riche filmographie, on retiendra deux autres films avec Louis Malle (Le feu follet et Viva Maria avec Brigitte Bardot), La mariée était en noir de Truffaut, Peau de banane de Marcel Ophüls, Le dernier Nabab d’Elia Kazan avec Robert De Niro, Les Valseuses de Bertrand Blier, Monsieur Klein de Joseph Losey puis dans les années 80, Querelle de Fassbinder (adapté de Jean Genet) ou Le miraculé de Jean-Pierre Mocky. Jeanne Moreau est exigeante mais pas sectaire et jouera aussi bien pour Peter Handke (L’absence), Wim Wenders (Jusqu’au bout du monde), Theo Angelopoulos (Le pas suspendu de la cigogne) ou Amos Gitai que pour Luc Besson (Nikita) ou Alex Lutz chez qui elle apparait dans son ultime film. Qu’elle incarne le rôle principal ou une simple apparition, Jeanne Moreau marque sa présence. Des apparitions elle en a fait de nombreuses, par amitié, par affinité cinématographique, comme chez Godard dans Une femme est une femme où Belmondo fait un joli clin d’oeil aux films qu’elle vient de tourner ou dans Les 400 coups de Truffaut où elle joue une passante qui a perdu son chien.

– Ca va avec Jules et Jim ?
– Moderato 

Du tourbillon de la vie aux absences répétées

En 1960, elle rencontre Peter Brook et tourne dans son adaptation de Marguerite Duras, Moderato Cantabile avec Jean Paul Belmondo. Jeanne Moreau deviendra d’ailleurs très proche de Marguerite Duras avec qui elle tourne Nathalie Granger en 1973 et pour qui elle interprète un titre dans India Song. En 1991, elle prête sa voix à l’adaptation de L’amant par Jean-Jacques Annaud et Josée Dayan la choisit tout naturellement pour interpréter Duras en 2002 dans Cet amour-là.  Tout au long de sa vie, elle noue des amitiés avec des écrivains, de Tennessee Williams à Blaise Cendrars en passant par Henry Miller ou Paul Morand. Jeanne Moreau aime les mots, les déclame avec son timbre singulier, de fumeuse invétérée, sa voix inoubliable, peut être la plus grande voix du cinéma français, reconnaissable entre mille, envoûtante et grave. Truffaut sera le premier à s’en servir brillamment dans Jules et Jim où elle reprend en son direct (la seule scène du film tournée ainsi) Le tourbillon de la vie de Serge Rezvani que celui-ci avait écrit pour Jeanne et son premier mari, le comédien Jean-Louis Richard.

Depuis que je l’ai aimée, j’écris tous les rôles de mes films pour elle et je continue, même si elle ne les joue pas. Jouer? Elle ne joue pas. Elle est.
– Guy Gilles

Par la suite, Jeanne Moreau interpréte de nombreux titres du même Rezvani qu’on se surprend à fredonner comme une rengaine de notre enfance : La peau Léon, Adieu ma vie, J’ai la mémoire qui flanche, Les mots de rien … Ces titres comme sa filmographie lui ressemblent. Libre, indépendante, amoureuse, jouisseuse, passionnée, séductrice et insaisissable, Jeanne Moreau aimait sans compter. Des hommes elle en a connus. Deux maris et bon nombre d’amants parmi lesquels, Louis Malle, François Truffaut, Pierre Cardin et bien d’autres. Il y eut aussi cette rencontre avec un cinéaste injustement méconnu, Guy Gilles qui l’aimera inconditionnellement, à en mourir. On se souvient de ce titre magnifique Absence répétées du film éponyme de Guy Gilles en  1972 ou de Je m’ennuie la nuit sans toi dans Le jardin qui bascule, où son apparition toujours trouble.

Depuis quelques temps, Jeanne Moreau vivait recluse. Nous on parie qu’en fait, elle s’est fait la belle en fredonnant :

Adieu ma vie, je fais la belle
Adieu ma vie et ses tracas
Moi, je me tire pour toujours
J’ai rencontré le grand amour

Et je n’ veux pas, et je n’ veux pas
Le mélanger à mon passé
À mes ennuis de chaque jour
Pour cette fois, vous n’ m’aurez pas