LES FANTÔMES D’ISMAËL, un film entre vertige et ennui

Le 70ème Festival de Cannes s’ouvre avec le dernier film d’Arnaud Desplechin, Les fantômes d’Ismaël. Un film vertigineux sur les fantômes d’Arnaud Desplechin qui finit par nous perdre et nous lasser.

Le film démarre sur une histoire d’espionnage avec un groupe de diplomates discutant de la disparition soudaine d’Ivan Dedalus, autre diplomate itinérant. Comme pour mieux nous perdre, on découvre ensuite qu’il s’agit de l’histoire du film que réalise Ismaël sur Ivan Dedalus, inspirée de celle de son propre frère (ce qui fait d’Ismaël un autre double de Paul Dedalus et de Desplechin). Lorsqu’il part écrire dans sa maison en bord de mer avec sa compagne Sylvia (sublime Charlotte Gainsbourg), ressurgit Carlotta (Marion Cotillard), sa femme disparue et laissée pour morte il y a 20 ans. Sylvia se sent menacée par la présence de cette disparue dont elle comprend très vite qu’elle est revenue pour récupérer son mari. Mais Ismaël n’entend pas laisser la jeune femme dont l’absence l’a tourmenté toutes ces années reprendre le dessus sur sa vie.

(c) Jean Claude Lother

Arnaud Desplechin nous a habitués à tisser des liens entre ses personnages et ses films comme pour créer des passerelles dans sa filmographie mais aussi relier ses propres fantômes. Rien de nouveau donc si ce n’est que dans Les fantômes d’Ismaël, les auto-références sont tellement nombreuses qu’on ne sait plus à qui elles s’adressent. Outre les prénoms et noms de personnages qui reviennent et s’échangent les partitions (Ismaël, Faunia, Ivan, Dédalus), Arnaud Desplechin abonde en clins d’oeil à ses précédents films en faisant réapparaitre Marion Cotillard nue 20 ans après Comment je me suis disputé ma vie sexuelle, en interrogeant sa propre folie créatrice, ou en faisant rentrer Ismaël à Roubaix, la ville natale de Desplechin, à laquelle il consacre un long chapitre dans Trois souvenirs de ma jeunesse. On finit par se perdre dans le dédale(us) des histoires, elles aussi nombreuses et sans lien apparent. Ainsi mêle-t-il les genres et les récits et l’on passe d’un film d’espionnage sur l’usurpation et la notion d’identité à un huis clos dramatique et théâtral en bord de mer qui finit par tomber par moment dans le burlesque (mais qui s’avère aussi gracieux quand Carlotta se met à danser sur Bob Dylan). Cette mise en abyme kaléidoscopique pourrait ressembler à un des cauchemars incessants d’Ismaël contraint à prendre des cachets pour éviter de dormir.  Ce qui dérange dans cette construction éclatée, ce n’est pas tant la mise en scène qui alterne les gros plans intimes, le film dans le film et les plans face caméra de Marion Cotillard qui raconte son mariage indien ou de Charlotte Gainsbourg qui conclut le film, mais plutôt le sentiment de ne jamais pouvoir attraper la branche qu’il nous tend dans ce parcours labyrinthique (et psychanalytique).

(c) Jean Claude Lother

On devine combien ce film est particulièrement autobiographique et ses fantômes sont autant d’apparitions obsessionnelles que de références au Cinéma. Carlotta est évidemment un clin d’oeil à la Carlotta de Vertigo d’Hitchcock, les plans face caméra où Sylvia prend à parti le spectateur comme les échanges corrosifs entre les trois personnages rappellent par moment Bergman. Mais la mise en abyme est tellement kaleidoscopique qu’on finit par abandonner le film comme Carlotta abandonne Ismaël et son père (Laszlo Szabo), sans raison réelle.

On ressort avec l’impression d’être passé à côté de quelque chose de possiblement grand mais on ne peut qu’avouer l’ennui ressenti. Pourtant les acteurs sont tous formidables, le trio principal comme les seconds rôles (Louis Garrel en frère fictif d’Ismaël, Alba Rohrwacher ou Hippolyte Girardot pour ne citer qu’eux). Le génie de Desplechin à convoquer le spectateur dans l’intimité d’un récit et sa dimension invisible n’a pas fonctionné pour nous cette fois. Osons croire que notre déception est liée à cette version courte qui est un réel encouragement à découvrir la version originale, vingt minutes plus longue. Sait-on jamais.

 

 

 

ROCK’N ROLL, un film pépère

Après son expérience américaine Blood Ties, Guillaume Canet s’offre avec Rock’n roll une incursion dans un nouveau genre : l’auto-fiction parodique et aborde entre délire et dérision la crise de la quarantaine chez une star de cinéma.

Guillaume Canet a 43 ans et ne dégage plus vraiment la même aura auprès de la gente féminine. Une jeune actrice avec qui il tourne lui avoue d’ailleurs qu’il ne fait plus partie de la liste des acteurs avec qui on  voudrait coucher. Pas assez rock soi disant. Quand il rentre chez lui (à la même heure), il retrouve sa star de femme, Marion Cotillard, qui depuis qu’elle a appris qu’elle tournait avec Xavier Dolan ne parle plus qu’en québécois. Guillaume alias Pitou ou Guigui ne va pas laisser son image de type pépère ternir sa quarantaine. Il a décidé de se construire une autre image : celle d’un mec rock’n roll.

Finie l’image du gendre idéal ! Le « Guillaume nouveau »  est arrivé et se met à faire des pokers endiablés, sortir en boite, prendre des rails de coke et se vomir dessus sous le regard de témoins ne manquant pas de filmer ça. La journée, il tourne un film où il campe un jeune père d’une fille de 20 ans, celle là même qu’il tente de convaincre de sa rock’n roll attitude. Là aussi, Guillaume va tenter de bousculer le tournage en proposant des choses absurdes, n’assumant pas de jouer à nouveau un rôle trop lisse. Sa révolution intérieure (et extérieure) va en crescendo et donne lieu à quelques scènes cocasses comme celle où il tente de rassurer ses producteurs (Yvan Attal et Alain Attal) malgré sa nouvelle apparence ou celle où il rencontre Ben Foster pour un casting d’un jeune de 20 ans.

Ce n’est pas la première auto-fiction parodique du genre. On pense bien sûr à Ma femme est une actrice d’Yvan Attal (également dans le film) ou à Arnaud fait son deuxième film d’Arnaud Viard. Ici aussi, Guillaume Canet s’amuse à mêler le vrai et le faux, la parodie et la mise en abyme, mais à force d’exagération son film finit par nous laisser à distance de ce délire de jeunisme et, plus embêtant, ne nous fait plus rire là où la première partie du film était pourtant assez réjouissante. C’est d’ailleurs dans cette première partie qu’on voit le plus Marion Cotillard hilarante en star au naturel, cultivant ses légumes au milieu du salon et tellement plongée dans son rôle qu’elle ne parle plus que québécois avec un talent et un humour qui mérite le détour.

Rock’n roll met sur son chemin d’autre stars censées donner le change (la grande famille des stars …) de Johnny Halliday, à Kev Adams ou Gilles Lellouche. Ils servent surtout à nous rappeler que les people ne sont pas des gens comme les autres, là où Yvan Attal ou Arnaud Viard montraient justement le contraire.

On retiendra donc surtout cette première moitié de film qui nous touche davantage quand elle traite avec humour et autodérision des questionnements sûrement réels (et plus universels) de Guillaume Canet  autour de la peur de vieillir ou de l’image qu’il renvoie. Guillaume Canet est décidément plus drôle quand il doute de lui-même que quand il se projette en pathétique acteur retouché et incompris. Les quelques traits d’esprit du début laissent place à une farce grotesque sans profondeur qui apparait comme un pied de nez à tous les fans : n’est pas star qui veut. Une vision pour le moins pépère.

JUSTE (PAS) LA FIN DU MONDE

Louis fait la surprise de débarquer dans son village natal pour un déjeuner en famille, après douze ans d’absence. Il retrouve sa mère, sa jeune soeur qu’il connait à peine, son frère et sa belle soeur. Entre querelles, apprivoisement et peurs, Louis parviendra-t-il à confesser la vraie raison de sa venue ? Deux ans après Mommy, Xavier Dolan réalise avec Juste la fin du monde un film en huis clos familial, chaotique et hystérique.

Le film démarre sur l’arrivée du fils prodigue, Louis (Gaspard Ulliel tout en retenue) à bord de son taxi. La maison s’active pour préparer au mieux son retour. Alternent les plans de légumes tranchés, d’assiettes décorées, de vernis en train de sécher. Antoine l’ainé (Vincent Cassel pas en retenue du tout) et sa soeur Suzanne (Léa Seydoux, double féminin de Vincent Cassel) se disputent (pourquoi déjà ? on ne retient que leurs cris inutiles et exagérés). La porte s’ouvre et le silence s’installe en écho au poids des années d’absence. C’est Suzanne qui se précipite la première vers Louis. Elle l’enlace, longtemps. Dolan filme leur étreinte sous tous les angles, toujours en gros plan, comme s’il ne choisissait pas de point de vue. On peut interpréter longuement son choix de mise en scène d’ailleurs qui consiste à ne filmer les personnages qu’en gros plan comme s’ils étaient isolés (en famille mais seuls). Le procédé est tellement systématique qu’il finit paradoxalement par nous mettre à distance comme ce premier plan fracturé de Gaspard Ulliel en légère plongée et qui ne semble pas raccord avec le contre champs sur les autres personnages et qui ressemble davantage à une coquetterie qu’à un choix de mise en scène. A force de réfléchir à une hypothétique symbolique, on se rend compte que la magie n’opère déjà plus.

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La suite se compose de dialogues vains, d’engueulades improbables, de conversations avortées et du mécanisme inéluctable qui se met en place et qui enferme chacun dans les rôles qu’on leur a distribués dans leur clan. En somme tout ce que nous pouvons retrouver lors d’un dimanche en famille. Pourtant cela sonne faux et l’on ne peut que déplorer le résultat sur-joué et hystérique en ce qui concerne Vincent Cassel. Ce n’est pas nouveau que ca gueule et que ça braille dans les films de Dolan et d’habitude on adore. On se rappelle notamment les deux scènes formidables où Suzanne Clément explose dans Laurence anyways. Il y a une colère authentique, viscérale, un besoin de faire entendre sa voix, sa différence, de crier justice ou de crier tout court parce que ras le bol de la connerie délétère et diffuse. Ici, même si l’on ressent la souffrance de la mère, la frustration du frère, la quête d’identité de la soeur et la formidable empathie de la belle soeur (Marion Cotillard qui est probablement celle qui s’en sort le mieux), on ne comprend rien de ce qui les attache et les sépare. Le décor et les costumes ne suffisent pas à les incarner, et si l’on réalise le décalage entre Louis, auteur renommé homosexuel et malade du sida et les siens, on ne conçoit néanmoins pas en quoi cette incommunicabilité est si dramatique. La pièce était en monologue et l’on comprend aisément pourquoi. Ici les dialogues sont parfois navrants, souvent répétitifs et les quelques tentatives d’approches deviennent une entreprise lassante et attendue.

“Il y en a qui sortiront bouleversés. Je suis sortie énervée et déçue. Mais bon, ce n’est pas la fin du monde.“

Juste la fin du monde est également ponctué de flash back mémoriels de Louis qui rejoue dans sa tête des scènes de sa jeunesse dans des plans surranés, avec le soleil qui pénètre dans le champ de la caméra nous aveuglant un  instant. On se croirait dans un clip pour Oliver’s people ou une marque de parfum bobo. Là aussi, Dolan nous avait habitués à ses ralentis, ses flous et ses essais en tout genre, parfois maladroits mais toujours sincères. Pourquoi alors les flous agacent-ils autant ici ? Peut être parce qu’ils sont utilisés environ 150 fois dans le film ? Ou peut être parce que le procédé accentue cette sensation de vide abyssal derrière l’image ?

On ne peut pas s’empêcher de se dire qu’à travers ce récit, Xavier Dolan imagine sa propre mort et son annonce faite aux siens. Que celui qui n’a jamais fantasmé cela lui jette a pierre. Mais pourquoi alors ne s’est-il pas juste inspiré de la pièce pour se l’approprier de façon plus intime, plus personnelle, plutôt que de rester dans ce tableau superficiel d’une famille qui nous indiffère ? Il faut dire aussi que le casting luxueux du film n’aide en rien. Nathalie Baye en provinciale rurale exubérante est aussi crédible que Carla Bruni en dame pipi.

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On l’attendait pourtant le dernier film du petit prodige québécois qui monte qui monte. Moi plus que d’autres probablement. Je le suis de près depuis ses débuts et même si j’ai pu comme certains être agacée par sa sur-médiatisation, ses maladresses, son arrogante jeunesse, je trouve que Xavier Dolan a un talent fou et indéniable. Ses films sont portés par sa rage de vivre et de raconter qui à elle seule ne suffirait pas sans son regard si singulier qui font que ses films sont traversés par ce quelque chose de plus en plus rare nommé cinéma. Oui je fais partie des inconditionnelles de Xavier Dolan mais là on l’aura compris, le charme n’a pas opéré. Question de point de vue me direz-vous. Il y en a qui sortiront bouleversés. Je suis sortie énervée et déçue. Mais bon, ce n’est pas la fin du monde.