LES DEUX AMIS, un conte atemporel

Avec son premier long métrage, Les deux amis, Louis Garrel nous raconte un « trouple » moderne entre amitié faillible, amour impossible, trahison inéluctable et Désenchantement clownesque.

Dans la famille Garrel je demande le fils. Louis, le beau Louis que l’on découvrit tout jeune dans Les innocents de Bertolucci puis dans Les amants réguliers de son père, Philippe. Deux films sur mai 68 qui à défaut d’annoncer une révolution en marche, dévoilaient un jeune talent à la beauté singulière entre romantisme et tourment contemporain dans la lignée d’un Jean-Pierre Léaud (qui n’est autre que son parrain). Depuis on ne le présente plus, il est devenu une icone du cinéma français d’auteur se baladant chez Honoré (souvent), Doillon, Dolan, Bonello, Valeria Bruni-Tedeschi (son ex-compagne), Brigitte Sy (sa mère) et bien sûr chez Philippe Garrel.

Le cinéma de papa

Il y a des familles de cinéma qu’on aime tout particulièrement. Parce qu’elles nous sont familières d’emblée, évoquent un cinéma qu’on aime, nous convient à leur table d’un film à l’autre et tissent des liens dans nos vies qui nous (r)attachent et nous relient. En ce qui me concerne, la famille Garrel en fait partie. J’ai découvert le père Philippe quand j’allais visionner des films à ce qui s’appelait encore la Vidéotheque de Paris, entre deux séances du Quartier latin. Le premier film que je découvris fut J’entends plus la guitare. Puis ce fut Les baisers de secours  (déjà avec Louis enfant), La cicatrice intérieure, La naissance de l’amour, autant de titres à la poésie parfaite et révélateurs d’un cinéma intimiste dans lesquels on était heureux de croiser Lou Castel, Yann Collette, Brigitte Sy, Jean Pierre Léaud, Benoit Régent et le regretté Maurice Garrel (dans la famille Garrel, le grand père donc).
Louis Garrel est le fruit de cette génération underground qui a vécu les années 60, Nico (qui fut la compagne de Philippe) et les Velvet, mai 68, à l’aube de la Nouvelle vague et d’un cinéma plus expérimental et plus artisanal, comme le montre le dernier film de Philippe Garrel, L’ombre des femmes.

On pourrait lui opposer le privilège de sa naissance, car le petit Louis est tombé vite dans la marmite du cinéma d’auteur, mais ce qui émeut dans son film c’est bien sa façon de vouloir rendre hommage à cet héritage-là tout en s’en affranchissant (parfois maladroitement) et en affirmant ses différences. Vendredi dernier à la conférence de presse lilloise, il affirmait se référer autant à du cartoon, qu’à Michel Blanc ou Cassavetes. Ca en agace certains. Moi, ça me touche. Comme me touche son film dans sa velleité à trop vouloir raconter. Il y a quelque chose de très juvénile dans son film, de presque indigeste par moment, mais toujours plein de vivacité et de débordements.

« Leur seul but, c’est d’être aimé »

Difficile de résumer Les deux amis, tant les personnages courent tous dans tous les sens et nous perdent parfois un peu. Les deux amis peint la rencontre de trois jolis losers sans but ni ambition précise. Clément (Vincent Macaigne), figurant de cinéma est tombé fou amoureux de Mona (Golshifteh Farahani) qui travaille dans une sandwicherie à la gare du nord. Clément ne comprend pas que Mona le repousse et lui refuse une soirée. Mais ce qu’il ignore c’est que Mona est en semi-liberté et doit rentrer le soir en prison.  Quand Abel (Louis Garrel), le meilleur ami de Clément s’en mêle, le chassé croisé ressemble de loin à la course de Jules et Jim le long de la voie ferrée. De loin seulement, car dans ce film, si l’on n’ignore pas les références de Garrel (fils), on doute un peu de l’authenticité des caractères. A trop vouloir s’échapper et enchainer les actions, il s’éparpille et nous égare. C’est en effet dans les scènes les plus lentes, qu’il nous raccroche à nouveau. Le film fait donc yoyo entre de très beaux moments (la scène de danse de Mona dans le bar, le dialogue entre Clément et Abel dans la chambre d’hôtel où ils réalisent que leur amitié est dépourvue de sens) et des moments presque inutiles comme la scène initiale où Abel est entourée de deux prostituées asiatiques. Garrel multiplie les informations sur ses personnages semblant oublier que la simple évocation est souvent plus efficace. Pourtant il revendique la référence au clown (et à Pierre Etaix) qui aurait du le mettre sur cette voie plus allusive.

Louis Garrel s’est donné un rôle central non emprunt d’auto-dérision où il campe un écrivain raté assez égoiste et dont l’amitié envers Clément s’avère plutôt vaine. C’est d’ailleurs dans cette interrogation sur l’amitié que le film est le plus intéressant. Clément et Abel sont amis pour échapper à leurs solitudes et faire face à la vie main dans la main. A deux c’est plus facile. Mais sont-ils vraiment bienveillants l’un pour l’autre ? Clément voit Abel comme un modèle, un ami solide, capable de l’aider et le réconforter avant de réaliser qu’Abel ne fait que l’enfoncer dans sa fragilité et profite de sa vulnérabilité pour apparaitre fort. Leur rapport de force s’inverse dans un registre tragi-comique laissant place aux scènes burlesques de l’hôtel aux dialogues enlevés (le film est co-écrit avec l’excellent Christophe Honoré). Abel et Clément ne sont plus amis, ainsi en a décidé Clément. La différence ? « C’est que là, je ne te paie plus ton coup à boire ! ».
L’amitié n’est finalement pas très éloignée de l’amour, on y projette nos propres désirs, nos propres envies entre mise à nu et faux semblants et avant tout on répond à notre inexorable besoin d’être aimé.

Le charme de Louis Garrel et de son film réside dans l’atemporalité de son sujet comme de ses personnages. On sent qu’il est bercé entre l’héritage d’une génération révolue et celui d’une nouvelle génération. Christophe Honoré l’avait bien compris en le choisissant pour incarner Nemours dans son adaptation moderne de La princesse de Clèves, La belle personne.

Louis Garrel n’est pas un coureur de fond, il accélère pour mieux ralentir et son film me fait penser à mon ami Carel qui, en pleine embrouille avec un type du genre agressif, après une courte hésitation, lui avait écrasé sa glace en plein visage, m’avait attrapé la main et s’était mis à courir, m’embarquant dans sa fuite. Les deux amis c’est un peu un cornet de glace en pleine face.

CONTES CRUELS DE LA JEUNESSE DE OSHIMA

Makoto aime se faire ramener le soir en voiture en faisant du stop. Mais un soir, l’homme qui la ramène essaye d’abuser d’elle. Kiyoshi, étudiant gigolo et délinquant à ses heures, l’aide à se sortir de cette mauvaise passe et Makoto tombe amoureuse. Elle quitte son père et sa soeur ainée pour s’installer avec Kiyoshi qui pourtant n’est pas tendre avec elle. Il n’hésite pas lors d’une virée à la jeter à l’eau ni à la forcer à faire l’amour avec lui. Mais elle veut croire qu’il l’aime, maladroitement, violemment parce qu’il ne sait pas faire autrement.  Ensemble, ils continuent de racketer des hommes riches en les menaçant de les dénoncer à la police après qu’ils ont fait des avances à Makoto. Ils vivent dans le minuscule appartement de Kiyoshi et bientôt Makoto tombe enceinte. Kiyoshi veut se débarasser du bébé et laisse Makoto désespérée, soumise à cet amour cruel. Sa soeur ainée Yuki a pourtant bien essayé de la prévenir ayant elle-même vécu une passion amoureuse destructrice qu’elle avait quittée pour un homme plus âgé, plus rassurant, et pourtant…

Film emblématique de la nouvelle vague japonaise et deuxième volet de la Trilogie de la jeunesse, Contes cruels de la jeunesse ne sortira en France qu’en 1986. Jugé subversif et malsain, le film est d’une modernité époustouflante tant sur le plan esthétique (gros plans décadrés, faux raccords, son décalé ou amplifié) que sur le plan narratif. Oshima peint un Japon en pleine recontruction et une jeunesse fougueuse, rebelle et désabusée. Ces contes ont de cruel ce constat social et politique d’une époque sans espoir. Même le père de Makoto est totalement démuni et ne se bat pas pour raisonner sa fille pourtant mineure. Dans une des plus belles scènes du film, Makoto vient de subir un avortement et alors qu’elle se réveille doucement avec Kiyoshi à ses côtés, la soeur de Makoto vient rendre visite à son ancien amant qui n’est autre que le médecin ayant pratiqué l’intervention. Ils parlent tous les deux en hors champ, la caméra est posée sur le visage de Kiyoshi et on les entend se remémorer leur amour et leur insouciance révolue. Yuki avoue qu’elle aimerait « être comme Makoto et retrouver sa jeunesse perdue ». Kioshi penché au-desssus de Makoto encore endormie, semblant lui répondre, dit : « A la différence de vous, nous n’avons pas de rêve ». Tout est dit. Ils sont prisonniers d’un temps suspendu, enfermés dans leur course statique sans horizon, étouffant dans la chaleur moite d’un été sans fin. Ne reste que la larme au coin de l’oeil de Makoto annonçant leur fin inéluctable.

Oshima qui réalisera plus tard le « scandaleux » L’empire des sens, n’a que 28 ans quand il filme cette fureur de vivre avec un érotisme et une violence déconcertante. Chef d’oeuvre à (re)découvrir d’urgence en salles.