THEO ET HUGO DANS LE MEME BATEAU NOMME DESIR

Une rencontre dans un bar à baise gay, la montée du désir, l’orgasme, une balade de nuit dans l’est parisien, la peur de transmission du virus HIV et la naissance de l’amour. Tout ça en temps réel (ou presque).  Avec Théo et Hugo dans le même bateau, Olivier Ducastel et Jacques Martineau reviennent en beauté sur une histoire d’amour menacé de mort, dix huit ans après  Jeanne et le garçon formidable.
Un film qui donne envie de monter à bord de leur bateau nommé désir et d’aimer, baiser et vivre. Et de suivre de près ces deux garçons formidables que sont Geoffrey Couet et François Nambot !

Théo est nu dans un sex club comme tous les autres hommes autour. Tout le monde baise autour de lui, se suce, se caresse, s’enfile, s’embrasse. L’impact (le nom du sex club) sent bon le cul, le désir, le foutre. Rien de glauque au contraire, juste une ode à l’amour physique sur fond rouge et bleu (comme dans Pierrot le fou). Théo lui regarde un couple sur une estrade. Ou plutôt un homme qui d’emblée l’attire. Il se laisse embrasser par un type tout en gardant les yeux ouverts sur l’homme en question, Hugo. Un autre homme vient vers lui et il enfile un préservatif. Sur le rythme de musique electro, il le pénètre pendant qu’Hugo fait de même avec son partenaire.

Plan magnifique que ce close up sur leurs deux visages se rencontrant la première fois, chacun étant au dessus de partenaires devenus invisibles. Ils s’embrassent et se sourient. Frissons de la rencontre, du plaisir partagé et de la magie indicible qui s’appelle désir. De leurs baisers naissent des caresses. Théo et Hugo se goûtent, se reniflent, se découvrent. Théo pénètre Hugo. Plus fort demande Hugo. Cette baise relève d’un petit miracle. Ils savent tous les deux que quelque chose vient de se passer entre eux, au-delà de l’alchimie des corps, et d’une attirance qui les dépasse.

Il remontent s’habiller, sortent en silence et se retrouvent dans la nuit déserte loin des projecteurs rouges et bleus. Ils se suivent à vélo. Hugo dit à Théo qu’il a trouvé ça spécial entre eux, qu’il a aimé sa queue, qu’on peut d’ailleurs tomber amoureux d’une queue. Théo est d’accord, lui aussi a trouvé ce moment unique. C’est tellement vrai qu’il en a oublié de mettre une capote. Hugo panique. Il est séropositif. Après un coup de fil à Sida info service, Hugo escorte Théo jusqu’à l’hôpital pour un traitement en urgence. Théo est déjà loin, en colère contre lui, contre Hugo. Hugo le rejoint, il ne veut pas le laisser vivre ça tout seul.

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Alors que la nuit s’achève doucement, Théo et Hugo se racontent, s’inquiètent, courent comme pour fuir leur inexorable attirance, s’enlacent, se promettent une histoire d’amour. Théo et Hugo se mettent à s’aimer et le jour se lève.

Là où Hong Sang Soo raconte toujours les débuts de la rencontre amoureuse par les mots, les regards, les hésitations, Ducastel et Martineau racontent d’abord les corps dans une scène d’ouverture entêtante qui ressemble presque à un ballet. Pour ne pas oublier que pour s’aimer il faut d’abord se désirer. Beaucoup, à la folie parce qu’un jour peut être ce sera « pas du tout ». Parce qu’il n’y a pas de drôles d’endroits pour une rencontre, parce que seul compte ce qui suit, ce qui donne envie de prolonger l’instant, de le répéter à l’infini, de se lier à l’autre.

Le film évolue au rythme « réel » de l’errance nocturne de Théo et Hugo (on pense évidemment à Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda), entre la menace de la maladie et l’angoisse de la mort. Rien de tel pour se sentir encore plus vivants.

CE SENTIMENT DE L’ETE ou comment survivre à l’absence de l’autre

Sasha vit à Berlin avec son amoureux Lawrence. D’une minute à l’autre, tout bascule quand Sasha s’effondre dans un parc en plein coeur de l’été. Ce sentiment de l’été défile sur trois années entre Paris, Berlin et New York et capture le temps qui passe, la vie qui continue après un deuil.
Un film d’une douceur mélancolique et d’une beauté solaire saisissante.

La famille de Sasha réunie à Berlin après le drame s’affaire à organiser au mieux le rapatriement du corps de leur fille. C’est une famille soudée, belle, pleine d’amour. On est loin des portraits de famille conflictuelle entre mesquinerie, remords, coups bas, culpabilité ou désamour. Ils pourraient presque énerver tant ils sont bienveillance et douceur. Tout comme Zoé (Judith Chemla), la soeur de Sasha qui n’est que sourire. La vie doit continuer et Lawrence (Andres Danielsen Lie, toujours aussi formidablement juste et touchant) finit par quitter Berlin. Son errance semble suspendue à un temps estival qui se déplace d’une grande ville à une autre. L’été suivant, Lawrence le passe à Paris et retrouve Zoé. Entre eux l’attirance est certaine, ils se comprennent, se ressentent, ont en commun cette figure disparue qui les relie à jamais. Puis vient New York, cité solaire, où le temps d’une escale, Zoé retrouve Lawrence revenu vivre dans sa ville.

Ce sentiment de l’été nous emmène avant tout dans ce qu’il y a de plus essentiel laissant de côté les sentiments inutiles, parasites comme l’amertume ou la colère. La vie suit son cours inexorable et chacun doit continuer sa route en acceptant de laisser le temps alléger leur peine . Si les accents rohmériens sont perceptibles dans le film de Hers, on ne retrouve pas la verve chère à Rohmer. Ici la place est moins aux mots qu’aux fils invisibles qui nous relient les uns aux autres et nous permettent d’avancer. Il y a tant d’amour dans ce film que c’en est renversant. Derrière les mots de rien, les blagues d’une mère à son fils, les questionnements d’un ami « grilleur de steak » dans un restaurant, le regard troublé de Ida ou l’approbation de Zoé en plein concert, se cachent les émotions indicibles, celles qui nous tiennent debout. Lawrence erre d’une ville à l’autre, croit ne pas pouvoir y arriver. Il ne sait pas encore que depuis tout ce temps, il n’a jamais quitté la route. Celle vers la vie.

Peace, love … but fuck them !

Difficile d’écrire en ce moment. Difficile de travailler, difficile de penser à autre chose, difficile de regarder des films l’air de rien sans vérifier toutes les cinq minutes les dernières infos sur Twitter ou sur les sites d’informations. Ca va revenir bien sûr, c’est comme le vélo, ça ne se perd pas. Mais c’est dur.

Je pense à tous ceux qui s’activent depuis vendredi, à nos politiciens, aux forces de l’ordre, au corps médical, aux spécialistes qui courent d’un plateau télé à une radio, aux journalistes, tous mobilisés pour apporter des réponses, rassurer, informer, analyser, débattre, soigner, déclarer la guerre. Je pense aussi à tous les autres, aux commerçants qui rouvrent boutique, aux conducteurs de métro, aux restaurateurs, aux coiffeurs, aux enseignants, à tout le monde en fait qui continue de vivre, de travailler quand moi je n’arrivais à rien ces derniers jours. Complètement down. Parce qu’avant tout je pensais à tous ces visages que je n’arrivais pas à quitter des yeux dans la nuit d’effroi de vendredi. Je regardais défiler ces inconnu(e)s qui étaient recherchés, je lisais leur prénom, je pensais à leurs familles, à l’attente insoutenable, l’inquiétude indicible entremêlée d’espoir. La suite on la connait, les disparus ont été identifiés, certains morts d’autres blessés. Un cauchemar. Je me suis souvent dit que l’une des pires morts doit être celle qui est du fait d’un gros con à qui on n’a rien demandé. Comme mourir renversé par un abruti de chauffard complètement bourré au volant de sa voiture ou tuée par un chasseur qui se serait trompé de cible ou encore assassiné par un pauvre type dérangé. En fait ce qui est inacceptable c’est de ne pas trouver du sens. Nous les humains, on aime bien ça le sens. Alors mourir pour rien parce qu’une bande de malades mentaux a décidé de remonter le temps et partir en croisade contre des pervers occidentaux de 2015, forcément ça fout les boules. Surtout qu’ils n’ont toujours pas capté que l’autre truc qu’on aime bien, c’est jouir de la vie. Jouir tout court aussi. Et que ça, c’est immuable, ça fonctionne comme ça depuis la nuit des temps et partout sur notre petite planète. Ca s’appelle la vie.

Du coup depuis vendredi je ressens comme un gros besoin de rester en lien avec mes pairs, sur les réseaux sociaux, dans les cafés, au téléphone, place de la république. Sentir qu’on est de la même espèce, qu’on partage les mêmes envies, Et pour rester connecté rien de tel que les réseaux sociaux . Alors bien sûr, on se retrouve à voir passer les mêmes posts partagés des dizaines de fois, à découvrir des tweets nauséabonds, puis des messages tout plein d’amour de certains rescapés, à lire des portraits de héros, à se demander comment on survit à un truc pareil quand en plus on a perdu sa femme dans cet absurde massacre. Et juste après on se dit aussi qu’il y a plein d’autres catastrophes, et même certaines dont tout le monde se fout, que c’est étrange d’ailleurs ce truc de distance qui hiérarchise nos émotions, à moins que ce ne soit le traitement médiatique ? On se demande si ce n’est pas un peu cucu aussi cet élan de solidarité, pas un truc pour cacher la misère. On se demande lequel a raison, celui qui veut faire la guerre ou celui qui explique que c’est bien plus compliqué. Et puis on se raccroche à nouveau à tous ces beaux témoignages de vie et d’amour, ces coups de gueules des jouisseurs que nous sommes, on se dit que tout ça est surtout bien plus simpliste voire binaire que la réalité du problème mais que bon tant pis, parce que l’amour, la solidarité, la fraternité, la liberté, sont des valeurs tellement fondamentales que ça fait du bien par où ça passe. Bien sûr qu’il faudrait changer plein de choses dans notre société, dans notre politique étrangère, dans notre système éducatif, dans nos relations commerciales avec certains pays fondamentalistes. On se dit qu’il y a vraiment plein de choses à faire pour changer le monde. Mais là pour le moment, laissons-nous encore un peu le temps de pleurer, rire et pleurer encore, danser, boire et chanter, parler, aimer. Parce que ça, c’est vraiment simple*.

Parmi toutes les vidéos, les messages, les témoignages que j’ai pu voir passer ces derniers jours, celle qui m’a redonné la patate, c’est celle de John Oliver. Je sais c’est idiot, c’est bourré de clichés sur la culture française mais 1) ca fait du bien ces « fucking » insultes sans bip, 2) c’est vrai que la culture nous sauve et nous sauvera toujours tout comme l’éducation, 3) c’est forcément touchant de se sentir appartenir à une communauté aimée, honorée et respectée.

*Comme quoi ils sont vraiment trop cons ces terroristes

HOLD UP

J’ai tellement envie d’être à Paris là, noyée dans une illusoire effervescence, dans l’immensité des possibles, dans les rencontres des coins de rue, dans le brouhaha d’un bar, perdue dans une foule insurrectionnelle, scandant des cris, chantant dans le métro et nous rappelant à l’évidence communautaire. Halte à l’individualisme ! Marre de rouler Total pour remplir un frigo vide de sens. Les légumes ne poussent pas dans le béton. Faudrait voir. Puiser toujours de l’énergie en nous mais aussi chez l’autre, celui d’en face avec qui on partagerait bien un bon repas (ou un mauvais, c’est pas si grave). Suffit de traverser la rue. Mais pas simple en ville, c’est la barrière de la bienséance bien-béante, celle qui fait qu’on s’ignore. Et pourtant les gens sont tellement capables d’amour, c’est juste super beau parfois. Suffit de trouver un truc qui rassemble, une cause, une belle idée, une révolte, un ras le bol. Halte aux injustices ! et à la solitude des peuples !

On dirait qu’on se retrouverait tous et qu’on fabriquerait un tout autre monde sans guerre, sans dictateurs, sans maladies, sans souffrance, sans inégalités, sans violence, sans maltraitance, sans avoir à se dire que de toute façon la liste est bien trop longue. On dirait que ce serait la sixième république et que les gens arrêteraient de se demander où est le bonheur.

Si au fond il fallait le kidnapper ce bonheur ? Descendre dans la rue et aller le chercher pour mieux le partager ?