L’AMANT D’UN JOUR ou Garrel l’éternel amoureux

Dernier volet d’un triptyque vibrant comprenant L’ombre des femmes et La jalousie, L’amant d’un jour questionne encore et toujours la passion amoureuse, la fidélité et la fragilité du désir. Film D’une simplicité bouleversante.

Gilles (Eric Caravaca), professeur de philosophie émérite est amoureux d’une de ses étudiantes, Ariane (Louise Chevillote). Ariane s’est installée chez lui depuis trois mois mais en dehors, leur histoire reste secrète. Jeanne la fille de Gilles (Esther Garrel), désespérée après sa rupture avec le premier homme qu’elle n’ait jamais aimé, s’installe chez son père et sa jeune maitresse pour se remettre debout. Bientôt les deux jeunes femmes du même âge s’épaulent et le trio improbable s’entend à merveille même si bien sûr chacun doit trouver sa place au coeur de cet entremêlement d’amour paternel, passionnel et fusionnel.

Depuis quarante ans qu’il fait des films, Philippe Garrel continue son travail d’artisan indépendant avec le même élan et la même sincérité. Il explore l’infinité des possibles amoureux et tente d’extraire l’essence que revêt chaque histoire, unique et pourtant fondamentalement la même : un homme et une femme, la peur de souffrir, de perdre l’être aimé, la jalousie, l’infidélité parfois inéluctable, la passion qui dévore, le manque irrépressible de l’autre. Garrel se réinvente sans cesse dans une variation inépuisable autour de l’amour, il capture ses déchirures comme ses émois de façon organique et sensuelle. Chacun de ses films apparait comme le premier, neuf, bouleversant, enveloppant.

L’amant d’un jour soulève aussi la question de l’amour durable et de la fidélité. Peut-on aimer longtemps, aimer toujours la même personne avec autant de passion et de désir ? Ariane aime la vie, le sexe, les hommes d’un jour parce que dans le fond elle a encore plus peur de perdre Gilles que l’inverse. En couchant avec d’autres hommes, elle évite avant tout d’être trompée « sans préavis ». La fidélité c’est aussi et avant tout être fidèle à soi-même, y compris à ses peurs. Jeanne, elle, ne connait pas l’amour physique, celui débarrassé de tout sentiment, d’attache et de souffrance. Son amour romantique pour Mattéo lui donne des envies suicidaires. « Je veux qu’il sache combien il me fait souffrir. » Alors que l’une déconstruit malgré elle sa relation en surestimant les limites de Gilles, l’autre refuse de plonger son amour dans l’oubli. Quant à Gilles, il refuse de souffrir et garde la distance de l’homme qui sait qu’il n’ira pas si loin au jeu du désir possiblement destructeur.

Dans un noir et blanc somptueux, L’amant d’un jour  apparait comme un nouveau tableau du maitre assagi Garrel qui continue de nous prouver que le cinéma c’est avant tout des visages et des corps qui se meuvent. Rien d’autre.

Mon roi, hypnotique et carthartique

Le dernier film de Maiwenn, Mon roi, est encore un film où je suis allée à reculons à force d’entendre et de lire combien c’était un film hystérique et gesticulant. Je suis ressortie comme une reine qui venait de trouver son roi. Un grand film sur la passion amoureuse qui apparemment ne fait l’unanimité que chez les femmes. Ce qui relance le débat des différences hommes-femmes. Et de la question du regard.

monroi

Un paysage de montagne infiniment blanc, presque oppressant. Une femme, Tony (Emmanuelle Bercot), le regard déterminé s’élance avant de dévaler la pente comme si elle se jetait dans le vide. Résultat : une chute, rupture des ligaments croisés, genou en compote, et une longue rééducation dans un centre de Biarritz. La psychologue qui la suit lui suggère une piste de réflexion. Un accident n’est jamais anodin ni le fruit du hasard. Pourquoi a t-elle croisé ses skis ce jour-là ? Pourquoi s’est-elle blessée au genou ? Elle souligne que le genou c’est un peu le « je/nous ». On dirait du Jacques Salomé.
Tony apprend à remarcher et se rappelle sa rencontre avec Giorgio. Commence alors l’autopsie de leur relation.

Tony rencontre Giorgio (Vincent Cassel) dans un bar en fin de soirée. Elle trempe sa main dans un seau à glace et lui envoie des gouttelettes au visage en lui demandant s’il la reconnait. Bien sûr qu’il la reconnait, il ne se souvient plus d’où mais l’important c’est de se rappeler son visage, non ? Peut être aurait-elle déjà du se rendre compte à ce moment-là qu’il était grande gueule et que c’était le roi des connards. D’ailleurs ne le lui avoue-t-il pas dès la première nuit comme il lui avoue tout de suite qu’il l’aime, de façon immédiate ? Car Giorgio est du genre entier, à aimer totalement et désaimer en un clin d’oeil. Une sincérité fulgurante mais qui s’efface aussitôt.  De ces hommes qui nous rappellent que l’amour est grand, irrationnel et indomptable. Pourtant très vite, Tony va découvrir que Giorgio lui ment. Pas par méchanceté, mais parce qu’il ne sait pas faire autrement que s’entourer de jolies filles, satisfaire ses addictions et découcher. Le réveil est difficile pour Tony, déjà enceinte de lui, elle qui aura attendu longtemps de faire un enfant pour justement ne pas se tromper. D’ailleurs Giorgio lui dit plein de bon sens qu’elle l’a connu comme ça, aimé pour ça et détesté pour les mêmes raisons. Quitte-t-on vraiment quelqu’un pour ce qui nous a plu au départ ? Sûrement un peu. Mon roi questionne aussi sur combien on se ment d’abord à soi même.

De loin on pourrait facilement se demander pourquoi Tony s’obstine à rester avec un homme qui l’aime bien mal – le frère de Tony, Solal (formidable Louis Garrel, léger, drôle, bienveillant) joue d’ailleurs ce rôle tampon de spectateur extérieur. De loin seulement car le talent de Maiwenn est bien de nous embarquer au coeur même de leur histoire. Sa caméra est fluide et suit les personnages à la volée dans des (dé)cadrages serrés. On les suit pas à pas, dans l’instantanéité du plan, dans l’espace qu’ils occupent, on partage leur euphorie comme leur souffrance, on virevolte du tragique au comique. Maiwenn avait déjà largement utilisé ce procédé très « cinéma vérité » dans Polisse où elle poussait ses acteurs à ne plus jouer, à être, confondant ainsi la vie et la fiction de façon vertigineuse pour eux comme pour nous. Ca passe ou ça casse. Ici on sent qu’elle pousse son procédé encore plus loin, aucun retranchement possible. Emmanuelle Bercot n’en est que plus émouvante et Vincent Cassel plus hypnotique. Pourtant le film fait débat et certains critiques (masculins surtout faut bien le dire) semblent trouver le film « hystérique ».
Personnellement j’ai envie de dire « un peu court jeune homme ! ». Car avouons-le, si Cassel joue le roi des connards, il n’en est pas moins irrésistible. Ce qui ne veut pas dire que nous les femmes aimons les connards. Non, en fait ce qu’on aime c’est qu’un homme soit capable de s’arrêter net pour nous demander de lui faire un enfant, nous fasse rire, nous bouscule, nous surprenne à chaque instant. Si en plus il a le charme et le sourire de Vincent Cassel, franchement que celle qui résiste lève la main.

Alors bien sûr il y a du pathétique dans cette obstination à ne pas renoncer à un amour condamné (et condamnable) et on pense aux grands romans du 19ème où l’heroine allait jusqu’à se laisser mourir d’amour. Tony, elle, est bien une héroine moderne, elle refuse de subir,  continue d’avancer, de se battre même si elle a du mal à oublier Giorgio.

L’amour est parfois aussi irréversible qu’incompatible mais continue d’exister au-delà de tout possible. Avec Mon roi, Maiwenn nous raconte une simple histoire d’amour, unique et universelle, qui touche aux émotions primaires. Rien d’hystérique là dedans.

 

MES SEANCES DE LUTTE : Je t’aime moi non plus

Deux maisons de campagne voisines. Dans l’une, Sara Forestier venue disputer son piano en héritage suite au décès de son père. Dans l’autre, James Thierrée, avec qui jadis elle flirta un peu. Ils se retrouvent et se titillent, se chamaillent, se provoquent, s’attirent pour mieux se repousser, se désirent mais préfèrent se battre. Pour notre plus grand ennui.
Le combat dans la boue

Sara Forestier, cheveux filasses et seins qui pointent, est en colère dès le départ. Parce que son père n’a même pas eu la délicatesse de lui léguer la seule chose qu’elle voulait, son piano. En colère aussi contre son beau voisin avec qui elle a passé une nuit de sexe avortée il y a quelques mois. Elle lui reproche de ne pas avoir eu l’audace de la retenir dans son lit alors que pendant tout le film elle s’obstine à se refuser à lui. Commencent alors d’interminables séances de lutte physiques et verbales à la chorégraphie penchant parfois vers l’absurde et dénuée de tout érotisme. Ils se battent pour se prouver qu’ils n’ont pas envie de la même chose, ce qui est évidemment vain puisque clairement ces deux-là s’attirent. De quoi ont-ils peur ? De l’amour ? De souffrir ? De s’attacher ? De l’absence ? Ils se battent avant tout contre eux mêmes. Mais le théâtre de leurs séances devient un jeu risqué où le seul but est de se refuser à l’autre et leur lutte, loin d’être animale,  ressemble un jeu d’enfants qui tourne mal.

 Une de leurs positions improbables

Que veut nous montrer Jacques Doillon ? Un amour platonique comme seul exutoire d’un amour voué à l’échec ? Une lutte du corps et de l’esprit ? Une tendance masochiste trop longtemps étouffée ? Car c’est bien l’un des problèmes du film, que de mélanger les genres, entre dialogues rohmériens, kung fu amateur, scènes de non baise et parler cru. A force d’annihiler leurs sentiments (pour mieux les exacerber), Doillon annihile notre intérêt (qui lui ne se réveille pas). On se détache complètement des personnages et ce qui nous est donné à voir semble aussi dérisoire que ridicule. Ainsi quand lui l’enroule dans le tapis pour mieux la retenir, ou quand ils se reniflent dans un tas de sable près de la bétonnière ou encore quand ils s’enlacent dans des positions et des lieux improbables (formidable cunnilingus dans l’escalier), on a plutot envie de sourire que d’éprouver ce qu’ils vivent. Il faut attendre une heure avant qu’ils s’embrassent (pour mieux se gifler derrière) et vingt minutes de plus, avant qu’enfin elle lui donne le mode d’emploi pour « bien la baiser ». C’est la scène de l’affiche où ils décident de se rouler dans l’eau croupie, se couvrir de boue et lui de la sodomiser.  C’est aussi excitant que d’imaginer faire l’amour adossée à un cactus.

Les cages d’escalier et leurs possibles

Mes séances de lutte aurait pu s’appeler « Catch me if you can » (mais en moins drôle) et on aurait franchement aimé qu’il l’attrape la première fois pour nous éviter ça.  Jacques Doillon, grand cinéaste par ailleurs, nous avait habitués à mieux. Seul bon point du film, la présence du très beau James Thierrée, acteur trop rare au cinéma.

CONTES CRUELS DE LA JEUNESSE DE OSHIMA

Makoto aime se faire ramener le soir en voiture en faisant du stop. Mais un soir, l’homme qui la ramène essaye d’abuser d’elle. Kiyoshi, étudiant gigolo et délinquant à ses heures, l’aide à se sortir de cette mauvaise passe et Makoto tombe amoureuse. Elle quitte son père et sa soeur ainée pour s’installer avec Kiyoshi qui pourtant n’est pas tendre avec elle. Il n’hésite pas lors d’une virée à la jeter à l’eau ni à la forcer à faire l’amour avec lui. Mais elle veut croire qu’il l’aime, maladroitement, violemment parce qu’il ne sait pas faire autrement.  Ensemble, ils continuent de racketer des hommes riches en les menaçant de les dénoncer à la police après qu’ils ont fait des avances à Makoto. Ils vivent dans le minuscule appartement de Kiyoshi et bientôt Makoto tombe enceinte. Kiyoshi veut se débarasser du bébé et laisse Makoto désespérée, soumise à cet amour cruel. Sa soeur ainée Yuki a pourtant bien essayé de la prévenir ayant elle-même vécu une passion amoureuse destructrice qu’elle avait quittée pour un homme plus âgé, plus rassurant, et pourtant…

Film emblématique de la nouvelle vague japonaise et deuxième volet de la Trilogie de la jeunesse, Contes cruels de la jeunesse ne sortira en France qu’en 1986. Jugé subversif et malsain, le film est d’une modernité époustouflante tant sur le plan esthétique (gros plans décadrés, faux raccords, son décalé ou amplifié) que sur le plan narratif. Oshima peint un Japon en pleine recontruction et une jeunesse fougueuse, rebelle et désabusée. Ces contes ont de cruel ce constat social et politique d’une époque sans espoir. Même le père de Makoto est totalement démuni et ne se bat pas pour raisonner sa fille pourtant mineure. Dans une des plus belles scènes du film, Makoto vient de subir un avortement et alors qu’elle se réveille doucement avec Kiyoshi à ses côtés, la soeur de Makoto vient rendre visite à son ancien amant qui n’est autre que le médecin ayant pratiqué l’intervention. Ils parlent tous les deux en hors champ, la caméra est posée sur le visage de Kiyoshi et on les entend se remémorer leur amour et leur insouciance révolue. Yuki avoue qu’elle aimerait « être comme Makoto et retrouver sa jeunesse perdue ». Kioshi penché au-desssus de Makoto encore endormie, semblant lui répondre, dit : « A la différence de vous, nous n’avons pas de rêve ». Tout est dit. Ils sont prisonniers d’un temps suspendu, enfermés dans leur course statique sans horizon, étouffant dans la chaleur moite d’un été sans fin. Ne reste que la larme au coin de l’oeil de Makoto annonçant leur fin inéluctable.

Oshima qui réalisera plus tard le « scandaleux » L’empire des sens, n’a que 28 ans quand il filme cette fureur de vivre avec un érotisme et une violence déconcertante. Chef d’oeuvre à (re)découvrir d’urgence en salles.