FORTUNA, portrait gracieux d’une jeune exilée

Une jeune exilée éthiopienne trouve refuge dans un monastère des Alpes suisses et voit sa sa vie basculer à nouveau quand elle attend un enfant. Démunie, elle cherche ses réponses dans la paix de ce lieu entre recueillement et prière. Un film qui questionne notre humanité avec bienveillance et tolérance.

Une communauté de religieux nichée au coeur de la montagne suisse accueille des réfugiés. Parmi eux, une jeune fille éthiopienne de 14 ans, Fortuna, s’y trouve en attendant d’être accueillie par une famille. Elle passe ses journées à s’occuper des bêtes, en particulier de l’ânesse Clochette, à qui elle confie ses maux et son désarroi. Fortuna n’a plus rien et dans son exil, elle a perdu la trace de ses parents à qui elle adresse des prières tous les jours. Cette enfant sauvage et solitaire se retrouve d’autant plus seule quand elle réalise qu’elle est enceinte. Un seul plan suffit à nous révéler son secret alors que tout le monde est attablé et que Fortuna croise le regard de Kabir. La différence d’âge entre les deux pourrait laisser croire à un abus mais Fortuna est bel et bien amoureuse de Kabir. Du haut de ses 14 ans, elle ne voit pas l’homme qu’il est vraiment et ne s’étonne pas, quand ce dernier apprend la nouvelle, qu’il la tienne pour responsable et craigne pour son propre sort.

La genèse du scénario repose sur l’expérience de la compagne du réalisateur, Claudia Gallo, qui a travaillé auprès de jeunes roms dans la rue. De ces témoignages recueillis est née l’idée de raconter l’histoire de Fortuna en invitant le spectateur à épouser le point de vue de son personnage et de s’immiscer au plus près de ce qui l’anime, loin de tout jugement hâtif. Bruno Ganz (formidablement juste en chanoine supérieur) invite de son côté à la réflexion dans un magnifique échange avec l’éducateur qui suit Fortuna (Patrick d’Assumçao) et pose la question fondamentale du regard que l’on porte sur le destin des autres : pourquoi croire que ce qui est bon pour nous l’est forcément pour l’autre ? Pourquoi imposer notre propre vision et ne pas laisser l’autre juge même si cet autre n’est qu’une enfant ? Fortuna n’a plus rien, a tout perdu et cet enfant à venir est peut être devenu sa seule raison de vivre.

Dans un noir et blanc très (trop ?) stylisé, Germinal Roaux alterne les plans larges où le ciel se confond avec la terre recouverte de neige, obligeant ainsi le spectateur à dépasser le cadre (là encore, on devine une invitation à l’ouverture d’esprit) et les plans serrés sur le visage de Fortuna (bouleversante Kidist Siyum Beza), ses gestes, son regard désemparé et son sourire trop rare. On ignore tout de son passé mais les plans récurrents de mer houleuse nous laissent entrevoir et imaginer cette folle traversée qui la hante.

Une seule fois, Fortuna évoque ce souvenir de bateau entre odeur de vomi et de pétrole avec Kabir qui lui sait ce qu’elle a enduré. L’hiver rude semble interminable et Germinal Roaux rend magnifiquement compte de cet espace temps à travers des plans longs où les moindres petits gestes se déployent, où les silences résonnent au creux de la vie simple et paisible de cette communauté. Pendant tout le film, nous aussi nous trouvons refuge dans ce monastère auprès de ces religieux bienveillants mais néanmoins inquiets quand la police débarque et brusque leur voeu de silence. Le choix du noir et blanc n’y est pas pour rien et le réalisateur affirme d’ailleurs : « Mon souci est de rendre le spectateur actif, de lui donner un rôle, de l’inviter à réfléchir sur des questions essentielles de notre condition humaine. (…) Un film devrait pouvoir s’écrire dans le regard de celui qui le regarde. »

A travers le destin de cette jeune fille déracinée, FORTUNA rend hommage à tous ceux et celles poussés à l’exil qui tentent de renaitre dans un milieu souvent hostile. En nous incitant à regarder de l’autre côté du miroir, Germinal Roaux nous interroge sur notre capacité à comprendre l’autre avec empathie et balayer toute idée préconçue ou manichéenne. L’humanité est bien plus complexe et dans ce monde à la dérive on repense au vers de Paul Valéry « Le jour se lève, il faut tenter de vivre ». 

PRIMAIRE, une ode aux héros du quotidien : les profs

Hélène Angel revient après une longue absence avec un quatrième long métrage qui renoue avec le réalisme social de ses premiers films. Primaire est avant tout une ode aux éducateurs, aux passeurs et aux héros du quotidien.

Florence (Sara Forestier toujours aussi follement énergique et bouleversante) est une institutrice dévouée et élève seule son fils Denis, également élève de sa classe. Elle habite au sein de l’école dans les logements prévus pour le personnel tout comme le directeur (Patrick d’Assumçao) qui n’est autre que son voisin. Autant dire qu’elle vit, respire, pense l’école toute la journée. C’est d’ailleurs ce que lui reproche son fils qui ne rêve que d’une chose, rejoindre son père en Indonésie. Quand elle découvre la situation difficile de Sacha, un des élèves de sa collègue, elle s’investit entièrement pour tenter de trouver des solutions et face à l’hostilité de tous, finit par se perdre elle-même.

Les premiers plans du film montrent Florence en train d’apprendre à lire à une élève en soutien. La fillette se sent nulle mais Florence ne lâche rien, continue, persévère, persuadée que cette dernière va y arriver. Car Florence croit en ses élèves par dessus tout. Les grands yeux ronds de Sara Forestier suffisent à eux-mêmes à dessiner son personnage volontaire, généreux et empathique.
Hélène Angel filme la classe avec un réalisme quasi documentaire qui est sûrement la plus grande force du film au-delà du scénario touchant. Avec son chef opérateur (Yves Angelo), ils ont décidé de tourner à deux caméras, l’une fixe, l’autre sur rail pour « aller chercher l’enfant » et permettre au tournage de se dérouler sans gêner le naturel sans pour autant opter pour un filmage à l’épaule. Hélène Angel parvient ainsi à nous raconter le parcours de Florence, véritable héroïne anonyme du quotidien, en nous plongeant dans la réalité d’un métier en manque de reconnaissance. Elle suit toutes les étapes, des conseils de classe, aux séances de cantine, en passant par les cours et les préparations de spectacle de fin d’année avec le désir de coller à une réalité méconnue (la réalisatrice a passé deux ans dans des classes pour mieux comprendre ce métier). C’est là que le film devient le plus beau, quand il rend hommage à l’investissement de toutes ces personnes dédiées une tâche aussi noble que complexe : élever nos enfants (vers le haut). Loin d’être des faire valoir, les seconds rôles (le directeur, l’assistante d’éducation de l’élève autiste, les collègues…) sont d’ailleurs particulièrement bien écrits.

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Mais Primaire n’est bien sûr pas un documentaire et l’histoire de Florence est aussi le fil conducteur de ce récit initiatique qui prouve que l’on continue d’apprendre sur soi à chaque âge de la vie. En tentant désespérément de sauver Sacha, Florence se retrouve face à ses propres démons. Elle ne tolère pas que les adultes baissent les bras et se déresponsabilisent en faisant appel à d’autres autorités (les services sociaux). Elle ne tolère pas non plus que la mère de Sacha, Christina, abandonne ainsi son enfant seul chez elle. Elle va jusqu’à la rencontrer dans la boutique de luxe où elle travaille pour la sermonner.  Echappant à tous les archétypes sociaux, Christina (Laure Calamy qu’on a connu plus maternelle dans Rester vertical d’Alain Guiraudie !) est avant tout une femme qui revendique d’être femme avant d’être mère quitte à abandonner son propre fils. L’inverse de Florence donc qui s’oublie un peu et dont le monde s’écroule d’un coup quand son fils s’oppose à elle avec virulence ou quand Mathieu, l’ex de la mère de Sacha (Vincent Elbaz en beau livreur de sushi), lui renvoie une image d’elle comme étant frustrée et incapable d’investir sa propre personne, hors des murs de l’école. Plus rien n’a dès lors de sens pour elle et c’est à ce moment-là qu’elle est inspectée. La scène est formidable, Sara Forestier se livre aux enfants avec une sincérité clouante au lieu de répondre aux attentes conventionnelles.

Hélène Angel nous délivre avec Primaire un très beau portrait de femme moderne confrontée aux problématiques d’éducation, de solitude, de réalisation de soi dans une société toujours plus exigeante et parfois excluante (comme le prouve cette scène où les collègues de l’école ironisent entre eux sur la nouvelle réforme pensée par des gens qui ne connaissent rien à la réalité du terrain, il suffit d’avoir été prof pour le comprendre…). Sara Forestier incarne Florence avec une énergie contagieuse et est merveilleuse en mère courage. Un très beau film pour démarrer cette nouvelle année sous le signe de l’espoir.

Sortie : 4 janvier 2017
Durée : 1h45
Distribution : Studio Canal