CHACAL, une pièce de la Compagnie Pôle Nord

Chacal c’est l’histoire d’un type sans attache, en CDD (CDD liberté !) sur un chantier d’autoroute.

Il neige dehors et le chantier est interrompu. Le type sans nom rentre dans sa chambre d’hôtel et téléphone à sa compagne enceinte. Un accident précise-t-il. Pourtant Lucie, le futur bébé l’accompagne partout, comme pour là aussi (cf. Sandrine) le raccrocher à la vie. Il semble sans cesse chercher sa place au milieu des autres, sur le chantier, dans le bar, il se croit libre mais n’est en fait qu’un passager parmi les autres. Lucie c’est sa chance à lui de laisser une trace.
Et s’il a l’air de se foutre de tout, il interroge pourtant plusieurs fois son patron pour savoir si le turc s’est remis de son accident du travail ou s’il est mort. Il ne le saura jamais.

Interprétée par Damien Mongin, la pièce écrite pendant une période de pérégrinations des auteurs dénonce à nouveau cette précarité impitoyable qui oblige à s’effacer, à accepter l’inacceptable, à survivre d’un travail à l’autre en continuant d’espérer un changement, un ticket gagnant.

L’issue de Chacal ressemble à un horrible fait divers. Pourtant la pièce s’éloigne du réel pour nous emmener vers un autre lieu, celui de notre mémoire hachée, de notre pensée disloquée.

Lise Maussion et Damien Mongin écrivent lors d’atelier d’improvisation autour de thèmes qu’ils se suggèrent. Si certains qualifient leur créations de « documentaires », leur univers n’en demeure pas moins poétique et onirique. Comme un joli reflet d’une certaine misère.

SANDRINE ou la destinée d’une trieuse de verre

La Compagnie Pôle Nord présentait hier à l’Escargot (salle de spectacle à Vogue en Ardèche) son diptyque sous forme de répétition générale ouverte (et offerte) au public.

La première pièce du nom de son personnage, Sandrine, met en scène une femme seule, assise dans sa cuisine, semblant ne rien attendre, ne pas penser. Un coup de fil à sa mère brise le silence et l’on découvre peu à peu ce personnage blessé, avec sa voix haut perché, comme prêt à craquer à chaque instant. Elle parle de pas grand chose, de ce qui nous raccroche les uns aux autres, nous retient, nous éloigne un temps du vide, et nous rappelle finalement à cette absence de sens, à la précarité et aux solitudes absurdes de notre monde.

Sandrine a un nouveau voisin, Jean-François, vendeur de cuisine chez Mobalpa. Lui a l’entrain des gens heureux et essaye en vain de l’emmener dans sa minuscule vie, de créer des passerelles entre eux. Mais Sandrine est définitivement seule et déjà se noie.  Le reste du temps elle travaille comme trieuse de verre en CDI. Une chance ce CDI dit-elle, elle a un bon patron. Elle aime son travail, elle est même persuadée d’être faite pour ça, pour trier vite et bien. Elle répète les mêmes  gestes avec un sérieux et une ardeur immuables pendant qu’elle raconte à sa collègue Lætitia ce qu’elle a vu en 10 ans dans cette usine. Elle parle comme pour sentir un temps son existence couler dans ses veines.

Le soir elle rentre chez elle à pied, elle n’a plus de voiture à cause de toutes ces inondations et d’un accident de cachalot,  elle retrouve son grand tabouret, sa cuisine bleu ciel et ses coups de fil à sa mère, trop occupée par l’organisation de son méchouis et par ses amies. L’eau continue de monter, Sandrine est « trempée de l’intérieur », inondée, désespérée et bientôt engloutie.

Voilà un moment que je voulais découvrir le travail de cette compagnie. Je connaissais un peu Damien Mongin avec qui j’avais joué dans un court métrage. Mais là j’ai découvert l’écriture et le jeu de sa compagne, Lise Maussion, et j’ai été véritablement emportée par ce portrait apocalyptique aussi sensible qu’effrayant de vérité.

A suivre, Chacal.