LA FORET DE QUINCONCES, un conte urbain assez touffu

Ondine et Paul s’aiment. Mais Ondine est épuisée par leur histoire et quitte Paul. Paul jure qu’il n’aimera plus personne après elle, et lorsqu’il rencontre Camille, il la poursuit pour mieux la délaisser et venger ses blessures. Camille ne le voit pas de cet oeil et lui jette un sort pour l’obliger à l’aimer. Entre la tragédie grecque et le conte moderne, le premier film en tant que réalisateur du comédien Grégoire Leprince-Ringuet revisite le triangle amoureux, la passion dévastatrice et les sentiments exacerbés, le tout en jean baskets et alexandrins.

On connaissait Grégoire Leprince-Ringuet acteur, celui-là même qui a démarré auprès d’André Téchiné dans Les égarés et qu’on a pu découvrir depuis chez Christophe Honoré (le beau gosse des Chansons d’amour qui fait flancher Louis Garrel, c’est lui !), Bertrand Tavernier ou Robert Guédiguian. Le voici désormais réalisateur – ce qu’il avoue avoir toujours voulu être – mais aussi auteur et poète.

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La forêt de quinconces démarre sur une scène de rupture qui annonce tout de suite la couleur : un film dominé par le langage des sentiments et très écrit. « Je voulais commencer le film par un grand coup de tonnerre, et plonger le spectateur au coeur de l’action et de la couleur du film », précise Grégoire Leprince-Ringuet.
Dans cette scène, Paul entraine Ondine (Amandine Truffy) dans une course effrénée en pleine forêt alors que celle-ci lui supplie de calmer la cadence.

Inévitablement elle tombe, s’écorche et sa chute signe là la fin d’une relation devenue épuisante à l’image de cette course. La scène alterne les cadrages serrés à l’épaule et les changements d’axe traduisant ainsi la fragilité des sentiments et le chaos de la rupture amoureuse. Ondine le quitte et Paul est anéanti. Au départ on se sent un peu chez Eric Rohmer ou chez René Féret, deux cinéastes qui aiment déployer la parole, mais très vite La forêt de quinconces s’affirme par sa singularité formelle, son langage d’un autre siècle et la multiplicité des genres qui le rendent inclassable. Le film marie l’invraisemblance (du langage, des situations comme du temps) et le réel, la contemporanéité et la désuétude.

Photo du film LA FORÊT DE QUINCONCES

Paul rencontre un clochard devin qui le met face à ses choix et son destin et le décide à jeter son dévolu sur une femme qu’il croise dans le métro (Camille alias Pauline Caupenne). Il la suit dans un théâtre et la rejoint dans une scène de danse collective improbable et envoûtante, lui parle, la séduit et passe la nuit avec elle. Camille s’enfuit au petit matin mais en ouvrant la porte découvre la valise d’affaires que lui a ramenée Ondine. Jalouse, elle décide de lui jeter un sort à l’aide de son bijou, obligeant Paul à l’aimer à en devenir fou. Celui qui croyait dominer l’amour et lui jouer un tour se retrouve donc ensorcelé malgré lui tel Tristan et Iseult.

Le film entre tourments, lyrisme et théâtralité pêche un peu dans son rythme et son rapport au temps. Les effets d’ellipse, de désynchronisation son-image jouent en défaveur du film qui finit par nous perdre un peu tant le temps semble s’étirer à l’infini et n’accorder aucun repère. Grégoire Leprince-Ringuet exhalte la passion amoureuse mais à trop mêler les genres (fantastique, conte, drame amoureux) et trop questionner les sentiments, les fantômes du passé, les sortilèges de l’amour et la fatale destinée, La forêt de quinconces finit par devenir une forêt un peu broussailleuse.

Ceci étant dit, reconnaissons néanmoins son extrême singularité et sa velléité de réhabiliter la passion amoureuse à une ère qui ressemble davantage à un terrain vague qu’à une forêt ordonnée. Notons également la présence du formidable duo Marilyne Canto-Antoine Chappey  qui, au-delà d’être des acteurs qu’on adore, apportent ici une touche de vraisemblance tant dans leur jeu que dans leurs personnages, et qui nous aident à souffler un peu. Grégoire Leprince-Ringuet ne manque pas de mentionner l’influence du cinéma d’Arnaud Desplechin qu’il affectionne particulièrement. On se dit pourtant que son film flirte davantage du côté de cinéastes atypiques comme Vecchiali ou Guiraudie. Et ça, c’est plutôt un compliment !

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RENCONTRE AVEC GREGOIRE LEPRINCE-RINGUET ET PAULINE CAUPENNE 

Pourquoi avoir choisi de faire un film plutôt qu’une pièce pour La forêt de
Quinconces
?

Grégoire Leprince-Ringuet : j’ai toujours voulu être réalisateur. Je fais beaucoup de théâtre mais le film s’est imposé tout de suite. Le langage du cinéma m’a permis d’être très près des acteurs dans des valeurs de plan différente et même sur le conseil de mon chef opérateur d’utiliser des formats pour traduire les émotions et la folie de Paul (NB : le film alterne les formats en 2.40, 1.33 et 1.66).

Ce n’est pas trop difficile de produire un film en alexandrins en 2016 ? 

GLR : Au départ quand j’ai annoncé que mon film serait en vers c’est un peu comme si j’annonçais que j’avais le cancer. Tout le monde était désolé. Il fallait quelqu’un comme Paulo Branco (son producteur) pour avoir le courage de produire ce film. Je ne vois d’ailleurs pas qui d’autre aurait pu le produire !

Pourquoi avoir écrit un film en vers ?

GLR : J’adore la poésie depuis toujours. Et je cherchais une légitimité pour passer derrière la caméra et le fait d’écrire en vers me l’a donnée. J’ai appris beaucoup de vers au théâtre, en jouant du Racine surtout, j’ai lu Paul Valéry, Baudelaire, Rimbaud, et suis fasciné par cette langue magique. Pour écrire en vers il faut en apprendre beaucoup afin de conserver la musique en soi.
Ma peur était de lasser le spectateur et je voulais absolument qu’il y ait des « phrases normales » comme des respirations dans le texte. On a beaucoup répété pour se rendre compte de l’effet rendu. C’est d’ailleurs une chose que je conseille : de tourner en plusieurs fois, de se diriger ensemble en plusieurs cessions. Ca permet de construire le film petit à petit, on filme, on monte un peu, on répète et on construit tous ensemble en fonction de ce qu’on a filmé.

Pauline Caupenne : oui je ne sais pas du tout comment ça aurait été si on avait tourné 30 jours d’affilée la tête baissée ! Le fait que le tournage fut espacé nous a permis de voir si ça marchait et a permis à Grégoire de prendre le recul nécessaire et de réécrire si besoin.

On connait le parcours de Grégoire mais vous Pauline avez un parcours très atypique. Vous avez joué notamment dans un premier film en Inde…

Pauline Caupenne : Oui en effet j’ai démarré ma carrière d’actrice quand j’habitais en Inde où je me suis retrouvée à jouer dans une superproduction Bollywood. Après je suis rentrée en France et me suis plongée dans le théâtre. C’est là que j’ai rencontré Grégoire. Son film était un projet ambitieux et réunissait plusieurs choses que j’aime comme le théâtre et la danse, car dans ce film-là aussi je danse ! Aujourd’hui je souhaite continuer à faire du cinéma, j’écris d’ailleurs un film en ce moment, un court métrage que j’aimerais réaliser.

Qu’apportent les vers dans votre film par rapport à la prose ? 

Je dirais d’abord que par amour des acteurs, je voulais leur donner de la matière, et souvent je trouve qu’un acteur a plus de matière à défendre quand il a plus de texte. Les vers apportent un certain lyrisme. C’est un moment où la parole ressemble à de la musique, un peu comme dans la comédie musicale. Je voulais aussi gratifier le spectateur du plaisir d’entendre des vers même si je ne voulais pas que ce soit systématique. Ensuite les vers sont aussi un coup de pouce au merveilleux du film. Cette parole a un statut un peu magique aussi. Les vers permettaient de favoriser les effets du merveilleux dans le film.

Pensez-vous que notre époque n’est pas assez romanesque ? 

GLR : Oui probablement. Avec ce film, je voulais aussi continuer de faire vivre un pan du cinema qui est loin du cinéma français naturaliste. On est très forts en cinéma naturalistes en France mais j’avais envie  de renouer avec un cinéma plus ancien, comme celui de Carné, je pense aux Portes du paradis par exemple avec le personnage du clochard devin ou aux films de Jacques Demy. Je voulais expérimenter une forme d’expression différente et cela passait pour moi par la parole poétique. (…). L’héritage de Pialat, de la Nouvelle vague est si important qu’on a souvent l’impression que c’est comme ça qu’il faut faire des films. Moi j’essaye de prendre un chemin de traverse. Avec ce film on a voulu ré-enchanter le monde, dire que tout est exceptionnel, même à outrance, être dans la démesure.

Peut-on voir la foret avec les arbres en quinconces comme la métaphore d’une époque qui offre plusieurs facettes mais qui sclérosent à la fois ? 

GLR : Oui bien sûr ! La forêt offre de multiples perspectives, de multiples choix de chemins mais le personnage peut aussi se retrouver paralysé, ne pas arriver à choisir et rester au même endroit. Quant à la métaphore sur l’époque… sûrement, inconsciemment.

Que vouliez vous éviter à tout prix en réalisant et en interprétant votre film ?

GLR : Je voulais éviter que le film soit vieillot. Je voulais qu’il soit très contemporain, filmé dans une ville. Le film est tourné dans le nord est parisien, je voulais qu’on voit des gens, le métro, des parcs, des villes dans une ville, des différents espaces comme autant de possibles. Et je voulais aussique le spectateur soit happé par le film et ne s’interroge pas toutes les deux minutes sur le type de film dans lequel il était.

PC : Moi je voulais éviter le côté théâtral et le côté manichéen de mon personnage. Ne pas être « la méchante ». Camille est plus ambiguë que cela.

Questions Anne laure Farges et Grégory Marouzé 

AU BONHEUR DES OGRES

Difficile de raconter ce tsunami cinématographique que sont Les Ogres de Léa Fehner tant ils nous bousculent, nous remuent, nous émeuvent et nous avalent. Dans cette troupe de théâtre itinérant, tout est là sous le chapiteau, l’amour, les larmes, l’amitié, les rires, les blessures,  les mesquineries, les doutes, les peurs et même les solitudes errantes. Véritable tourbillon, caravanes derrière et marmaille devant, les Ogres sont formidablement vivants et nous avec.

Dès le premier plan Léa Fehner nous embarque en plein coeur du spectacle avec sa jolie troupe, suivant leurs gestes, leurs visages avec une caméra fluide qui les enveloppent, les caressent, les bousculent, les prolongent et les succèdent. Chacun de leurs mouvements est attrapé en plein vol, chacune de leur respiration nous étreint et nous transporte dans cette déambulation foutraque. Alors réalité documentaire ou fiction ? Telle n’est pas la question même si Léa Fehner filme sa famille, réelle troupe de théâtre, tout en y invitant quelques comédiens comme les formidables Marc Barbé, Adèle Haenel et Lola Dueñas. Ce qui nous touche ici ne relève pas tant d’un certain réalisme mais plutôt d’un grand cinéma capable de traduire cette comédie humaine, de capturer les émotions qui surgissent à la croisée de ce chapiteau, l’indicible derrière ce qui nous est donné à voir, la magie des improvisations. Il y a du Cassavetes et du Fellini dans Les Ogres.  Il y a surtout de la vie dans ce qu’elle a de plus intense, de plus dur et de plus beau.

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Ca crie, ça braille, ça s’embrasse et s’engueule, ça chante et ça danse, ça virevolte et ça vacille. Le chapiteau se monte et se démonte et la troupe se relève toujours, repart sur la route coûte que coûte. On ne choisit pas sa famille mais on se dit que Léa Fehner a bien de la chance d’avoir grandi dans une telle famille élargie. Car même si elle taille un peu un costard au roi son père, chaque personnage a tant de variations d’émotions et d’humanité en soi qu’on a envie de les rejoindre, d’être des leurs, de grandir à leurs côtés, de s’engueuler franchement et de jouer la comédie sans filet.

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Le reste découvrez-le par vous mêmes, la vie qui fuse, l’insoumission de François, les peurs de Lola, les gamins qui se cachent dans les gradins, la détresse de Déloyal, le sourire lumineux de Mona, la résignation de Marion, les parades d’avant spectacle, tout ça ne se raconte pas. Ca se vit.

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RENDEZ-VOUS GARE DE L’EST

Une femme seule en scène raconte son quotidien entre son travail, son mari, ses petites nièces et sa folie. Pour ce spectacle créé à la Comédie de Reims en 2013 et repris en 2015 aux Bouffes du Nord, Guillaume Vincent a enregistré ses échanges avec une femme atteinte de maniaco-dépression pendant six mois lors de leurs rendez-vous Gare de l’est. La retranscription du texte traduit les ressorts mêmes de la dépression et dresse le portrait d’une femme dans son  intimité, ses questionnements et l’emprise de la maladie.

La femme  a environ 30 ans. Elle est mariée à un homme doux et aimant. Il s’appelle Fabien et elle l’aime plus que tout au monde. Car Fabien la comprend, la connait. Oh bien sûr ce n’est pas simple tous les jours. Faut dire que la dépression altère drôlement la libido. Elle, elle préfère les câlins. Elle travaille dans un magasin de déco. Elle aime bien ce qu’elle fait, surtout les enfants qui accompagnent leurs parents. Elle adore les enfants, en particulier Elisa sa petite nièce. Ca lui fait peur aussi. Ca lui rappelle qu’elle aura du mal à en avoir. Oui à cause des médicaments. Il lui faudrait arrêter le traitement et ça, elle en est incapable. Elle avale des tonnes de médicaments pour rester de debout et ne pas succomber à sa folie. Elle en rit aussi même si elle a pris beaucoup de poids. Un jour, elle s’est retrouvée à Sainte Anne, attachée, c’est horrible d’être attachée, surtout les poignets, on ne peut rien faire. Aujourd’hui, elle préfère décider seule de son internement, parce qu’on ne le sait pas, mais seule la personne commanditaire de l’hospitalisation a le pouvoir d’y mettre fin. Ce qu’il se passe au moment du basculement… c’est compliqué à expliquer, on le sent dans tout son corps, on imagine des choses, on se sent partir… et puis parfois on parvient à remonter à la surface.

Elle va mieux, elle le sent. Elle a diminué le traitement. Peut être même qu’elle va faire un enfant avec Fabien. Sa mère est de passage à Paris, elle va essayer de la voir, d’être forte et de l’écouter se plaindre. Sinon, elle s’est fait virée à cause de la petite stagiaire, enfin pas vraiment à cause d’elle, à cause de sa dépression aussi. Depuis, Fabien lui parle moins, il n’y arrive plus. Elle ne recherche pas encore un travail, elle sait qu’elle n’y arriverait pas là. Heureusement elle a ses rendez-vous Gare de l’est le mardi matin, un espace où se raconter, où nous raconter.

« Au fur et à mesure de nos « rendez-vous », en retranscrivant méticuleusement ses mots, je me suis rendu compte que le sujet c’était bien elle et non sa maladie » explique Guillaume Vincent l’auteur et metteur en scène. Le texte reprend les hésitations, les digressions, les pensées immédiates, les peurs et décortique les mécanismes d’une mélancolie incontôlable.

« Je voulais que ce monologue retranscrive le mouvement même de sa maladie » précise Guillaume Vincent. Le portrait de cette femme formidablement interprétée par Emilie Incerti Formentini se dessine donc derrière ce récit spontané, intime, d’une lucidité déconcertante et pleine d’humour, vient nous bousculer, interroger notre propre folie, et témoigner de la difficulté de vivre au quotidien avec ce mal. Nous, spectateurs, sommes laissés dans la lumière et littéralement pris à témoin et embarqués pour un voyage vers la folie ordinaire que nous ne sommes pas prêts d’oublier.

Pour prolonger ces « rendez-vous », le Théâtre du Nord propose une rencontre-discussion ce vendredi à 18h et un café philo demain à 16h autour de la mélancolie.

Plus d’infos par là

CHACAL, une pièce de la Compagnie Pôle Nord

Chacal c’est l’histoire d’un type sans attache, en CDD (CDD liberté !) sur un chantier d’autoroute.

Il neige dehors et le chantier est interrompu. Le type sans nom rentre dans sa chambre d’hôtel et téléphone à sa compagne enceinte. Un accident précise-t-il. Pourtant Lucie, le futur bébé l’accompagne partout, comme pour là aussi (cf. Sandrine) le raccrocher à la vie. Il semble sans cesse chercher sa place au milieu des autres, sur le chantier, dans le bar, il se croit libre mais n’est en fait qu’un passager parmi les autres. Lucie c’est sa chance à lui de laisser une trace.
Et s’il a l’air de se foutre de tout, il interroge pourtant plusieurs fois son patron pour savoir si le turc s’est remis de son accident du travail ou s’il est mort. Il ne le saura jamais.

Interprétée par Damien Mongin, la pièce écrite pendant une période de pérégrinations des auteurs dénonce à nouveau cette précarité impitoyable qui oblige à s’effacer, à accepter l’inacceptable, à survivre d’un travail à l’autre en continuant d’espérer un changement, un ticket gagnant.

L’issue de Chacal ressemble à un horrible fait divers. Pourtant la pièce s’éloigne du réel pour nous emmener vers un autre lieu, celui de notre mémoire hachée, de notre pensée disloquée.

Lise Maussion et Damien Mongin écrivent lors d’atelier d’improvisation autour de thèmes qu’ils se suggèrent. Si certains qualifient leur créations de « documentaires », leur univers n’en demeure pas moins poétique et onirique. Comme un joli reflet d’une certaine misère.

SANDRINE ou la destinée d’une trieuse de verre

La Compagnie Pôle Nord présentait hier à l’Escargot (salle de spectacle à Vogue en Ardèche) son diptyque sous forme de répétition générale ouverte (et offerte) au public.

La première pièce du nom de son personnage, Sandrine, met en scène une femme seule, assise dans sa cuisine, semblant ne rien attendre, ne pas penser. Un coup de fil à sa mère brise le silence et l’on découvre peu à peu ce personnage blessé, avec sa voix haut perché, comme prêt à craquer à chaque instant. Elle parle de pas grand chose, de ce qui nous raccroche les uns aux autres, nous retient, nous éloigne un temps du vide, et nous rappelle finalement à cette absence de sens, à la précarité et aux solitudes absurdes de notre monde.

Sandrine a un nouveau voisin, Jean-François, vendeur de cuisine chez Mobalpa. Lui a l’entrain des gens heureux et essaye en vain de l’emmener dans sa minuscule vie, de créer des passerelles entre eux. Mais Sandrine est définitivement seule et déjà se noie.  Le reste du temps elle travaille comme trieuse de verre en CDI. Une chance ce CDI dit-elle, elle a un bon patron. Elle aime son travail, elle est même persuadée d’être faite pour ça, pour trier vite et bien. Elle répète les mêmes  gestes avec un sérieux et une ardeur immuables pendant qu’elle raconte à sa collègue Lætitia ce qu’elle a vu en 10 ans dans cette usine. Elle parle comme pour sentir un temps son existence couler dans ses veines.

Le soir elle rentre chez elle à pied, elle n’a plus de voiture à cause de toutes ces inondations et d’un accident de cachalot,  elle retrouve son grand tabouret, sa cuisine bleu ciel et ses coups de fil à sa mère, trop occupée par l’organisation de son méchouis et par ses amies. L’eau continue de monter, Sandrine est « trempée de l’intérieur », inondée, désespérée et bientôt engloutie.

Voilà un moment que je voulais découvrir le travail de cette compagnie. Je connaissais un peu Damien Mongin avec qui j’avais joué dans un court métrage. Mais là j’ai découvert l’écriture et le jeu de sa compagne, Lise Maussion, et j’ai été véritablement emportée par ce portrait apocalyptique aussi sensible qu’effrayant de vérité.

A suivre, Chacal.