LA LOI DE LA JUNGLE, une comédie d’aventures burlesque et réjouissante

De l’amour, de l’aventure, de la poésie et plein de bêbêtes… Bienvenue à Guyaneige, la première station de ski en pleine jungle ! Après l’excellent La fille du 14 juillet, Antonin Peretjatko revisite le film d’aventure en embarquant à nouveau le duo Vincent Macaigne-Vimala Pons au fin fond de la Guyane dans une comédie humaine aussi hilarante que sensible.

Marc Châtaigne est un brave type. Il se défend à peine lorsqu’il est poursuivi chez lui par un huissier qui le confond avec un autre Châtaigne et qui casse tout chez lui. Lorsqu’il arrive en retard au Ministère de la norme, il se voit attribué la destination la moins plébiscitée : la Guyane. Son stage a pour but de collaborer à la relance du tourisme grâce à la création de la première station de ski. Absurde ? Oui mais pas plus que certaines constructions européennes destinées à faire rayonner la France sans prendre en compte la réalité d’un pays, comme ce pont qui relie le Brésil à la Guyane et qui n’a jamais servi. On l’aura compris, Peretjatko ne fait pas un cinéma naturaliste ! Nous sommes d’emblée plongés dans un univers burlesque et atemporel. Si les décors et les costumes sont volontairement vintage (cf. la photo de Mitterrand au Ministère), le reste de l’histoire semble appartenir à un futur proche où nous serions tous indéfiniment stagiaires, faute d’emplois. Lâchons donc là nos références et régalons-nous devant cette comédie d’aventures singulière entre la parodie et le burlesque, et qui est très certainement une jolie allégorie de nos mondes modernes.

Arrivés là-bas, Châtaigne est accueilli par un Mathieu Amalric halluciné qui lui explique pourquoi les normes européennes ne s’adaptent qu’à l’Europe et non au climat tropical (leur bureau pourtant aux normes HQE est tellement humide qu’ils sont obligés de ventiler non stop). La France est représentée sur tous les continents à travers ses territoires mais ne semble pas tenir compte des différences culturelles importantes.  Tiens tiens, l’héritage colonial de la France serait-il donc bien ancré ?

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On voit d’ailleurs le Ministre (génial Jean-Luc Bideau qu’on adore chez Alain Tanner) aller pavaner devant les investisseurs chinois, qataris ou suisses en vendant un projet absurde mais qu’il promet d’être rentable et de ne pas coûter cher (il suffit pour cela d’embaucher des stagiaires ou mieux de ne pas créer d’emplois ).
Une nouvelle allégorie de notre impérialisme dénué de bon sens !

Châtaigne part donc avec sa co-équipière Tarzan (exquise Vimala Pons, clope au bec et mini short) en repérage dans la jungle. D’aventures en aventures, ils se retrouvent perdus et tentent de survivre au milieu de cette forêt peu accueillante, pleine de boue, de crocodiles, de boa et d’insectes.
A l’instar des héros de screwball comedies,  les deux protagonistes s’opposent et se chamaillent pour mieux se rapprocher. L’un est un célibataire endurci (séparé depuis 18 ans d’une femme dont il conserve toujours précieusement une mèche de cheveux) et naif quand l’autre est une femme forte, déterminée, une « dure à cuire » tout couteau dehors et prénommée Tarzan. Elle rappelle en cela les femmes hawksiennes et l’on ne peut s’empêcher de comparer par moment le duo Châtaigne-Tarzan à celui inoubliable Cary Grant-Katherine Hepburn dans L’impossible Monsieur Bébé. Il faut dire que le film repose énormément sur le rythme des dialogues (le film a été tourné en 22 images par seconde et le son est donc légèrement accéléré) et sur la gestuelle des acteurs qui offre un spectacle particulièrement réjouissant entre pirouettes, maladresses, bagarres et une inénarrable scène aphrodisiaque qu’on vous laisse découvrir.

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Vimala Pons, qui par ailleurs vient du monde du cirque, avoue avoir adoré pouvoir jouer avec son corps. « Les films sont souvent des films de dialogues, avec le film d’Antonin, on a pu aller beaucoup plus loin. Vincent (Macaigne) est d’ailleurs aussi un acteur très physique ».  Il y a du Keaton, du Marx Brothers et du Bébel dans La loi de la jungleAntonin Peretjatko ne revendique pas de référence particulière mais concède qu’inconsciemment son film en évoque bien d’autres. A chacun d’y voir ses propres souvenirs de cinéma ! Vimala Tarzan avec son mégot au bord des lèvres et sa gouaille a en tout cas à mes yeux quelque chose à voir avec Susie la boiteuse.*

Tarzan finit par séduire Châtaigne au détour d’une branche où allongés tant bien que mal, Châtaigne compare la mèche de cheveux qu’il trimballe dans son Code de la norme avec ceux de Tarzan. Au-delà de l’aspect gaguesque, le film déborde de délicatesse et de poésie. Les animaux et autres insectes deviennent le miroir de notre monde, cruel certes mais qui répond à une seule loi : celle de la nature (biologique et humaine). Le serpent mange la souris, les lucioles se prennent pour des lanternes, les papillons virevoltent et les mygales se baladent sur le terrain de golf au même titre que les humains soulignant à nouveau l’absurdité d’un monde exporté en bloc et érigé en seul modèle.

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Dans la Loi de la jungle, il y a aussi Pascal Légitimus, un huissier increvable, un stagiaire ingénieur en repérage pour un projet TGV, des mangeurs de têtes, une machine à écrire jaune, un fou de la gâchette et bien d’autres bestioles.

Au-delà du comique indéniable et des répliques bientôt cultes, La loi de la jungle rappelle que notre monde, aussi absurde soit-il, reste un terrain de jeu infiniment poétique. A y réfléchir, c’est déjà pas mal.

 

 

* L’impossible Monsieur Bébé d’Howard Hawks
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LA VIE TRES PRIVEE DE MONSIEUR SIM, un road movie mélancolique et joyeux

Après Le nom des gens, comédie déjantée sur une femme qui s’efforce de convertir des hommes de droite à voter à gauche, Michel Leclerc revient avec une comédie douce amère, presque désespérée, sur un quinquagénaire en pleine dépression qui retrouve un nouvel emploi de commercial pour une marque de brosse à dent bio. A bord de sa voiture hybride, il part direction la Provence-Alpes-Côte d’azur et commence pour lui un road movie initiatique, entre solitude, passé retrouvé et futur à dessiner.

François Sim (très touchant Jean-Pierre Bacri) revient d’un voyage dans un club Lookea. C’est sa femme Caroline qui l’avait organisé il y a quelques mois, avant de le quitter. Il y est donc allé tout seul mais comme il l’avoue à son voisin dans l’avion « ce n’est pas fait pour les gens seuls ». On se demande d’ailleurs ce qui est fait pour les gens seuls dans notre société où le bonheur familial est érigé en mode de vie sans que grand monde n’y parvienne. « On passe notre vie à éviter les contacts avec les autres, à se frôler ». C’est dans ce territoire du frôlement que Michel Leclerc place son film et parvient à dessiner les contours sensibles d’une souffrance quasi universelle, celle de la solitude du coureur de fond.

Rien de moins naturel que la solitude. Rien de moins naturel que la promiscuité forcée non plus. Les paysages que parcourt François Sim sont le reflet même de cette vacuité contemporaine. Il traverse des lieux défigurés par des enseignes criardes réunies dans des zones à rond-point comme autant de promesses d’un bonheur préconçu et formaté auxquelles nous nous devons d’adhérer avec le même sourire figé qu’arborent les quatre commerciaux élus et « happy » par Bio Buccal pour aller semer leurs brosses à dents dans la France entière. Sim est envoyé en région PACA et lui qui vient de connaitre une période de chômage, feint un enthousiasme pour ce produit « révolutionnaire » : la brosse à dent en poil de sanglier.

Sans rien préméditer, François Sim est déjà parti sur une autre route. En chemin, il s’arrête rendre visite à sa fille qu’il ne connait même plus, bien qu’il soit parvenu à glaner quelques informations auprès de son ex femme en se faisant passer pour une copine virtuelle d’au féminin.com (quand je vous dis que c’est un film sur la solitude !). Il parle à tout le monde qu’il croise, semble encore croire en l’humain. Il parle à son voisin dans l’avion, au type dans la queue du self service d’un Autogrill, à  Popi (Vimala Pons), la fille qui pêche des sons à l’aéroport pour servir de couverture aux maris adultères. Il parle même à son GPS qu’il va rebaptiser Emmanuelle. Difficile de connecter avec ses pairs. Parfois ça fonctionne comme avec Popi qui, loin d’être indifférente, l’invite à diner et lui présente son oncle Samuel (Mathieu Amalric qu’on ne se lasse jamais de retrouver). Samuel lui raconte l’histoire de ce navigateur parti en course en solitaire qui, coincé par son propre mensonge et son échec, se laissa dériver jusqu’à sa mort. Ce récit, comme un écho à sa propre solitude, va accompagner François dans sa quête sans nom, et peut être lui éviter de courir à sa perte. Car François ne renonce pas, c’est ce qui fait de lui un dépressif joyeux. Il poursuit sa tournée hors des sentiers battus, renoue avec le passé et des amours anciennes, retrouve son père distant et découvre une histoire engloutie qui réapparait à la surface telle l’épave du navigateur sur la plage en Sicile.

Le film de Leclerc, bien au-delà des quelques sourires qu’il nous décroche, est un road movie poético-mélancolique. Bacri est en dépression, « comme tous les gens sains » ajoute Popi (c’est vrai qu’il faut être drôlement malsain pour trouver notre monde normal et pas sujet à déprimer), mais c’est en s’égarant davantage, en tournant sans fin autour de rond points pour entendre la voix de son GPS recalculer à l’infini l’itinéraire à prendre, c’est en se perdant sur les petites routes, en traversant la mer, en s’enfonçant dans la neige ou dans un champ de patates qu’il trouvera la paix.

La vie très privée de Monsieur Sim prouve que pour mieux se retrouver il faut aussi savoir mieux se perdre. Voilà de quoi nous rassurer.

VINCENT N’A PAS D’ECAILLES : et alors ?

Vincent aime l’eau. Il passe son temps dedans, dans les lacs du Verdon, dans les lavoirs, dans les eaux stagnantes d’un bassin, sous la pluie ou dans des piscines. Il s’y sent encore mieux qu’un poisson dans l’eau car derrière son allure filiforme se cache un homme doté de super pouvoirs. Au contact de l’eau sa force est décuplée, il se met à nager à une vitesse prodigieuse, à casser des murs, à tordre des pièces et briser des menottes. Quand j’avais cinq ans, moi aussi je m’imaginais avoir des super pouvoirs, en tout cas un qui me faisait rêver et qui était celui de voler. On sent chez Thomas Salvador l’enfant en lui qui s’est imaginé toute sorte de rêves et de pouvoirs étranges, sans autre ambition que celle d’un conditionnel enchanteur et amusant. Car nulle vélleité de sauver le monde ou de parader devant les autres. Au contraire, Vincent ne parle à personne de ce super pouvoir absurde, si ce n’est à la femme qu’il vient de rencontrer (lumineuse Vimala Pons), et semble même s’en moquer. On assiste d’ailleurs à une scène formidablement drôle à la moitié du film où il feint, lui et son corps de danseur agile, de se métamorphoser après s’être renversé un verre d’eau sur la main. On se dit alors que le film bascule et devient d’un coup génialement burlesque. La découverte par Lucie de son pouvoir donne lieu aux meilleures scènes où elle observe interloquée son super héros d’homme. Mais cela retombe vite. De Vincent, on ne connait rien, ni d’où il vient, ni d’où lui vient ce pouvoir. En soi ce n’est pas grave mais on finit par se détacher des personnages comme de l’histoire. D’ailleurs les personnages ne se parlent quasiment pas et si cela fonctionne très bien dans les scènes avec son amoureuse, si leur plus grande caresse du monde est belle, le reste est franchement ennuyeux. On passe de plans dans l’eau (certes variés car on a le droit à un inventaire de tous les points d’eau, des ruisseaux aux océans en passant par les mares et les baignoires) à des plans de son quotidien, Vincent sur un chantier, Vincent à une soirée, Vincent boit une bière, Vincent avec Lucie, puis à nouveau un séjour dans l’eau avant la course poursuite où le degré de tension est à peu près aussi bas que ma pression artérielle aujourd’hui. Certes ce n’est pas le sujet et le film se veut un contre pied aux films de genre de super héros. Mais alors quoi ? Où nous emmène-t-il ? On aimerait adhérer à l’univers poetico-burlesque de Salvador, s’attacher à son personnage lunaire et à ce premier film inclassable. En vain. On finit par ressentir autant de désinvolture qu’il semble en avoir lui-même.

Je n’ai pas pu m’empêcher de penser pendant le film à un des grands films de 2013 avec beaucoup d’eau aussi, L’inconnu du lac. Et de me dire qu’il manquait vraiment quelque chose dans Vincent n’a pas d’écailles : de la vie et donc du cinéma.